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Nihon, go ! Épisode 5 : Au Japon, épidémie de collectionnite aigüe

Tampons, sceaux spirituels, et autres exemples farfelus qui tendent à montrer qu’au Japon, Pokémon Go ne sortait pas de nulle part.

Enfin, il est temps d’aborder quelques petits détails dont on ne parle pas souvent si vous naviguez au hasard sur YouTube ou Reddit. Quelques menus exemples qui montrent que le Nihon est un pays où la ludification est un peu partout, et que Pokémon Go! et son succès ne sortent pas de nulle part. L’espace urbain, déjà bien différent de ce que l’on connaît, recèle de petits détails qui allient jeux et collectionnite.

Nos précédents épisodes Nihon, Go ! pour bien profiter de son voyage au Japon :

Jeux et villes japonaises font bon ménage. Parfois, compagnies privées se mettent de concert au service de jeux d’énigmes à échelle tokyoïte. Imaginez un jeu de piste pour toute la famille, avec un livret en romajis ou en kanjis, où vous devez cavaler de lieu en lieu pour pister et comprendre les énigmes. Imaginez devoir acheter telle boisson de tel distributeur pour en retirer l’étiquette, spécialement modifiée, et devoir l’aligner sur votre livret pour voir apparaître un message. Ce genre de zèle où les compagnies privées de train sont de mèche. Et ça alors ! Le train, figure tutélaire de l’imaginaire pop-culturel et quotidien au Japon, est souvent au cœur de ces exemples. Mais comme nous ne sommes pas des expatriés, voici des exemples à tenir en compte pour votre voyage.

La folie du tampon

Au Japon, quand on signe, c’est avec un sceau ou un tampon encreur. Un coup assuré, et paf ! Vous validez des documents administratifs ou vous recevez votre colis Amazon. Un objet inscrit dans le quotidien des Japonais depuis des temps antédiluviens, qui fait des impressions particulièrement détaillées. Il est possible, un peu partout, de faire son propre tampon. Mais en tant que touriste, vous pourrez vous amuser à faire un petit rallye à échelle nationale.

Exactement comme vous collectionnez les monstres virtuels, vous pourrez collectionner les coups de tampon. Chaque lieu touristique, chaque aquarium, musée, lieu-dit, office de tourisme ou gros temple a son tampon, toujours mis en évidence au comptoir d’acceuil. Les motifs sont toujours travaillés et détaillés, et c’est bien plus amusant à collectionner que les médailles moches qui font l’indifférence des visiteurs de nos musées.

La Grande Aventure Du Tampon commence dès l’aéroport d’Haneda. Attention à ne pas forcer comme des brutes. (Et il y aura toujours un papier libre disponible pour les sans-carnets).

Mais voici le meilleur : c’est une sorte de poignée de main secrète pour ceux qui font attention – il est amusant de récolter à tout-va les eki sutampu, « les tampons de gare ». À Tokyo et dans tout le pays, chaque gare de compagnie JR a son propre tampon à collectionner. Carrés à Tokyo, ronds et énormes dans le Kansai, chaque gare recèle un unique tampon qui cache un motif qui résume le quartier dans lequel vous êtes. Pour l’instant, tout va bien, mais n’oubliez pas que certaines gares tokyoïtes font la taille d’un village français lambda – que celle de Shinjuku est la plus grande au monde, et que celle d’Ikebukuro est en deuxième place. Il n’y a qu’un seul tampon « de la série » à trouver, il va falloir soit demander, soit apprivoiser les bons réflexes et avoir un peu de chance. Généralement proche d’une sortie (il peut y en avoir plus d’une dizaine) et ne demandant pas de passer les portiques, il peut aussi être dans un bureau d’aide que vous reconnaîtrez vite. Comme vous n’êtes pas le seul à le demander, le premier employé venu vous dira immédiatement où est l’objet de tous les désirs après un petit « Sumimasen, eki sutampu wa doko desu ka ? » – et vous aidera à l’aide d’une carte ou, parfois, le sortira du comptoir. Plus la gare est grande, plus le challenge le sera aussi. C’est devenu un réflexe : à chaque nouvelle gare, chaque nouveau lieu, tamponnez dur. Un souvenir sympa, et un petit manège qui pourra persister pour vos prochains voyages. N’oubliez pas de le demander des deux côtés du ferry pour Miyajima, par exemple (le ferry aussi est de compagnie JR, et inclus avec le JR Pass).

Les stations ont parfois des « machines » qui vous feront une belle impression à coup de levier, inutile de forcer comme des dingues sous peine de ruiner votre carnet prévu à cet effet. D’autres pays asiatiques pratiquent le même manège, et vendent parfois des carnets dédiés aux « tampons des trains » : une page, un souvenir. C’est là que la comparaison avec Pokémon Go revient – le « rallye des tampons » est une activité très familiale – régulièrement, des écoliers vont parcourir toute une ligne de train comme une chasse au trésor, et des tampons cachés en ville seront l’occasion d’une chasse au trésor, par exemple dans le cadre d’un évènement promotionnel pour Pokémon. Le genre de choses qu’on peut aussi faire à Japan Expo, sans que personne ne soit au courant.

Votre Pokédex spirituel

Autre détail dont pas grand-monde ne parle, sauf quelques âmes émerveillées par le concept. C’est aussi un souvenir à rapporter qui deviendra unique dès le début.

Vous le savez, au Japon, le temple (bouddhiste) ou le sanctuaire (shinto) ont une place prépondérante. Intégrés au paysage urbain, vous les trouverez partout. Entrer dans un temple, c’est entrer dans la maison des dieux dont le torii est la porte. Ce fameux arc rouge à la forme caractéristique, omniprésent en culture populaire, c’est ça un torii. Avant d’entrer, et avant de sortir, une courbette est de rigueur. Nombre de sanctuaires sont interchangeables, mais certains sont d’une grande beauté, et ont de nombreuses caractéristiques qui valent le détour. Mais tous ont un point en commun que vous repérerez rapidement : l’office de goshuin.

Dépliez vos livres de Goshuin, et retrouvez votre parcours spirituel au Japon.

Dans chaque temple ou sanctuaire se trouve un petit bureau où un prêtre ou une prêtresse est chargée, contre 300 yens – 500 dans les lieux les plus touristiques – de vous faire une calligraphie unique en son genre. Une prière, le lieu, la date, des tampons uniques, et voilà. Demandez un petit « Sumimasen ! Goshuin onegai shimasu » et vous l’aurez. Quant au support, c’est un livre dédié qui s’appelle le goshuin-cho. C’est le seul support acceptable pour y apposer ce souvenir, il coûte entre 1000 et 1500 yens et il peut constituer à lui tout seul un objet de collection. Les plus gros temples ont les leurs : celui du Pavillon d’Argent est particulièrement beau, idem pour celui de l’Itsukushima-jinja de Miyajima. Ce livre a la particularité de se déplier en accordéon, attention quand vous indiquez la page à marquer. Quand vous le dépliez, vous aurez l’intégralité de votre parcours spirituel sous les yeux, dans l’ordre. Il y a une vingtaine de pages disponibles, et de quoi remplir une bibliothèque entière.

C’est là que la comparaison avec Pokémon rentre en jeu : vous pouvez vous acheter un goshui-cho par région, exactement comme un Pokédex. Et en avant, attrapez-les tous. D’aucuns diraient que cette comparaison n’est pas très religion-friendly, mais vous constaterez bientôt que les temples sont aussi de haut lieu de capitalisme, et qu’on peut y acheter autant de bidules que dans les premières allées de Japan Expo. Toutefois, l’office de Goshuin permet de commencer une collection épatante. Regardez bien, certains temples en proposent plusieurs ! Et n’oubliez pas le commandement numéro un du touriste dans un sanctuaire : si tu as un toit sur la tête, pas touche à l’appareil photo.

D’ailleurs ! Voici deux manières radicales de s’attirer les foudres d’un.e prêtre.sse : mettre des eki sutampu ou quoi que ce soit d’autre sur votre goshuin-cho. Le goshuin-cho est réservé aux goshuin et c’est tout. C’est un contrat avec les dieux. Mettre n’importe quoi ferait mauvais genre… et il n’y a aucun problème à mêler shinto et bouddhiste, le syncrétisme est historiquement très ancré. Aussi, n’oubliez pas d’aller prier avant de demander le précieux sésame. S’il n’y a personne (et il n’y aura souvent personne) ça se verra et ce n’est pas correct. Vous ne vous voulez pas vous faire engueuler par une mamie shinto.

La vie est un jeu

À vous de trouver d’autres exemples de collectionnite et de ludification au quotidien. Vous passerez sans doute pour un baka gaijin quand vous irez photographier les bouches d’égout, mais même ces dernières sont caractéristiques de la ville dans laquelle on peut les trouver, et font preuve d’un design unique. Certains « tirages » tokyoïtes dédiés à des séries moe n’ont pas fait long feu – puisqu’elles, justement, se faisaient trop tirer. Dans les gares, les ruelles, dans certains quartiers, 300 yens insérés dans un gashapon vous donnera une figurine parmi un set défini. Vous entrez à Super Poteto, et achetez une boîte de bonbons farceurs : parmi les trois proposés, un seul sera volontairement « pourri » et acide. Achetez une boisson dans un distributeur, et peut-être gagnerez-vous un jackpot aléatoire et une autre canette.

Des gashapons de la série Houseki No Kuni, ou l’Ère des cristaux. Au moins, comme tous les personnages sont géniaux, il y a peu de risques d’être déçu.

Voilà pour cette saga d’été. Après le premier voyage, vous aurez le même sentiment de félicité, et la sensation d’avoir le pays chevillé au corps. Il paraît que c’est la même chose pour tout le monde : vous en revenez, vous ne pensez qu’à ça, et le deuxième voyage est un tout petit peu celui de la désillusion. Celui des petits vieux qui vous regardent de travers parce que vous avez l’impolitesse d’être étranger. Celui où vous voyez un peu plus les mauvais côtés du Japon : la solitude, le pays qui se tue au travail, le pays raciste et sexiste, qui a peur des étrangers, et qui entretient une relation étrange – et historiquement compliquée – avec ses voisins. La vision d’un pays aussi pourri de l’intérieur que n’importe quel autre… ou peut-être que vous verrez juste d’autres beaux endroits et que ce nouveau voyage confirmera votre amour pour lui, malgré tous ces problèmes. Mais franchement, pourquoi se soucier de tout ça quand on a des tampons uniques à collecter dans les gares ?

Encore une photo de bentos de konbinis, histoire de vous donner envie.

Pour aller plus loin, vous pouvez entendre l’intégralité de mon récit ici. Bonne écoute, et, je l’espère, bon voyage !

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