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[Dossier Superhéros] Première partie : aux origines, dans la littérature populaire

Ils squattent nos écrans depuis plusieurs années et promettent de le faire encore longtemps. C’est du moins le projet annoncé de DC Comics et Marvel qui…

Ils squattent nos écrans depuis plusieurs années et promettent de le faire encore longtemps. C’est du moins le projet annoncé de DC Comics et Marvel qui se sont lancés dans une course à l’échalote du studio qui fournira le plus de reboot/remake/prequel/suites (rayer la mention inutile), pour le meilleur et parfois pour le pire.

Le superhéros est la figure cinématographique contemporaine ultime. D’où tire-t-il ses origines ? Comment a-t-il évolué à travers les âges et les époques ? L’époque façonne-t-elle nos superhéros ? Tentative de réponse avec Rafik Djoumi, rédacteur en chef du magazine des cultures geek, BiTS, diffusé sur Arte depuis maintenant plusieurs saisons.

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Les superhéros flamands de Sacha Goldberger

Les superhéros, une origine qui remonte à la littérature populaire du XIXe siècle

Rafik Djoumi : À l’origine, les superhéros sont les enfants lointains de la littérature populaire du XIXe siècle, notamment la littérature française et anglaise qu’on appelle le roman populaire. Avec le grand exode rural vers la ville, les populations pauvres ont commencé à apprendre à lire, on a pu voir se développer le feuilleton, avec des auteurs comme Victor Hugo ou Émile Zola.

À l’époque, ce sont de véritables blockbusters littéraires, qui cartonnent vraiment. Tous les gens qui savent lire suivent ces aventures et ceux qui ne savent pas lire se les font raconter dans des soirées lectures, comme dans le monde ouvrier où s’organisaient de telles soirées pour suivre les aventures du Comte de Monte Cristo ou de Cosette (dans Les Misérables, NDLR).

La littérature populaire du XIXe siècle
La littérature populaire du XIXe siècle

Cette littérature feuilletonnante commence à développer ses codes. C’est une littérature populaire, ses thèmes sont censés parler au peuple. Un peuple qui, à l’époque, est encore pétri de valeur paysanne et se retrouve dans un monde totalement différent. Assez naturellement, on va voir se développer une figure de héros solitaire qui, de façon souvent anonyme, rétablit la justice dans un monde où il n’y en a plus. Ce monde-là, c’est celui de la ville que ces anciens paysans découvrent.

Le Comte de Monte-Cristo, l’une des premières figures héroïques

Un personnage comme le Comte de Monte-Cristo est une des matrices du héros à venir puisqu’il a une double identité, a été douloureusement trahi dans sa jeunesse, détruit, on l’a mis en prison, on lui a tout arraché et il trouve cette énorme fortune qu’il va faire fructifier. Il devient alors ce personnage fantasque, quasiment fantastique même : dans le bouquin de Dumas, il est décrit à un moment donné comme un vampire (quand il arrive dans une grande soirée à l’opéra, les gens voient arriver un homme au visage pâle, impressionnant, etc.)

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Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas

Ce type de justicier de la nuit, qui venge le petit peuple des grands qui lui ont tout arraché, va faire beaucoup de petits. On va le retrouver dans un personnage comme Zorro, au tout début du XXe siècle, et aussi dans la littérature populaire. En France, au début du XXe siècle, on verra apparaître des personnages un peu plus tordus dans leur rapport avec la loi, Arsène Lupin par exemple, ou Les Vampires aussi, transformés en serial par Louis Feuillade.

Ces fondamentaux-là sont importants en ce qu’ils rappellent l’idée qu’il y a quand même une guerre des classes qui se joue derrière ces personnages. Alexandre Dumas (père) est, à ce titre, une figure extrêmement intéressante puisque, comme la France a souvent voulu l’oublier, ce monsieur n’était pas tout à fait blanc. Et il faut imaginer un noir qui évolue dans un milieu bourgeois de la fin du XIXe, il y évolue parce que son cerveau énorme lui a ouvert ces portes-là, mais il y a des murs invisibles contre lesquels il lutte. C’est un peu naturel que Dumas ait aussi facilement trouvé les codes qui vont parler au bas peuple, qui lui aussi se sent rejeté, méprisé, et subi une certaine condescendance à son égard.

[nextpage title=”La naissance du Pulp, Superman emblème de l’Amérique”]

De la littérature populaire à la naissance du Pulp

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Tout ça pour dire que la littérature populaire va donner naissance au Pulp. Ce qu’on appelle « Pulp » dans les années 20 aux États-Unis, ce sont des nouvelles écrites sur du papier de mauvaise qualité, d’où le nom « pulp » qui vient de la pulpe des arbres dont on se sert pour faire ce papier de mauvaise qualité (résidus de fibres de bois – woodpulp, NDLR).

La littérature pulp sera également une littérature feuilletonnante. Dans les années 20, elle va créer les detective stories, des histoires policières de justicier de la nuit, tout comme Flash Gordon ou Buck Rogers qui vont débarquer à cette époque-là. Le plus célèbre de tous en termes de fantastique c’est John Carter of Mars d’Edgar Rice Burroughs, qui est un peu la matrice de tout l’aspect fantasy de Star Wars à Avatar en passant par Dune.

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Edgar Rice Burroughs est un grand auteur de cette littérature Pulp. Il a deux personnages célèbres, John Carter et Tarzan, mais en France nous n’en connaissons qu’un seul. Curieusement, John Carter n’a jamais eu d’impact dans les pays latins, alors que dans le monde anglo-saxon cela a été un truc absolument énorme dont se sont nourris la plupart des auteurs Pulp.

John Carter of Mars, l’ancêtre de Superman

John Carter a quitté sa planète, la Terre, et se retrouve sur Mars, qui a une autre gravité. D’un coup, il se voit doté de super pouvoirs, notamment celui de faire bonds gigantesques. L’idée d’un personnage qui, en changeant de planète voit sa force grandir va directement inspirer Jerry Siegel et Joe Shuster pour la création de Superman. Il y a une filiation évidente là-dedans.

Superman et Batman, modèles du genre dans la catégorie superhéros, sont directement inscrits dans cette culture Pulp. Superman au niveau de la fantasy donc, par rapport à John Carter, Batman en lien avec les detective stories puisqu’à l’origine, Batman est un détective. Et en plus de ça, il a des caractéristiques qui sont quasiment celles du Comte de Monte-Cristo : il a une batcave (la cave du comte de MC dans laquelle il a caché sa fortune), il a une double identité, il ne sort que la nuit, etc. D’autres auront moins d’impact, comme Le fantôme du Bengale ou The Shadow. The Shadow a ceci d’intéressant que ce sera un des premiers à être adapté en feuilleton radiophonique par Orson Wells.

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Dans les années 30-40, ces super héros-là s’adressent encore à une population paysanne. Les États-Unis sont encore un pays très largement paysan : on sort de la crise de 29, le monde ouvrier a été complètement sapé, et ces superhéros portent alors naturellement en eux des valeurs que les gens de la ville peuvent considérer comme rétrogrades, etc. Mais il y a tout un sens de l’honneur, tout un sens de la responsabilité (les femmes et les enfants d’abord), une structure morale qui leur sont propres, qui parle à ce public réellement populaire.

Batman, Superman & Co, héros de la culture populaire des années 30

Ces superhéros vont donc avoir un succès absolument détonnant dû, en grande partie, au fait que, sans s’en rendre compte, même si ce n’est pas très clair dans la tête des gens, l’Amérique réalise qu’elle est plus ou moins en train de devenir une grande puissance. Quand bien même ce serait confus, ils vont devenir un peu le porte-parole de ça.

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Évidemment, avec son costume qui reprend les couleurs du drapeau américain, Superman va clairement devenir l’emblème de l’Amérique de l’époque, telle qu’elle souhaite se voir, c’est-à-dire comme un personnage infaillible : il EST la justice, il ne fait que le bien, il va intervenir aux quatre coins du monde, mais ce n’est jamais pour imposer un gouvernement. Les Américains de l’époque, et notamment le peuple américain, sont violemment anti-impérialistes. Ils le sont tellement qu’ils ne veulent pas s’engager dans la Seconde Guerre mondiale. Ils sont anti-interventionnistes. Bon, ça ne va pas tenir longtemps avec l’intervention des Japonais, puis après-guerre avec le plan Marshall.

To be continued…
Retrouvez la suite de l’interview la semaine prochaine avec les années 50-80.

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