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[Chronique] Graphisme rétro : le secret d’un jeu vidéo plus mature

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Le bénéfice de la contrainte Il est également possible de concevoir l’utilisation de graphismes rétro ou épurés comme une contrainte à la création. Une contrainte telle…

Le bénéfice de la contrainte

Il est également possible de concevoir l’utilisation de graphismes rétro ou épurés comme une contrainte à la création. Une contrainte telle qu’on peut la rencontrer dans bien d’autres médias. En poésie, cette contrainte apparaît quand on cherche à écrire avec un nombre de pieds donnés et en rimes. George Perec avait bien compris la puissance créative de la contrainte, quand en 1969, il décide d’écrire le livre La Disparition. Pareil pour Michel Hazanavicius, qui décide en 2011 de réaliser un film muet en noir et blanc, The Artist, oscarisé.

En partant du principe que le jeu vidéo est un art – fait avéré pour de nombreux musées prestigieux aujourd’hui – pourquoi ne pas considérer la direction artistique comme une contrainte comme une autre ? Après tout, si l’on imposait, là, maintenant, une contrainte graphique à une équipe de développement, ne va-t-elle pas tenter d’impressionner le joueur par autre chose que le graphisme ?
Le jeu Passage, sorti en 2007, a été créé par Jason Rohrer dans le cadre du Gamma 256. Il s’agit d’une jam qui imposait à ses participants une contrainte unique, mais pas des moindres : la nécessité de créer un jeu vidéo dont la résolution maximale est de 256 par 256 pixels. Jason Rohrer, ne se démontant pas, crée alors un jeu assez incroyable se déroulant sur une bande horizontale de 16 pixels de haut pour 100 pixels de large. D’ailleurs, vous pouvez y jouer en téléchargeant le jeu ici.

Passage2007

En plus d’un game design intéressant, Passage réussit à créer une belle narration malgré les contraintes. Sans texte, sans voix et sans mise en scène particulière, le narrative design du jeu est extrêmement axé sur le gameplay, tout simplement parce qu’il est impossible de faire autrement. Le jeu arrive à transmettre quelque chose au joueur en modulant la façon dont il peut interagir avec son personnage. Par exemple, vers la fin d’une partie qui dure environ 5 minutes, votre personnage devient vieux et ne peut plus aller aussi vite qu’au début de la partie. Tout ce design narratif a été, mine de rien, influencé par les graphismes pauvres du jeu, eux-mêmes induits par les contraintes formelles posées à l’occasion de cette jam.

La forme suit la fonction, mais parfois elle l’influence

Les jeux utilisant une direction artistique à base de sprites ou de formes géométriques simple ont plus tendance à rendre visible le gameplay que les jeux trop chargés en graphismes. Les graphismes se retirent tout simplement en faveur du game design et c’est très souvent une bonne chose. Prenez Antichamber, qui possède une des directions artistiques les plus simples pour un jeu en 3D à la première personne. Les graphismes sont là uniquement pour mettre en avant la géométrie non euclidienne du jeu. Le choix d’une direction artistique plus chargée aurait pu finalement desservir le gameplay.

Des graphismes simples rendent également le tout moins contestable. Il y a une forme de transparence du jeu vidéo qui émerge quand les graphismes sont simples, quand les rouages du jeu sont mis à nu. On peut bien sûr rendre des jeux frustrants avec un game system orienté vers la frustration, même avec une esthétique simple, mais ils auront moins de risque de l’être sans que cela soit voulu par le concepteur. C’est d’ailleurs ce que recherchent certains joueurs puristes, comme nous le raconte André, développeur chez One Life Remains.

Je me souviens d’un mec qui avait créé une configuration réseau spécifique sur le jeu Quake. Il n’avait gardé que les aspects techniques du jeu. Il avait enlevé tout ce qui était superflu. Par exemple, quand il y avait une explosion, on voyait juste un polygone qui enflait avant de disparaître. C’était moche, mais on voyait clairement la zone d’effet de la déflagration.

C’est d’ailleurs grosso modo ce qui se passe dans la tête des très bons joueurs d’un titre quand ils commencent à vraiment bien le maîtriser. Les graphismes s’estompent peu à peu pour laisser place à des données, des stats, des trajectoires, des actions potentielles, etc. Pour illustrer cela, Kevin raconte son expérience sur Diablo.

Ce qui marque la première fois que tu arrives sur Diablo, c’est l’univers, les graphismes, l’ambiance. Puis, tu commences à entrer dans le donjon. Et plus tu vas progresser dans le jeu et moins tu vas voir tout ça. Tu finis par voir que des stats, des possibilités, des zones de dégâts, etc. Les graphismes disparaissent avec la pratique d’un jeu. Au bout d’un moment, tu ne vois plus que les mécaniques.

Cependant, on trouve également les radicaux chez les « épures » – c’est comme cela que nos amis de One Life Remains appellent les adeptes de jeux à l’esthétique épurée – qui considèrent qu’il faut retirer tous les graphismes des jeux. Cette position n’est pas tenable pour Brice.

Il y a un certain malentendu avec certains épures. Il y en a qui disent qu’il faudrait virer tous les graphismes, mais c’est une impasse. Dans certains jeux, il peut y avoir de l’intérêt à laisser des zones de flou grâce aux graphismes. Et puis, certains jeux comme Street Fighter seraient imbuvables. D’autres, comme les point and click, seraient juste impossibles à faire sans graphismes.

Comparatif jeux retro

Comme toute tendance, la vague de jeux aux graphismes rétro ou épurés a également ses vices. Certains titres ne jouent ainsi que sur la fibre nostalgique apportée par les gros sprites qui tâchent. D’autres jeux s’inspirent très fortement du voisin pour proposer des directions artistiques qui troublent par leur ressemblance avec d’autres titres. Je pense évidemment à Dungeon of The Endless qui rappelle Sword and Sworcery ou Eldritch qui rappelle fortement Minecraft.

Cependant, beaucoup de jeux qui s’inspirent librement de leurs contemporains essayent le plus souvent d’apporter leurs touches d’innovation au médium ; en tout cas pour les exemples que j’ai cités ci-dessus. Au bout du compte, c’est le jeu vidéo dans sa globalité qui bénéficie de ces améliorations. Il serait bien que les jeux triple-A puissent également bénéficier des innovations apportées par la scène des jeux aux graphismes simples. Car graphismes très élaborés et innovations n’ont jamais été inconciliables.

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