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5 choses à retenir de l’audition de Mark Zuckerberg devant le Congrès

Ce qu’il faut retenir des 10h d’interrogatoire d’audition de Mark Zuckerberg devant les parlementaires américains en marge du scandale Cambridge Analytica, l’une des plus grandes brèches de données de l’histoire contemporaine, et une crise sans précédent pour Facebook.

capture d’écran – France 24

C’est peu dire que le CEO de Facebook était attendu et les parlementaires américains prêts à en découdre. Déjà invité à s’exprimer devant la représentation nationale dans le cadre de l’affaire de l’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine, Mark Zuckerberg avait préféré snober l’exercice et envoyer le directeur juridique de la plateforme, Colin Stretch, pour se faire représenter.

Cette fois-ci, la déflagration de Cambridge Analytica est tout autre, et vient s’ajouter à une pile de polémiques accumulées ces derniers mois (collecte des historiques des SMS et appels des utilisateurs Android, annuaire inversé, ingérence russe, Brexit). Zuckerberg n’a eu d’autre choix que d’obtempérer, dans ce qui s’apparente au dernier tour de piste d’une tournée médiatique sous forme de mea culpa. Un acte de contrition préparé, comme ses notes l’ont révélé.

Inévitable

Le jeune homme de 33 ans avait donc troqué son célèbre uniforme, jean, t-shirt, hoody, pour un costume aussi sombre que sa mâchoire était serrée et sa mine blafarde.

« C’était mon erreur, je suis désolé » s’est une nouvelle fois excusé Mark Zuckerberg en préambule de son audition devant les membres du Sénat. « J’ai créé Facebook, je le dirige, je suis responsable », a-t-il encore concédé.

Une crise sans précédent

Pour rappel, Facebook est accusé d’avoir, par sa négligence, laissé fuiter les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs à des fins de profilage politique pour aider l’équipe du candidat républicain Donald Trump sur les réseaux sociaux. Comment ? L’entreprise d’analyse de données Cambridge Analytica a utilisé cette immense base de données pour cibler des électeurs en leur transmettant du contenu sponsorisé à caractère politique. Une opération également menée pendant le Brexit.

Aujourd’hui, le modèle économique de Facebook est remis en cause. Celui-là même qui est basé sur le traitement et la revente de données personnelles (des profils plus précisément) des 2 milliards d’utilisateurs collectées sur le réseau social (like, commentaires, activité sur la plateforme) et qui lui rapporte de substantiels revenus publicitaires, plus de 90% de ses recettes. Depuis les révélations du New York Times et du Guardian, le titre Facebook a déjà perdu plus de 15% de sa valeur, mais a bondi pendant l’audition de son PDG devant le Sénat.

Sauver la maison Facebook

Désormais, son CEO ne rejette plus la possibilité d’une régulation de la plateforme, perspective encore inimaginable il y a un an à peine, mais appelée de leurs vœux par nombre de politiques américains, que Zuckerberg a dû affronter lors de cette audition historique.

Voici les 5 points marquants à retenir des audiences du 10 et 11 avril devant le Congrès.

 1/ Un changement de philosophie

Déjà amorcé dans ses résolutions 2018, Mark Zuckerberg concède qu’il est temps de « réparer Facebook », le scandale CA semble avoir cloué le cercueil du Facebook que nous connaissions.

« Nous traversons un grand changement philosophique au sein de la société », a expliqué le PDG de Facebook.

Bien conscient que ces changements prendront du temps, Zuckerberg précise « Nous devons prendre plus largement conscience de nos responsabilités, nous assurer que Facebook soit utilisé à bon escient. Au final, les gens finiront par voir une vraie différence. »

Aujourd’hui, Zuckerberg se dit même « d’accord sur le fait que nous sommes responsables du contenu » publié sur Facebook. Une première pour le milliardaire qui expliquait jusqu’ici que le réseau social n’était pas un média et n’était donc pas responsable du contenu publié sur la plateforme. S’il a bien tenté de nuancer son propos, en expliquant être une entreprise technologique, le boss de Facebook assure aujourd’hui prendre la mesure des responsabilités qui sont les siennes.

Bon, le modèle économique de Facebook ne sera vraisemblablement pas remis en cause, la plateforme tentera par tous les moyens de donner des gages de bonne volonté, notamment en étant moins « généreux », d’autres diront négligents, envers les tierces parties qui ont accès aux données utilisateurs. L’objectif est clair : se réguler avant d’être régulé. Les sénateurs ont ainsi à de maintes reprises brandies la menace d’une importante régulation qui viendrait renforcer la protection des données utilisateurs.

Zuckerberg ne s’y est pas opposé (le pouvait-il seulement ?) – « Ma position n’est pas qu’il ne devrait pas y avoir de régulations » – mais a appelé à agir avec « prudence » pour mettre en place la « bonne réglementation ».

Le sénateur Lindsay Graham voit dans Facebook « un quasi-monopole, or les monopoles doivent être régulés ». Mark Zuckerberg n’a pas été capable de nommer un seul concurrent direct, mais n’a pas l’impression d’être en situation de monopole. Quoi qu’il en soit, le sénateur a estimé que « l’autorégulation n’est pas la bonne réponse face aux abus que l’on a vus chez Facebook ».

2/ La relative méconnaissance des Parlementaires US

Si la passe d’armes a donné lieu à quelques moments intéressants, notamment lorsque le sénateur démocrate de l’Illinois lui demande de partager le nom de son hôtel ou le nom des personnes qu’il a contactées la veille (il ne l’a pas fait, si vous en doutiez), les questions des parlementaires n’ont pas posé grande difficulté tant elles révélaient leurs lacunes concernant Internet et ses outils. Une méconnaissance sans doute représentative de la grande majorité des internautes (Américains en autres) qui utilisent Facebook.

Florilège : un sénateur demande à Mark Zuckerberg si Facebook ou les annonceurs peut voir des « emails » envoyés via WhatsApp, l’application de messagerie chiffrée rachetée 19 milliards de dollars par Menlo Park en 2014. Orrin Hatch, sénateur républicain de l’Utah, demande quant à lui comment Facebook peut « maintenir un modèle d’affaires dans lequel les utilisateurs ne paient pas votre service ? », forçant Zuckerberg à déclarer : « Sénateur, nous diffusons des publicités ». Oui, nous vendons les milliards de données personnelles de nos utilisateurs à des annonceurs pour qu’ils puissent leur proposer des publicités ciblées.

Enfin, le sénateur républicain de Louisiane John Neely Kennedy n’a pas mâché ses mots en exprimant « ce que tout le monde tente de vous dire aujourd’hui : vos conditions d’utilisations sont nulles ».

« Elles font 3 200 mots avec trente liens. Un seul de ces liens mène à votre politique de gestion des données, qui fait à peu près 2 700 mots avec 22 liens. Personne n’a la moindre idée de ce pour quoi il signe ».

Considérant qu’elles « couvrent les arrières » de Facebook plus qu’elles n’informent les utilisateurs sur leurs droits. Mark Zuckerberg a d’ailleurs reconnu qu’il ne pensait pas que les utilisateurs lisaient l’intégralité des conditions générales d’utilisation (CGU).

« Je ne veux pas avoir à voter pour réglementer Facebook, mais bon Dieu, je le ferai », a menacé Kennedy. Toutefois cette charge a été vaine puisque les questions du sénateur, déjà posées auparavant, ont révélé son faible niveau de connaissance de la plateforme. Le sénateur a commencé à énumérer un certain nombre de mesures que Facebook devrait mettre en place pour améliorer la confidentialité des données… mesures déjà en place.

John N. Kennedy : « Seriez-vous enclin à faire marche arrière et m’autoriser à effacer mes données ? »

Mark Zuckerberg : « Sénateur, vous avez déjà la possibilité de supprimer n’importe laquelle de vos données ou l’entièreté de celles-ci. »

JNK : « Seriez-vous enclin à étendre mon droit à vous interdire le partage de mes données ? »

MZ : « Sénateur, de nouveau, je crois que vous avez déjà ce contrôle… »

JNK : « Seriez-vous enclin à m’autoriser à prendre mes données Facebook et les déplacer sur un autre réseau social ? »

MZ : « Sénateur, encore une fois, vous pouvez déjà le faire. »

Un manque de compréhension et de précision qui a permis à Zuckerberg de s’en sortir par une pirouette ou d’éluder nombre de questions.

3/ Des questions sans réponse

« Mon équipe va revenir vers vous ». Cette phrase, Mark Zuckerberg l’a formulée à plus de 30 reprises mardi 10 avril devant les parlementaires, se montrant incapable de répondre à des questions simples, mais visiblement très sensibles.

Comme lorsque Kamala Harris, sénatrice démocrate de Californie, évoque le suivi de l’activité des utilisateurs en dehors des pages de la plateforme –  « Facebook trace-t-il les données de navigation des internautes, même quand ils ne sont pas connectés ? » – ou encore lorsqu’elle lui demande pourquoi il n’a pas informé les utilisateurs lorsque Facebook s’est rendu compte, en 2015, que leurs données avaient été partagées avec Cambridge Analytica.

Concernant le pistage des membres inscrits – et non-inscrits – en dehors de Facebook, la firme a été condamnée par la Belgique pour ce grief. En France, la CNIL a condamné Facebook à 150 000 euros d’amende pour l’usage excessif du cookie Datr notamment.

Parmi les questions « taboues » restées sans réponse : est-ce vraiment l’utilisateur de Facebook qui « possède » ses données personnelles ou plutôt Facebook, voire les applications et entreprises tierces ? « D’autres applications ont-elles pu récupérer de grandes quantités de données ? », « Combien de temps gardez-vous les données des utilisateurs qui suppriment leur compte ? », « Comment d’argent Facebook a-il gagné grâce aux publicités achetées par des agents d’influence étrangers ? ».

« Je ne suis pas sûr, quelqu’un de mon équipe reviendra vers vous », a rétorqué Mark Zuckerberg.

https://twitter.com/RFI_Tech/status/984011538192388096

4/ Course aux armements avec la Russie

Au cours de l’audience, Mark Zuckerberg est revenu sur le dossier russe. Alors que Facebook a déjà témoigné devant le Congrès, aux côtés de Google et Twitter, dans le cadre de l’enquête menée par le procureur spécial Mueller : il existe une « course aux armements » entre Facebook et « des gens en Russie dont le travail est d’essayer d’exploiter nos infrastructures et d’autres systèmes Internet », a-t-il assuré. Il a assuré que son « plus grand regret » et de ne pas avoir détecté l’ingérence russe dans la campagne présidentielle plus tôt. Cette ingérence s’est traduite par la création de 470 faux comptes créés par la société basée à Saint-Pétersbourg, l’Internet Research Agency.

« Ils vont continuer à s’améliorer dans ce domaine, et nous devons investir pour continuer à nous améliorer dans ce domaine également, explique Zuckerberg. Tant qu’il y aura des gens installés en Russie dont le travail est d’essayer d’interférer avec les élections dans le monde entier, ce sera un conflit actif ».

Pour l’occasion, il a confirmé collaborer avec le procureur Robert Mueller dans l’enquête russe : « Je ne suis pas au courant d’une convocation, mais je sais que nous travaillons avec eux ».

Précision utile : Mark Zuckerberg ne s’est pas exprimé sous serment lors de ces auditions. Toutefois cela ne veut pas dire qu’il peut mentir en toute quiétude : Zuckerberg est tenu de dire la vérité puisqu’un faux témoignage devant le Congrès est un crime fédéral

5/ RGPD (ou GDPR)

Le futur règlement européen sur la protection des données personnelles qui doit entrer en vigueur le 25 mai prochain n’effraie pas Facebook. Son CEO avait d’ailleurs prévu la parade, comme ses notes l’ont montré : « ne pas dire que nous faisons déjà ce que le GDPR demande », pouvait-on lire. Interrogé par les sénateurs, Mark Zuckerberg a précisé que Facebook « s’est engagé à mettre en place ces contrôles ». Chose inimaginable il y a encore quelques mois, le RGPD a été cité en exemple par les sénateurs démocrates, alors que les velléités de Bruxelles en matière de réglementation sont souvent taxées de freins à l’entrepreneuriat et l’innovation.

Mercredi 11 avril, devant la Chambre des Représentants, le tycoon a même assuré que les paramètres mis en place seront les mêmes pour tous les utilisateurs de la plateforme, partout dans le monde, qu’ils soient américains ou européens.

Le ton s’est d’ailleurs durci lors de cette ultime journée d’audition. Il faut dire que les élus semblaient beaucoup plus au fait des us et coutumes de la plateforme et n’entendaient pas s’en laisser conter ou laisser le PDG se perdre dans ses explications.

« Vous avez une longue histoire de croissance et de succès, mais vous avez aussi une longue liste d’excuses, qui ont commencé en 2003 à Harvard », a tancé la députée démocrate de l’Illinois, Jan Schakowsky avant de dérouler la liste des excuses formulées depuis 2006. Un constat : l’autorégulation est un échec.

Le sénateur Blumenthal a quant à lui brandi le contrat passé entre Facebook et Aleksandr Kogan, celui qui a transmis la base de données à Cambridge Analytica et qui l’autorisait à « modifier, copier, disséminer, publier, transférer, attacher à ou fusionner avec d’autres banques de données, vendre, licencier […] et archiver » les données collectées sous couvert d’enquête académique.

Cette deuxième journée de témoignage a surtout été marquée par une révélation : celle de Mark Zuckerberg expliquant que ses propres données personnelles avaient été vendues à des « tiers malveillants », sans plus de précisions.

Les réseaux sociaux n’ont pas manqué de réagir à ces deux journées d’audition :

Quand tu te connecte à Facebook sans avoir vos paramètres de confidentialité“.

https://twitter.com/BravingRuin/status/983775963199746048

N’oublie pas de boire de l’eau, les humains aime l’eau

Quand tout va bien et que tu te sens bien

Quand je réalise que mes actions ont des conséquences

https://twitter.com/jometro/status/984013602406518784

Lieutenant Commandant Zuck devant le tribunal après que son plan pour étudier les humains dans les moindres détails lui explose au visage

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6 commentaires
  1. Merci Elodie pour l’article !
     Il est honteusement bien mieux construit et intéressant que la plupart des autres.

  2. Bon article. Par contre, on comprends tout de suite qu’il sera jamais président des US comme certain pensais le pressentir.

  3. Aujourd’hui les sénateurs envisagent la possibilité d’une régulation de la plateforme.

    Oui, mais jusqu’à maintenant dans le modèle ultra libéral  c’était impensable : frein à l’entreprenariat, à la créativité, et tout et tout.

    Alors pourquoi ce revirement ?

    Tout simplement parce que désormais les politiques sont concernés puisque des sociétés, voire des états étrangers, utilisent les informations récoltées pour influer sur les électeurs et les élections, voire même les manipuler, comme cela a été le cas avec l’affaire Cambridge Analytica et l’élection de Trump.

    Et ça sa les emmerde sérieusement car cela menace leurs mandats. Jusqu’à il y a peu seuls les politiques ne se souciaient guère des données personnelles des citoyens ordinaires.Là, ils réalisent qu’ils sont aussi concernés et même menacés dans leurs fonctions. Alors ils parlent de réguler et de règlementer.

    En fait c’est tout ce modèle économique qu’il faut remettre en cause, il est totalement inadmissible que des sociétés s’emparent des données personnelles des citoyens en s’autorisant à « modifier, copier, disséminer, publier, transférer, attacher à ou fusionner avec d’autres banques de données, vendre, licencier […] et archiver » les données collectées sous couvert d’enquête académique, comme précisé dans l’article.Si un état se permet de récolter à ce point les données des citoyens il sera accusé de totalitarisme. Pourtant c’est ce que font sans états d’âme ces sociétés dans un but totalement lucratif, au départ, et désormais dans un but d’ingérence politique désormais.

    On voit bien là la dérive de ce système "économique" mais aucun état n’est près à en changer car il y a trop d’intérêts en jeu.

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