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Votre employeur vous espionne-t-il lorsque vous télétravaillez ?

Avec le confinement et la généralisation du télétravail, certaines entreprises sont tentées de surveiller plus que de mesure leurs salariés confinés à domicile. Concrètement, qu’est ce que les employeurs ont le droit de faire et sous quelles conditions ? Où se situe la limite entre simple contrôle hiérarchique et espionnage ?

Crédits : janeb13 via Pixabay

Vous pensiez que le télétravail vous garantissait la discrétion de votre domicile à la différence de la transparence totale d’un open-space? Détrompez-vous : un employeur a le droit de « contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail » (Cass. Soc. 20 novembre 1991) même si ces derniers télétravaillent. Dans ce contexte particulier, certaines entreprises sont même tentées d’intensifier la surveillance de leurs salariés. Cette étude signée ISG Research, publiée en juin dernier, démontre par exemple que l’intention d’achat de solutions de surveillance à distance des employés a été multipliée par plus de 50 au cours du premier confinement. Mais alors qu’est-ce que votre employeur a légalement le droit de surveiller lorsque vous travaillez depuis chez vous ? Dans quel cas, ce type de surveillance franchit la ligne rouge et constitue une violation de votre vie privée ? Nous avons demandé à Me Isabelle Kuok, avocate au barreau de Paris (à gauche), et Me Juliette Censi, avocate à la cour (à droite), de nous apporter leur éclairage sur les droits des employés en télétravail.

Votre employeur a-t-il le droit de vous surveiller lorsque vous télétravaillez ?

Avant de crier au scandale, sachez que oui, votre employeur a le droit de vous surveiller, que ce soit dans le lieu d’exercice de votre métier habituel mais aussi lorsque vous êtes en télétravail. Comme le note Me Juliette Censi, « l’employeur a le droit de surveiller et contrôler ses salariés, qu’ils soient en télétravail ou non ». Me Isabelle Kuok le confirme, en indiquant qu’on considère que « l’employeur dispose d’un pouvoir de direction qui lui permet de garantir la bonne marche de l’entreprise, la jurisprudence lui reconnaît le droit de contrôler l’activité des salariés au cours de la période de travail au moyen de procédés permettant l’enregistrement des déplacements, des paroles et des gestes des salariés. »

Néanmoins, cette surveillance relative est évidemment sujette à la condition que l’employeur ne peut pas instaurer un moyen de surveillance à l’insu d’un salarié. « Pour mettre en œuvre un tel dispositif, l’employeur devra « consulter les membres du CSE et informer les salariés » précise Me Isabelle Kuok.

Quid des logiciels de surveillance ?

Si, en présentiel, ce contrôle de l’activité d’un salarié peut se faire « en direct », le cadre du télétravail est bien différent puisque cela suppose l’instauration d’un moyen logiciel de surveillance. « En télétravail, l’employeur ne peut pas contrôler la présence physique du salarié dans les locaux, il va donc souvent chercher à surveiller la durée du travail, notamment pour éviter les heures supplémentaires qui n’ont pas été expressément autorisées (heures de connexion au réseau, heure d’envoi des emails) » note très justement Me Juliette Censi.

Afin de contrôler ceci, l’employeur peut avoir recours à des logiciels. On trouve une pléthore de solutions sur le web, allant du keylogger – un enregistreur de frappe – jusqu’aux logiciels opérant des captures d’écran sur un ordinateur ou prenant des photos avec la webcam toutes les cinq à dix minutes, afin de dresser un « comportement digital » d’un employé. Parmi ces logiciels, on retrouve par exemple Hubstaff, qui se présente comme la solution idéale pour le « Suivi du travail des employés avec captures d’écran, contrôle du temps, facturation, rapports détaillés, etc. » et qui est à l’origine de quelques témoignages édifiants relatés en juin par Libération.

Concrètement, que dit la loi par rapport à ces logiciels ? Dans les faits, ils ne sont pas interdits, mais, encore une fois, l’employeur ne peut pas en installer à l’insu d’un salarié. Il faut également « que les dispositifs de surveillance ne soient pas excessifs et que le CSE (comité social et économique) ait été informé et consulté sur ce sujet » précise Me Juliette Censi. Certains dispositifs ont d’ailleurs été explicitement décrits comme excessifs. Dans un avis de septembre 2019, la Cnil estime ainsi que « quelle que soit la finalité poursuivie, une capture d’écran est susceptible de n’être ni pertinente ni proportionnée puisqu’il s’agit d’une image figée d’une action isolée de l’employé, qui ne reflète pas fidèlement son travail ». Idem pour le Keyloger, ce logiciel qui permet d’enregistrer les frappes et les mouvement de souris.

Par ailleurs, outre les logiciels, « Il faut savoir que l’employeur a le droit de surveiller les outils pro (même sans logiciels spécifiques) puisque les connexions du salarié avec ses outils pro pendant le temps de travail sont réputées professionnelles et qu’à ce titre, l’employeur a le droit de les contrôler et de les utiliser contre le salarié. Même chose pour les mails professionnels (sauf s’ils sont identifiés comme personnels) » nous indique Me Juliette Censi. En ce qui concerne la surveillance des outils professionnels mis à disposition par un employeur, on vous invite à consulter notre dossier « Mon patron a-t-il le droit de surveiller tout ce que je fais sur le PC et le téléphone du bureau ? » qui reste évidemment à l’ordre du jour, en télétravail ou non.

Qu’est ce que votre employeur n’a pas le droit de faire ?

Un employeur n’a absolument pas le droit d’utiliser un moyen de surveillance à l’insu d’un de ses salariés.  « C’est absolument incontournable », souligne Me Juliette Censi. Me Isabelle Kuok précise : « le Code du travail prévoit qu’il est interdit d’apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnés au but recherché ».  Me Juliette Censi nous détaille que, de façon générale, aucun dispositif ne doit conduire à une surveillance « constante et permanente » de l’activité du salarié. « La limite, c’est qu’il faut que ce contrôle soit proportionné et qu’il ne porte pas atteinte aux libertés du salarié (tout en respectant le RGPD si des données personnelles sont traitées). » La surveillance est donc légale en soit, mais elle ne doit jamais menacer la vie privée d’un salarié. Dans ce cadre, un employeur n’a pas le droit, a priori :

  • de mettre en place des « keyloggers » qui enregistrent toutes les actions accomplis sur un ordinateur,
  • d’installer une caméra qui filmerait l’écran du salarié en continu,
  • de solliciter un partage d’écran permanent,
  • d’enregistrer du son chez son salarié.
Crédits : Chris Montgomery via Unsplash

Comment se protéger en cas d’abus ?

Si vous pensez que votre employeur a dépassé les limites en matière de contrôle, vous pouvez toujours vous diriger vers le comité social et économique (CSE) de votre entreprise ou un avocat, qui pourra vous conseiller avant de vous lancer dans une procédure auprès des prud’hommes. La CNIL reste l’interlocuteur privilégié si l’employeur a dépassé les limites en termes de surveillance, ce dernier risquant alors d’importantes amendes. Il se peut néanmoins que vous ayez vous-même dépassé les limites, et que d’éventuelles sanctions de votre employeur soient justifiées. Ce qui compte est la notion d’ « excès» dans les actes d’un salarié. Comme l’indique Me Juliette Censi, pour un juge prud’homal, « c’est excessif quand plus de 200 tweets sont publiés sur un compte personnel pendant une journée de travail, ou quand des heures entières sont passées sur des sites de rencontre. » Néanmoins, « si une sanction a été rendue sur la base d’une méthode de contrôle abusive, le salarié pourra alors contester cette mesure pour la faire annuler et éventuellement obtenir des dommages et intérêts. »

Notons, pour finir, que si l’intérêt des entreprises pour la surveillance de ses employés semble avoir grimpé, il n’y a pas eu plus d’abus que d’habitude. D’après Thomas Dautieu, chef de la direction de la conformité à la CNIL interrogé par France Inter début septembre, « la CNIL reçoit environ 1 000 plaintes par an de salariés, et depuis la généralisation du télétravail, il n’y a pas d’augmentation notable. » Il conviendra donc de refaire le bilan dans quelques mois, passé ce second confinement.

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6 commentaires
  1. la CNIL reçoit environ 1 000 plaintes par an de salariés, et depuis la généralisation du télétravail, il n’y a pas d’augmentation notable.
    en tant que sysadmin, la CNIL n’a aucune possibilité de savoir si on ecoute l’usager, check l’activer sur le pc ou le mac, meme voir les dernieres actions effectués.
    Tout est observable, je dis bien tout.

  2. Pourquoi les “admins” n’ont toujours pas clavier accentué en 2020 ? Je suppose de plus que “check l’activer” signifie “contrôler l’activité” ?

  3. Quel ramassis de conneries cet article. Faites l’article du CES pas du code du travail. La surveillance ne peut être activée que si et seulement si les moyens engagés sont proportionnels au but poursuivi. Alors enregistrer toute une session de travail pour un teletravailleur n’est absolument pas justifiable. Et vous croyez quoi ? Les entreprises vont embaucher une armée de tech info pour lire des journées complètes de travail ??? Vois croyez qu’on a que ça à foutre dans les entreprises en ce moment ??! Faites peur avec des âneries pareilles c’est sur c’est vendeur mais en aucun cas le reflet d’une pratique généralisée.

  4. Il n’empêche que même si l’employeur nous certifié de pas surveiller, le salariés peut se sentir fliqué malgré tout.

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  5. Ça devient suspicieux quand plusieurs personnes – donc en groupe – ont accès à votre écran, et qu’en plus ils ne sont pas content de voir une note arrivé à l’écran leur disant l’état d’âme manifestement légitiment violenté de leurs actes à but dégradante : je veux dire je suis sur site et avait accès à ma personne. Serais-ce un comble qu’en plus on vienne vous expliquer que c’est pour ces insultes en liens avec l’état d’âme qu’ils n’auraient jamais dû lire qu’on se prend des remarques (menaces donc). Qu’on vous détruit votre vie pro en imposant un carquant considéré desqualifiant ?

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