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[Test] Persona 5 – La cabale masquée [PS4, PS3]

Très au fait de la jeunesse japonaise, la série Persona a toujours aimé mettre des étudiants face à des démons, qu’ils soient indépendants ou les leurs. Dans tous les cas, que Jung y soit mêlé ou non, il est question ici de RPG japonais pop et velu dont Persona 5 est le dernier représentant. Et autant dire qu’il met à la concurrence une sacrée pression psychologique.

Huit ans ont passé depuis la sortie Persona 4. À l’époque, sur une PS2 dont la flamme se ravivait régulièrement malgré une fin de vie effective, les questionnements étaient différents. Toujours dans son rôle de loupe scrutant une jeunesse japonaise en perte de repères, le jeu d’Atlus se voulait doux et nostalgique. Malgré les meurtres et la confrontation parfois destructrice de sa propre personnalité, l’air ambiant était teinté d’une certaine insouciance mêlée de tristesse. Un univers adolescent où le futur était un abandon et où la révolte restait en sous-texte, peut-être rêvée, rarement affichée. En 2017, Persona 5 se place dans une société japonaise où les envies prennent un autre chemin. L’ado se construit par opposition. Guerre ouverte contre la logique du travail éreintant, désir de briller par la célébrité artificielle et rapide plus que par une longue construction d’une carrière, l’étudiant de Persona 5 est un révolutionnaire qui bouillonne, en opposition totale à l’ancien monde restrictif des adultes.

Mais avant d’éclater ses barrières et de révéler en quoi ce monde du faux-semblant mérite d’être retourné, il doit d’abord se départir de son masque rassurant, celui qui le fait exister au yeux de la société comme elle veut qu’il soit. Au milieu des hommes d’affaire, des salarymen, des cadres littéralement sans visage, il doit plonger au plus profond des dérives de son environnement pour y balancer de la couleur et les faire ressortir dans leur nudité crue, celle d’un dysfonctionnement massif. Une parole qui ne se limite pas à la sphére japonaise, devenant au fur et à mesure une vision juste et souvent cruelle d’un modèle général de société riche qui est un immense masque en soi. Un cri qui suit les alarmes d’une mouvance créative actuelle (Black Mirror, Mr Robot, etc.) qui utilise la dystopie comme révélateur. Même si ici le fantastique est le prisme utilisé, s’intégrant avec intelligence dans le game design.

[nextpage title=”Une fente au masque”]

La plongée dans la psyché, afin d’y révéler les travers et de placer les « profiteurs » face à ce qu’ils sont, est un acte militant d’adulte à adulte. Mais les jeunes filles et garçons de Persona 5 n’ont pas la légitimité nécessaire et pratiquent donc non pas le débat d’idées, mais le vol de cœur. Intenses et encore détachés des liens du monde du travail, ils agissent en fonction de leurs convictions pures, sans artifices. Et le jeu fonctionne de la même manière. Alors qu’il aurait pu traiter le thème du hold-up émotionnel de manière détachée, Persona 5 le présente sous une lumière éclatante. Aidé de divers comparses, le héros/joueur appartient à un groupe de rédempteurs de torts, dont le but est -hors des heures de cours – de pénétrer dans les labyrinthes psychologiques de personnes déviantes. Arnaqueurs, racketteurs, abuseurs, tous ces profils sont autant de cibles qui doivent être ramenées dans le droit chemin, celui de la rédemption et d’une justice implacable.

Pour cela, le jeu propose d’explorer des Palaces, matérialisations des désirs troublés de ces ennemis. Donjons au level design malin, tirant parti d’une interaction bien plus poussée avec le décor qu’auparavant, ces derniers doivent être terminés dans une limite de temps assez restreinte, souvent étalée sur une grosse dizaine de jours in-game. Une marge de manœuvre qui paraît confortable, mais qui doit être déduite des autres activités nécessaires pour progresser sans heurts. Chaque personnage dispose d’un Persona, un être qui lui permet d’utiliser des techniques spéciales en combat, lié à un type de carte de tarot et qui devient de plus en plus puissant non seulement avec l’expérience, mais aussi via les liens tissés avec les autres membres de ce Club des Cinq version Twitter. Passer du temps avec ses potes pour améliorer les relations et donc les possibilités de fusion de types de Persona est central et oblige à ménager des heures entières de discussions, de jeux et de glandouille entre bros. Une logique d’ouverture sociale rare, permettant de casser le rythme habituel de l’enchaînement donjon/recherche d’expérience, tout en densifiant personnages et propos.

Le masque agace

Déjà présente dans une partie des précédents épisodes, cette idée est ici magnifiée par la mise en place brillante d’une notion de groupe de braqueurs qui implique une confiance aveugle dans ses partenaires de crime. Bien plus qu’un ensemble d’écoliers, la troupe de héros est une famille « à la vie à la mort » qui rend la moindre relation unique et précieuse. D’autant que l’écriture maîtrisée de Katsura Hashino imprègne ses apprentis cambrioleurs d’une ambiguïté savoureuse et d’une belle sensibilité, même si l’aspect amourette estudiantine est un peu laissée en retrait par rapport à Persona 4. La vie de tous les jours s’égraine au fil des combats toujours aussi dynamiques et d’une profondeur distillée d’heure en heure, de moments touchants et d’activités qui donnent à l’exploration de faux airs de Yakuza. La douceur de vivre dans le drame, comme une série de photos de Larry Clark. Persona 5 coche sans sourciller les bonnes cases du J-RPG moderne, avec un rythme soutenu – après la longue entrée en matière – des combats agréables, un système de fusion accrocheur, et une multitude de quêtes, le bonus étant l’équivalent du Tartarus de Persona 3, à savoir le Mementos, donjon aléatoire à étages qui permet de multiplier les heures de jeu à l’envie. Mais ce n’est pas ce qui rend l’expérience unique et importante. C’est un socle solide évidemment qui soutient une somme immense de moments et de souvenirs.

À la fin d’un Persona, ce qui reste en mémoire n’est pas un boss, un donjon ou une super fusion qui atomise toute résistance, non. Ce sont des individus qui ont été nos propres amis pendant 80 heures, des instants suspendus, une nonchalance de la découverte. Dans un autre domaine d’émotions, plus viscéral, Persona 5 réussit à nouveau ce tour de force. Il offre cette respiration étrange lors de l’arrivée dans un autre pays, un domaine inconnu, un mélange d’excitation et de perte, une image de l’adolescence finalement. Et même après avoir quitté depuis longtemps la vingtaine, malgré quelques soubresauts qui tiennent parfois à distance, il est difficile de ne pas être touché au cœur par le jeu d’Atlus. Comme dans The We and the I de Gondry, c’est quand le dernier jour d’école arrive, que le dernier élève descend du bus que la portée de l’aventure se révèle. Un bout de vie juteux.

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Notre avis

Malgré un côté RPG à la papa impliquant un grinding qui ne devrait plus exister et un enrobage peut-être trop proche de Persona 4, Persona 5 est un monument. Zone d'expression totale et témoignage intelligent sur la société actuelle japonaise, le titre d'Atlus n'est pas qu'un révélateur social et politique, il est surtout l'histoire de jeunes rebelles débordant d'humanité. Attachants, mais loin d'être réglo ou équilibrés, ils ont cette fougue nécessaire qui s'étend sur tous les aspects du jeu, de la bande-son acide et jazzy à la DA explosive : tout respire la volonté d'éclater les codes. Écrit avec talent, Persona 5 s'adapte à son époque avec une rage évidente. Offrant un challenge costaud et un contenu aussi lourd qu'un cartable d'écolier, il est de la même trempe que la vague Persona 4 à l'époque. Un RPG d'un très haut niveau qui arrive dans un moment sinistré afin de redonner confiance au genre. Et même si Nier Automata a déjà bien fait le boulot, Persona 5 cimente l'une des plus belles réalisations du genre actuelles.

Persona 5 est disponible sur PS4 et PS3 depuis le 4 avril dernier. Textes en anglais uniquement.
Note : 9  /  10
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