Reddit, c’est une des jungles les plus hétéroclites de l’écosystème web. C’est à la fois une plateforme de grande envergure où ont lieu des discussions très sérieuses, mais c’est aussi une véritable Cour des Miracles numérique qui donne parfois naissance à des communautés et à des projets pour le moins… surprenants. Et avec r/places, c’est l’une des initiatives les plus marquantes de l’histoire de la plateforme qui fait son grand retour, pour le plus grand plaisir des redditers mais aussi de tous les internautes.
Tout a commencé le 1er avril 2017 sur un subreddit (une sorte de sous-forum) intitulé r/place. C’est là que Josh Wardle, le célèbre inventeur du puzzle Wordle, a imaginé un concept simple comme bonjour; il a créé un grand canevas numérique blanc sur lequel chaque utilisateur peut colorier un pixel toutes les cinq minutes.
Après quelques heures de latence, r/place a explosé; en deux temps, trois mouvements, une partie considérable de cette énorme plateforme s’est ruée sur le canevas pour le colorier de façon collaborative. Et c’est là que le concept devient intéressant, notamment grâce à la nature même de Reddit.
En effet, la plateforme est subdivisée en différentes rubriques (“subreddits”) qui correspondent chacun à un sujet (un jeu vidéo, une série…). Par extension, ces subreddits désignent aussi et surtout les communautés qui leur sont associées. Il s’agit parfois de groupes assez importants en termes numériques, et chacun de ces clans dispose de son propre folklore à base de passion commune, de memes et d’inside jokes.
Certaines de ces communautés sont même tellement soudées que leurs membres portent cette identité comme un véritable blason. Forcément, ces tribus se sont très vite rendu compte qu’il était possible de se coordonner pour dessiner des images construites sur le fameux canevas… et c’est à partir de ce moment que l’enfer s’est déchaîné.
Une guerre détendue mais impitoyable entre communautés
D’un coup, le temps s’est arrêté sur Reddit. Tous les subreddits n’avaient plus qu’un seul objectif : avoir pignon sur rue sur le canevas de la discorde, et avec le pictogramme le plus gros et flashy possible ! Et ce qui devait arriver arriva : avec des milliers de communautés distinctes et un espace assez limité, chacune d’entre elles a commencé à jouer des coudes pour s’adjuger un coin de page.
Il y a donc une véritable guerre qui a émergé. À chaque instant, des pictogrammes tentent de grappiller de l’espace à leurs voisins pour s’agrandir. De l’autre côté, les membres de la communauté en question se coordonnent pour préserver l’intégrité de leur “image” en réparant les pixels vandalisés. Plus un subreddit a de membres, plus il dispose de “soldats” qui peuvent être coordonnés pour revendiquer de l’espace.
On se retrouve donc avec une sorte de jeu de stratégie multijoueur à grande échelle, où chaque entité définit elle-même sa stratégie. Certaines communautés sont particulièrement actives et cherchent avant tout à occuper le terrain, quitte à sacrifier le côté visuel; on peut par exemple citer les communautés allemandes et turques qui, au terme d’ efforts collectifs soutenus, ont réussi à s’adjuger une large portion du canevas.
De l’autre côté du spectre, on a des communautés plus petites, mais extrêmement soudées; certaines ont dessiné un petit logo très travaillé et le défendent héroïquement contre les coups de boutoir des grosses communautés qui cherchent à annexer leur espace vital.
Une expérience sociologique fascinante
Toute cette dynamique a donné lieu à un véritable petit laboratoire “géopolitique”; nous avons assisté à une quantité absolument invraisemblable de batailles qui ont généré autant d’anecdotes au service d’une saga numérique épique. On peut par exemple citer le long chemin de croix des Canadiens. Ces derniers ont tenté tant bien que mal de dessiner le fameux logo du pays pendant que le reste de la communauté s’amusait gentiment du résultat, pas toujours très fidèle à la feuille d’érable originale.
On peut aussi citer le “void”; il s’agit d’une sorte de tâche noire qui se propage de pictogramme en pictogramme et dévore les images voisines comme une tumeur. Cet élément devenu iconique a fait son grand retour à l’occasion de l’exercice 2022.
Comme à chaque fois, le ton n’est pas toujours resté bon enfant. Certains trublions se sont évidemment amusés à dessiner des pictogrammes offensants, voire tout simplement déplacés. Mais dans l’ensemble, cette nouvelle “Guerre des pixels” continue de faire rage dans une ambiance détendue, mais néanmoins impitoyable.
Au bout du compte, r/place c’est aussi une expérience sociologique fascinante qui permet d’illustrer la drôle de dynamique de cette région très particulière de l’Internet. Sous ses airs ludiques pour ne pas dire futile, elle aura réussi à montrer que malgré leurs dissensions, les humains ont instinctivement tendance à collaborer, parfois avec des résultats assez spectaculaires.
Ce 4 avril sera la quatrième et dernière journée de cette édition 2022. Une fois l’événement bouclé, il suffira de regarder la version finale de l’image pour déterminer qui seront les grands “gagnants” de cette année. Il sera aussi intéressant d’écumer le subreddit r/place; pendant quelques jours, il regorge de récits et d’anecdotes rapportés par les millions d’utilisateurs embarqués dans des escarmouches numériques aussi cocasses que divertissantes.
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