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Neutrinos : et si les « particules fantômes » interagissaient avec la lumière ?

Des chercheurs japonais ont prédit l’existence d’interactions entre les photons et les mystérieux neutrinos qui pourraient aider à résoudre l’une des grandes énigmes du Soleil.

Les neutrinos, ces particules fondamentales qui sont extrêmement nombreuses dans notre univers, présentent une particularité assez paradoxale : malgré leur abondance, ils sont quasiment inertes et n’interagissent quasiment jamais avec la matière qui les entoure, d’où leur surnom de « particules fantômes ». Mais à mesure que les modèles théoriques s’affinent et que techniques d’observation progressent, ce surnom pourrait finir par tomber en désuétude.

La dernière avancée dans ce sens provient de l’Université d’Hokkaido, au Japon. Les modélisations d’une équipe de physiciens suggèrent que les neutrinos pourraient finalement interagir avec les photons, les particules qui servent de support à la lumière, ainsi qu’avec d’autres types de radiations électromagnétiques.

La chasse aux interactions des neutrinos

Ces fameux neutrinos font l’objet d’une chasse assidue depuis plusieurs décennies. Mais malgré les efforts des scientifiques, ils demeurent particulièrement discrets. C’est en grande partie à cause de leur masse exceptionnellement faible. De plus, le consensus leur attribue une neutralité électrique totale. Assez ennuyeux, sachant qu’il s’agit des principales propriétés utilisées par les chercheurs pour étudier le comportement des particules.

Puisqu’il est très pratiquement impossible d’observer ces objets directement, il faut donc se rabattre sur leurs interactions avec le monde qui les entoure. Mais là encore, c’est plus facile à dire qu’à faire ; les neutrinos ont la particularité de pouvoir traverser la matière ordinaire sans effet perceptible, comme de petits fantômes nanométriques. Selon le CERN, « seul un neutrino sur dix milliards traversant la Terre parvient à interagir avec un atome ». Vous êtes vous-même traversé par un déluge constant de neutrinos. Statistiquement, environ 10 milliards de milliards de milliards de ces particules seront passées à travers votre corps à la fin de votre lecture.

La plupart des chercheurs considèrent toutefois qu’ils sont très importants dans la dynamique de l’Univers. Ces interactions exceptionnellement rares représentent donc un champ d’études particulièrement actif. Et à chaque fois qu’une nouvelle interaction potentielle est identifiée, cela ouvre de nouveaux horizons de recherche très intéressants.

Une interaction dans la fournaise des étoiles

Cela s’est encore vérifié avec les travaux de l’université japonaise ; la perspective d’une interaction entre neutrinos et photons pourrait déboucher sur des progrès en physique fondamentale, et changer notre façon d’appréhender la dynamique des étoiles.

Plus précisément, l’interaction décrite par les chercheurs repose sur un phénomène théorique qu’ils ont baptisé « electroweak Hall effect », ou effet Hall électrofaible. C’est une variante de l’effet Hall classique. Ce dernier stipule qu’un courant électrique traversant un matériau situé dans un champ magnétique génère une tension perpendiculaire à ce dernier.

Cet effet Hall électrofaible repose aussi sur une relation entre l’électricité et le magnétisme. La nuance, c’est qu’il s’applique dans des cas bien précis, à savoir des conditions extrêmes où deux forces fondamentales de la nature se superposent et se confondent. Ces deux forces, ce sont la force électromagnétique et l’interaction faible. Cette dernière est notamment responsable de la désintégration radioactive de particules subatomiques, et joue donc un rôle crucial dans la fusion nucléaire des étoiles. Dans des milieux à très haute énergie, ces deux forces peuvent être rassemblées dans une même description unifiée; on parle d’interaction électrofaible.

Or, les étoiles rassemblent toutes les conditions extrêmes qui pourraient donner lieu à cet effet Hall électrofaible théorique. Les implications de ce modèle ne sont pas encore parfaitement claires. Mais selon les modélisations des chercheurs japonais, cela pourrait ouvrir la voie à des interactions entre les photons et les neutrinos.

« En conditions normales “classiques”, les neutrinos n’interagissent pas avec les photons », explique Kenzo Ishikawa, auteur principal de l’étude. « En revanche, nous avons révélé qu’ils peuvent entrer en interaction dans les champs magnétiques uniformes de taille extrême, notamment au sein du plasma généré au voisinage des étoiles ».

Des implications pratiques dans l’étude du Soleil

La bonne nouvelle, c’est qu’il serait envisageable de reproduire ces conditions de haute énergie au sein d’un accélérateur. Le cas échéant, cela permettrait de tester la validité de la description mathématique (on parle de Lagrangien) de cette interaction théorique.

Si cette éventualité se vérifie, c’est typiquement le genre de travaux qui permettront de compléter et d’affiner le modèle standard de la physique des particules. Un progrès considérable en physique fondamentale, en somme.

Mais il ne s’agit pas que d’un exercice de pensée pour physicien avide de théories abstraites. Ce modèle pourrait aussi permettre de répondre à certaines questions très concrètes sur la dynamique des étoiles. « Nos travaux pourraient aider à expliquer ce qu’on appelle le puzzle du chauffage de la couronne solaire », explique Ishikawa.

Il fait référence à un vieux mystère de l’astronomie. La couche externe de l’atmosphère du Soleil — sa couronne — est nettement plus chaude que sa surface, ce qui semble pourtant incompatible avec la théorie du transfert de chaleur. Cette incohérence pointe vers l’existence d’un phénomène encore jamais documenté — et il pourrait justement s’agir de cette fameuse interaction entre les photons et les neutrinos générée par l’effet Hall électrofaible.

« Nos travaux montrent que ces interactions libèrent de l’énergie qui pourrait chauffer la couronne. Nous allons donc continuer nos travaux à la recherche de nouveaux indices, tout particulièrement en ce qui concerne le  transfert d’énergie entre photons et neutrinos dans ces conditions extrêmes », conclut le chercheur.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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