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Des chercheurs ont réussi à réorganiser la structure d’une molécule

Une grande première aux implications profondes, mais encore très floues.

En chimie, les lois de la physique qui régissent les différentes réactions entre les éléments connus commencent à être très bien maîtrisées. Les spécialistes sont capables de prévoir le comportement de la matière avec une précision bluffante ; ils peuvent déterminer les interactions des particules comme les électrons pour savoir comment une molécule va évoluer sous l’influence d’un stimulus particulier.

L’exemple le plus simple est certainement celui de l’eau ; on sait parfaitement qu’en modifiant la température, on peut créer ou rompre des liens entre les atomes d’hydrogène des molécules d’eau pour la rendre solide ou liquide.

Mais si les chimistes sont devenus très doués pour contrôler les paramètres physiques qui conditionnent une réaction, ils sont encore loin de connaître tous les mécanismes fondamentaux de ces interactions à la plus petite des échelles.

Un contrôle toujours plus fin sur la matière

Il est donc encore impossible de façonner la matière en modifiant à loisir la structure des molécules individuelles ; les spécialistes doivent se contenter de mettre en place un ensemble de conditions idéales qui permettent à la réaction de se dérouler spontanément. C’est un peu comme trouver l’ensemble de paramètres qui permettent à une grosse machine de fonctionner correctement, mais sans comprendre précisément ce qui se passe à l’intérieur.

Depuis des lustres, des chimistes et chercheurs en sciences des matériaux tentent donc de trouver une approche qui permettrait de contrôler la structure des molécules individuelles. Jusqu’à présent, aucune de ces recherches ne s’est avérée concluante. Mais une équipe internationale de chercheurs vient d’affirmer qu’elle y était parvenue pour la première fois.

Ils sont partis d’une substance baptisée 5, 6, 11, 12-tetrachlorotetracene (TCT). Ceux qui ont déjà suivi des cours de chimie organique reconnaîtront immédiatement une molécule qui présente plusieurs structures cycliques à base d’atomes de carbone.

Une même composition chimique, mais deux structures différentes : voici deux isomères du cyclohexane. © Jorge Stolfi – Wikimedia Commons

Sa composition fait qu’elle peut adopter plusieurs formes différentes (on parle d’isomères) ; tout dépend de la façon dont ses atomes sont reliés entre eux. C’est donc un objet d’étude parfait pour des chercheurs qui souhaitent s’entraîner à manipuler la structure des molécules.

Des isomères qui marchent à la baguette

Ils ont commencé par faire pousser des cristaux de sel sur une couche de cuivre. Cette étape permet à la molécule de s’agripper fermement à la surface; elle dispose en effet de quelques atomes de chlore (Cl) qui peuvent former des liaisons atomiques avec les cristaux de sel.

© Alabugin and Hu via Science

Ils ont ensuite arraché les molécules de TCT à cette surface. Cela a pour effet de rompre les ponts entre ces atomes de chlore et les atomes de carbone. Sans rentrer dans le détail du fonctionnement d’une liaison entre deux atomes, ce qui est important dans ce cas de figure, c’est que cela laisse des atomes de carbone accrochés à un seul électron solitaire.

Très vulgairement, ces électrons ne supportent pas de rester seuls ; énergétiquement parlant, c’est une situation instable. Les lois de la thermodynamique les poussent donc à se trouver un partenaire pour équilibrer ce bilan énergétique. En conditions réelles, cela aboutit généralement à une liaison rapide avec un autre atome ou à un changement de structure. Mais dans ces conditions très contrôlées, cette situation a offert une formidable plateforme d’expérimentation aux chercheurs.

Grâce à une minuscule baguette qui servait d’électrode, ils ont pu manipuler le voltage directement au voisinage de certains électrons. Cela leur a permis de forcer la molécule à adopter différentes structures très particulières en fonction du voltage appliqué.

Ces structures étaient fondamentalement différentes de celles qui seraient apparues spontanément, car les lois de la thermodynamique favorisent toujours les configurations les plus stables. Concrètement, ils ont donc modifié la structure de cette molécule “manuellement”, au lieu de se contenter de mettre en place les conditions nécessaires à une réaction chimique.

De nouvelles pistes de recherche évidentes et prometteuses

C’est la première fois que des chercheurs réussissent à manipuler directement la structure d’une molécule à cette échelle. Cette technique est encore très expérimentale, mais elle pourrait bien déboucher sur des découvertes très importantes.

Le fait de pouvoir forcer une molécule à alterner entre différents isomères pourrait rapidement devenir un outil important en recherche fondamentale. En expérimentant sur différentes molécules, les scientifiques pourraient mettre en évidence des particularités encore inconnues des électrons et des phénomènes qui régissent leurs interactions.

Ces travaux pourraient aussi bénéficier aux chercheurs en chimie organique. Cela pourrait permettre de tester certaines molécules pour identifier leurs configurations préférées (ou, plus précisément, leurs isomères les plus stables). Ces travaux pourraient déboucher sur des découvertes extrêmement importantes à tous les niveaux de la chimie, en particulier organique, avec des implications profondes en physiologie humaine.

Et ce n’est encore que la partie émergée d’un immense iceberg. À long terme, une fois que de nouvelles technologies auront émergé, on peut même imaginer mettre cette approche au service de nouveaux procédés de nanofabrication qui pourraient révolutionner des tas d’industries.

La technologie n’en est qu’à ses débuts, et les possibilités concrètes sont encore floues. Mais le potentiel de cette approche est incontestablement immense ; même si les retombées les plus importantes n’arriveront certainement pas avant un long moment, il sera donc très intéressant de suivre l’évolution de ces techniques d’ingénierie moléculaire.

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1 commentaire
  1. Nous sommes donc aux balbutiements de la nanofabrication et de l’intelligence artificielle. Si ces deux technologie finissent par atteindre leurs buts respectifs (fabriquer concrètement des matériaux et avoir une “conscience”) alors on aura enfin atteint les deux conditions nécessaires et suffisantes pour une révolution de type “machine rising” : des intelligences réelles disposant de la possibilité d’agir sur le monde physique. Youpi !
    Heureusement que d’ici là on aura déjà flingue nos écosystèmes…

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