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Médicaments : pourquoi c’est important de les prendre au bon moment

Un spécialiste de la chronothérapie insiste sur l’importance du timing dans la prise des médicaments, autant pour les patients que pour l’industrie pharmaceutique.

Un cachet le midi, trois gouttes après le repas du soir, une pilule au réveil… si votre médecin traitant prend la peine de détailler la chronologie des traitements qu’il vous prescrit, ce n’est pas pour le plaisir de vous imposer une contrainte supplémentaire; c’est parce que l’organisme réagit différemment à la présence de différentes substances en fonction de l’heure de la journée. C’est un état de fait déjà bien connu des professionnels; mais certains d’entre eux considèrent que dans de nombreux cas, cette temporalité n’a pas été suffisamment étudiée, et qu’il faudra s’y intéresser de plus près à l’avenir.

C’est en substance l’avis de Tobias Ecke, professeur d‘anesthésiologie à l’Université du Colorado. Dans le média collaboratif The Conversation, il a publié une tribune où il donne quelques exemples très intéressants avant de plaider pour l’introduction d’un nouveau cahier des charges en pharmacologie.

L’impact de l’horloge biologique sur la physiologie

Il commence par rappeler que de très nombreuses fonctions physiologiques dépendent du rythme circadien. Ce dernier est la manifestation de nos horloges biologiques internes, ces mécanismes de régulation qui influent sur des tas de processus dans l’organisme.

Cette influence diffère en fonction de l’activité et du moment de la journée. Par exemple, pendant la nuit, le cerveau fait ralentir tout un tas de mécanismes physiologiques; il peut ainsi donner la priorité à ceux qui contribuent au repos. C’est pour cette raison que le fait d’enchaîner les casse-croûtes pendant la nuit favorise la prise de poids.

Mais cela va bien plus loin que le stockage des matières grasses. Par extension, cela montre aussi que toutes les protéines spécifiquement visées par un médicament en particulier peuvent réagir différemment à différents stades du cycle circadien.

Ce constat, établi il y a plusieurs décennies déjà, a conduit à l’émergence d’une branche distincte de la pharmacologie; on parle de chronothérapie. Ses spécialistes, comme Tobias Ecke, étudient l’impact thérapeutique et les effets secondaires de différentes substances en fonction des moments de la journée où elles sont administrées. Pour plus de détails, vous pouvez consulter ce très bon résumé édité par l’Inserm.

L’heure, c’est l’heure

Ces travaux ont déjà permis de faire des progrès en termes de santé publique. Ecke cite l’exemple de la simvastatine. C’est un puissant inhibiteur d’une enzyme impliquée dans la synthèse du cholestérol; il permet d’en abaisser la concentration dans le sang. Or, une équipe de chercheurs a remarqué que cette molécule était nettement plus efficace lorsqu’elle était prise à la fin de la journée, parce que l’enzyme ciblée est nettement plus active pendant la nuit.

Depuis, les chercheurs ont trouvé des tas d’autres exemples de ce genre. Ils concernent des médicaments contre les remontées acides, la tension artérielle, et même des traitements complexes utilisés dans le cadre de chimiothérapies. On peut aussi imaginer des tas d’autres bénéfices potentiels pour la prise en charge de la douleur, des dérèglements hormonaux…

© Malvestida – Unsplash

Malheureusement, cela fonctionne aussi dans l’autre sens; prendre certains médicaments au mauvais moment peut générer des effets secondaires assez préoccupants. Avec son équipe d’universitaires, Tobias Ecke a d’ailleurs publié une étude particulièrement évocatrice à ce sujet. Ils ont déterminé que le midazolam, un puissant sédatif, était susceptible de “dérégler l’horloge interne qui protège le cœur pendant la nuit“.

C’est une conclusion tout sauf anecdotique. En effet, ce midazolam est l’un des anesthésiques les plus utilisés au monde; il est administré lors de très nombreuses opérations chirurgicales. Et surtout,  il n’existe pour l’instant aucune référence pour indiquer aux praticiens à quel moment ils serait préférable de l’administrer.

Mais ce n’est pas seulement pour mettre en avant son travail qu’Ecke a rédigé cette tribune. Son objectif, c’est surtout de réclamer deux choses : une meilleure information du public par rapport à cette problématique, et un approfondissement considérable des études en chronothérapie.

Vers une évolution des procédures en pharmacologie ?

Nous avons besoin de davantage de recherche pour déterminer les meilleurs moments pour administrer différents traitements”, explique-t-il. Cela impliquerait notamment de mener des études poussées de ces molécules sur des cycles complets de 24 heures;  cela n’a malheureusement jamais été fait pour de nombreux médicaments pourtant très courants.  Il s’agira donc d’un travail de titan; un énorme volume de données est nécessaire pour parvenir à des conclusions solides dans ce contexte.

Ces explorations pourraient dévoiler des informations très intéressantes sur des médicaments extrêmement courants; certains d’entre eux pourraient avoir des effets secondaires discrets, mais significatifs lorsqu’ils sont pris au mauvais moment. À l’inverse, nous pourrions aussi perdre une partie du bénéfice thérapeutique de certains traitements sans même le savoir.

Edke estime que les chercheurs vont devoir faire de plus en plus attention à l’aspect chronothérapeutique lorsqu’ils développent des médicaments. © Scott Graham – Unsplash

Le cas échéant, il faudra alors en tirer les conséquences qui s’imposent. Il pourrait s’agir d’une simple modification de la posologie; mais dans certains cas, il pourrait même être nécessaire de changer radicalement la formule de certains médicaments, notamment parmi ceux qui persistent plus de 24 heures dans l’organisme.

Une précision importante : ce sont impérativement les chercheurs en pharmacologie qui devront parvenir à ces conclusions ! Pour le patient moyen, il serait extrêmement imprudent de modifier son propre traitement sur la base d’un ressenti aussi subjectif qu’hasardeux. Si vous avez l’impression qu’un certain traitement ne fonctionne pas avec la posologie actuelle, n’improvisez surtout pas; parlez-en à un professionnel de santé qui pourra prendre une décision éclairée.

Il sera néanmoins intéressant de voir si les laboratoires tiendront compte de cet appel. On peut s’attendre à ce que les travaux sur la chronothérapie accélèrent considérablement à l’avenir; ils pourront notamment surfer sur l’explosion des outils analytiques basés sur l’IA, qui sont particulièrement performants lorsqu’il s’agit d’identifier ce genre de relations statistiques subtiles.

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