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La danse des atomes observée grâce à une caméra révolutionnaire

Avec sa vitesse d’obturation phénoménale d’un millionième de millionième de seconde, ce dispositif peut observer directement le désordre dynamique des atomes au sein de la matière.

Dans des travaux repérés par ScienceAlert, des chercheurs ont présenté une caméra expérimentale d’un nouveau genre qui elle affiche une vitesse d’obturation absolument phénoménale. Cette technologie n’aura aucun intérêt pour vos selfies et vos photos de famille ; les physiciens, en revanche, espèrent qu’elle leur permettra de percer certains de la matière à la plus petite des échelles.

Lorsque l’on capture une image avec un boîtier photo, l’appareil émet traditionnellement un clic caractéristique. Une partie de ce son est due au mouvement de l’obturateur, ce mécanisme qui protège le capteur photo. Il ne s’ouvre qu’au moment de la prise pour laisser passer la quantité de lumière adéquate. Plus il reste ouvert longtemps, plus le capteur sera exposé aux photons.

Il faut donc calibrer soigneusement la durée de cette ouverture (on parle de temps de pose, ou parfois de vitesse d’obturation en fonction du contexte) pour éviter la sur- ou sous-exposition de l’image. Pour prendre une belle photo au zénith d’un dimanche d’été, il faut opter pour un temps de pose faible. Dans le cas contraire, le capteur sera inondé de lumière. On obtient alors un cliché où les détails sont perdus dans un océan de pixels blancs. On dit vulgairement que l’image est « cramée » ou « bouchée ».

À l’inverse, pour capturer un objet dans un environnement très sombre, il faut laisser le capteur à nu pendant une durée prolongée. C’est par exemple le cas des télescopes qui scrutent l’espace interstellaire. Les étoiles lointaines sont si discrètes qu’il faut généralement plusieurs minutes de capture pour obtenir une image exploitable.

Les atomes ont la bougeotte

Mais cette règle d’or ne convient pas forcément dans tous les cas de figure. Il faut aussi tenir compte du mouvement des objets. Plus le temps d’exposition est élevé, plus on a tendance à voir apparaître du flou dans les zones concernées. C’est un phénomène qui peut être exploité à des fins artistiques, et les photographes les plus expérimentés sont tous passés maîtres dans l’art d’utiliser cet artifice.

Mais en science, cela pose un vrai problème. C’est notamment le cas pour les physiciens qui étudient le comportement des particules à la plus petite des échelles. Photographier des objets de la taille d’un atome n’est déjà pas facile en temps normal. Et lorsqu’on intègre le mouvement erratique de ces objets à l’équation, il devient presque impossible de leur tirer le portrait convenablement. Pour y arriver, il faut mettre en place un ensemble de conditions ultra-contrôlées. Malheureusement, cela signifie que l’observation ne sera pas nécessairement pertinente dans le monde réel.

une vue d'artiste d'un atome
© Norbert Kowalczyk

Un fait regrettable pour les chercheurs. Car en prenant ce genre d’images, ils pourraient étudier des phénomènes physiques aussi importants que mystérieux avec un degré de précision inédit.

C’est notamment le cas d’une équipe de chercheurs des universités de Columbia, aux États-Unis, et de Bourgogne, en France. Ensemble, ils explorent un champ de recherche à la pointe de la physique fondamentale : le désordre dynamique à l’échelle atomique.

En substance, lorsqu’un matériau est soumis à un stimulus externe, les atomes se mettent à se déplacer de façon relativement coordonnée selon des motifs bien précis. Les enjeux de cette “danse”, selon les auteurs, sont encore très mal compris. Mais on sait qu’elle joue un rôle déterminant dans les propriétés des matériaux. Ce désordre définit au moins en partie la façon dont se déroulent les réactions chimiques. Or, jusqu’à présent, personne n’a réussi à l’observer de façon satisfaisante. Car pour éviter le flou à cette échelle, il faudrait atteindre un temps d’exposition incroyablement faible.

Une “caméra” à neutrons ultrarapide

Pour y parvenir, les chercheurs de Bourgogne et de Columbia ont développé une toute nouvelle « caméra » ultrarapide. Précisons toutefois qu’il s’agit toutefois d’un abus de langage. En effet, il ne s’agit pas d’un véritable appareil photo au sens conventionnel du terme. Au lieu d’enregistrer le signal véhiculé par les photons qui constituent la lumière, ce dispositif baptisé vsPDF (variable shutter atomic Pair Distribution Function) enregistre la façon dont un flux de neutrons (l’un des types de particules qui composent les atomes) interagit avec la matière.

Fonctionnellement, le résultat est sensiblement le même qu’avec un appareil photo standard. On obtient une image fixe de l’état d’un système à un instant t. La grosse différence, c’est la durée pendant laquelle le capteur est mis à nu pour l’enregistrer.

Sur un appareil photo moderne, la vitesse d’obturation maximale est généralement de l’ordre de 1/4000 de seconde. Elle atteint parfois 1/8000 sur des modèles encore plus performants. Le dispositif imaginé par les chercheurs, en revanche, peut atteindre… une picoseconde, soit un millionième de millionième de seconde !

Bientôt incontournable dans les labos ?

Pour mettre ce système à l’épreuve, les chercheurs se sont penchés sur le cas du tellurure de germanium. C’est un semi-conducteur très utilisé dans l’optique et l’électronique de pointe.

Ils ont observé qu’à haute température, les atomes se sont mis à transformer leur énergie cinétique (très vulgairement, l’énergie du mouvement) en énergie thermique selon un gradient qui suivait parfaitement le sens de la polarisation électrique. Autrement dit, ils ont pu observer directement le désordre dynamique des atomes. Et surtout, ils ont réussi à établir un lien direct avec certains échanges d’énergie qui se déroulent dans la matière. Et il s’agit d’une preuve de concept assez spectaculaire.

une représentation des atomes photographiés avec un temps d'exposition d'une picoseconde
© Jill Hemman/ORNL, U.S. Dept. of Energy

Ils espèrent désormais qu’elle permettra de percer les secrets les mieux gardés de ce phénomène. « Avec cette technique, nous pourrons observer un matériau et voir quels atomes prennent part à cette danse, et lesquels restent à l’écart. Il n’y a qu’avec ce nouvel outil que l’on peut vraiment voir cette facette des matériaux », se réjouit Simon Billinge, physicien des particules à l’Université de Columbia dans un communiqué.

Désormais, tout l’enjeu va être d’amener cette technologie à maturité. Une fois que vsPDF sera mature, il y a de bonnes chances qu’il s’impose comme un nouvel outil de référence. « Nous nous attendons à ce que la technique vsPDF décrite ici s’impose comme un outil standard pour réconcilier les structures locales et globales de l’énergie dans les matériaux », concluent les chercheurs. Il pourra ainsi participer à de grands progrès en physique fondamentale et en science des matériaux.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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