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Ce mini-cerveau artificiel résout des équations et reconnaît des mots

La recherche sur les organoïdes cérébraux avance rapidement, et devient d’autant plus prometteuse qu’elle pourrait jouer un rôle significatif dans la révolution de l’intelligence artificielle.

Un vieil adage stipule qu’il n’y a pas d’ordinateur plus puissant que le cerveau humain. Ce dicton est d’autant plus pertinent aujourd’hui, en plein essor de l’intelligence artificielle. Malgré les progrès fulgurants de ChatGPT et consorts, des technologies qui imitent le fonctionnement du roi des organes, il n’existe toujours pas de couple machine/programme suffisamment avancé pour rivaliser avec l’incroyable flexibilité de ces milliards de neurones reliés par des centaines de milliards de synapses.

Mais il en faudra bien plus pour décourager les chercheurs qui ont consacré leur vie à la conception d’une IA généraliste. Aujourd’hui, des tas d’approches sont en train d’arriver à maturité petit à petit. L’une d’entre elles est à la fois terrifiante et fascinante ; au lieu de se focaliser sur les réseaux de neurones artificiels, certains chercheurs préfèrent tenter leur chance du côté des organoïdes. Ce sont de petits amas de cellules synthétiques qui imitent le fonctionnement d’un organe — en l’occurrence, le cerveau.

L’avènement des “cerveaux” hybrides

On parle d’informatique neuromorphique. C’est une approche séduisante dans le contexte actuel. Car si les ordinateurs classiques sont nettement plus habiles pour jongler avec des nombres bruts dans l’absolu, nos cerveaux sont capables de traiter des informations complexes en utilisant une quantité d’énergie relativement faible. Surtout par rapport aux modèles IA les plus avancés du moment, donc l’entraînement requiert une quantité d’énergie faramineuse.

À noter qu’il ne s’agit en aucun cas de véritables cerveaux. Ils sont extrêmement loin de la complexité structurelle de l’organe qui siège entre vos deux oreilles, et à des années-lumière de pouvoir héberger une conscience ou des pensées propres. Ce sont simplement des amas de cellules capables de produire un signal en réponse à un stimulus ; un petit processeur biologique, en somme. Ni plus ni moins.

Les travaux sur ce sujet sont encore assez timides, pour des raisons à la fois éthiques et techniques. Mais les progrès commencent à devenir significatifs. Par exemple, en 2021, une équipe a dévoilé un ensemble de « mini-cerveaux » cultivés en laboratoire à partir de neurones vivants qui ont appris à jouer au célèbre jeu vidéo Pong (voir notre article). Un concept encore assez rudimentaire, mais qui en dit long sur le potentiel de cette approche biologique.

Brainoware, un nouvel organoïde prometteur

Récemment, ce sont les chercheurs de l’Université de Bloomington, dans l’Indiana, qui ont présenté leurs derniers travaux sur cette thématique : un organoïde cérébral baptisé Brainoware. Cette fois, pas question de s’arrêter à Pong ; ils ont poussé le concept nettement plus loin, et les résultats se sont avérés assez bluffants.

L’équipe de Feng Guo est partie de cellules souches pluripotentes humaines, des précurseurs cellulaires qui sont capables de se différencier en un tas de types de cellules différents. Ils ont ensuite ajouté divers facteurs de croissance pour les transformer en différents types de cellules cérébrales. À partir de ce matériel, ils ont pu former plusieurs organoïdes cérébraux qui ont ensuite été connectés à une interface composée de nombreuses microélectrodes.

Les bases du système étant posées, ils ont commencé par le stimuler avec des impulsions électriques à travers les microélectrodes. Cette démarche a vocation à reproduire l’activation des neurones dans un vrai cerveau, de façon à ce qu’ils puissent commencer à établir des connexions entre eux. Au terme de cette phase de conditionnement, les chercheurs ont observé des changements dans la structure du réseau de neurones, indiquant que ce cerveau hybride était capable de répondre au stimulus pour « traiter » une information.

À partir de là, ils lui ont soumis des tâches bien plus complexes que l’on réalise couramment sur des ordinateurs, ou qui sont utilisées pour évaluer la puissance des algorithmes de machine learning modernes.

Des chiffres et des lettres

Par exemple, le premier test consistait à lui faire résoudre des équations. Ces dernières n’étaient pas excessivement complexes (rien à voir avec les formules utilisées en physique des particules, par exemple), mais tout de même suffisamment corsées pour que la majorité des humains soit incapable de les résoudre de tête dans un temps raisonnable. Après une phase de calibration, Brainoware s’est avéré extrêmement compétent dans cet exercice.

Le deuxième était encore bien plus complexe. Le cerveau hybride a d’abord été entraîné à partir de 240 clips audio qui ont été convertis en signal électrique pour être transmis par les électrodes. En réponse à chacun de ces signaux, Brainoware génère son propre signal.

Brainoware Signal
Une visualisation du signal produit par Brainoware. Chaque point correspond à la stimulation d’une ou plusieurs microélectrodes en réponse à un signal. © Cai et al.

Là encore, il convient de rappeler que les organoïdes ne sont absolument pas capables de comprendre le sens des informations qu’ils traitent comme un humain le ferait. À leur échelle, il s’agit simplement de signaux électriques à partir desquels ils produisent un autre signal en retour.

En d’autres termes, Brainoware ne peut pas comprendre ce qu’on lui dit ; ce n’est pas une entité intelligente dans un bocal, mais simplement un ensemble de transistors biologiques. Ce sont toujours des humains qui doivent se charger d’interpréter le signal retour par la suite. En l’occurrence, cette étape a été effectuée par un algorithme de machine learning traditionnel, entraîné spécifiquement pour décoder ces informations en les mettant en relation avec les extraits initiaux.

A quand les premiers bioprocesseurs ?

Malgré ces limites, au terme de l’expérience, l’organoïde a réussi à transcrire ces extraits audio avec une précision d’environ 78 %. Un score encore largement inférieur à ce dont sont capables les modèles IA les plus avancés du moment, certes. Mais c’est la première fois qu’un organoïde se révèle capable d’une telle tâche. Pour les chercheurs, il s’agit donc d’un grand succès. « C’est une première démonstration d’un organoïde cérébral pour le traitement d’informations », déclare Feng Guo.

Cela signifie-t-il que nous sommes proches des premiers processeurs biologiques hybrides capables de rivaliser avec les meilleures puces IA du moment ? Certainement pas. À ce stade, la technologie est encore très loin d’être suffisamment mature, sans parler de toutes les problématiques liées à la persistance des données ou au traitement de plusieurs informations en parallèle.

Mais Brainoware représente un pas très convaincant dans cette direction. Certes, le chemin est semé d’embûches, et il faudra naviguer avec précaution pour éviter une catastrophe éthique une fois que la technologie sera suffisamment avancée. Mais il sera très intéressant de voir ce que les recherches en informatique neuromorphique vont produire ces prochaines années ; les scientifiques pourraient apprendre des tas de choses susceptibles de bénéficier au machine learning traditionnel, ou à d’autres disciplines telles que les neurosciences. « C’est très excitant d’imaginer le potentiel des organoïdes dans la bio-informatique du futur », se réjouit Guo.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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2 commentaires
  1. Sérieusement… il n’y a que moi qui voit le problème ???? Le pire c’est que l’article évoque tout de meme un jour une possible catastrophe éthique mais en précisant bien qu’on en est loin comme pour se rassurer lui-même!

  2. JOURNET : Sérieusement, est-ce que vous croyez que tous les labos de la planète vont respecter la frontière éthique ? Bien-sûr que ce n’est pas bien ! Mais est-ce que vous croyez ça ?

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