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Faut-il vraiment arrêter de prendre l’avion pour sauver la planète ?

Avion zéro carbone, 100% des émissions CO2 compensées… les nouveautés aéronautiques donnent le sentiment que prendre l’avion est aujourd’hui totalement écolo. Est-ce bien vrai ? On a posé la question à quelques experts.

Groland avait tout compris avant tout le monde. Il y a plus de dix ans, déjà, les créateurs de l’émission culte nous montraient en trois minutes, avec leur talent habituel, qu’il est paradoxal de rouler électrique et d’utiliser des panneaux solaires si c’est pour prendre l’avion dès les beaux jours venus. L’impact de ces trajets est en effet significatif et vu la situation climatique actuelle, on peut se demander si les partisans du flygskam n’ont pas raison: est-il bien raisonnable de partir en vacances par la voie des airs ? Quelques experts nous ont aidés à y voir plus clair.

L’impact environnemental des trajets en avion est-il si important que cela ?

Sur le sujet, on s’inquiète à la fois trop et pas assez. Le transport aérien est responsable de 2,4% des émissions mondiales de CO2 soit bien moins que les activités liées à internet (environ 4%) ou que le secteur du textile et de l’habillement (8 à 10%). Il faut cependant mettre ce chiffre en perspective avec un facteur important : cet impact est généré par un nombre de personnes très réduit. En France, 40% de la population n’avait pas pris l’avion une seule fois au cours de l’année 2015. “Et le PDG de Boeing a estimé (ndlr en 2017) que 80% de la population mondiale n’a jamais pris l’avion”, soulignent Olivier del Bucchia et Grégoire Carpentier, membres du collectif Supaéro-Décarbo. Qu’une activité pratiquée par une si petite frange de la population génère un tel impact pose évidemment question.

Les compagnies n’ont-elles pas réglé le problème avec leurs programmes de compensation carbone ?

Ne vous inquiétez pas, vos trajets seront neutres en carbone, on se charge de compenser les émissions.” Voilà en substance ce que promettent depuis peu de nombreuses compagnies aériennes. Pour rassurer les clients écolos, elles ont en effet beaucoup investi dans des programmes de reforestation censés absorber autant de CO2 que les vols en émettent. Trop beau pour être vrai ? Indubitablement. Pour commencer, planter des arbres ne suffit pas “il s’agit de reconstruire l’équivalent d’un puits de carbone naturel (…) Cela demande des compétences en gestion de forêt et un suivi sur plusieurs dizaines d’années” nous expliquent Olivier del Bucchia et Grégoire Carpentier avant de rappeler l’exemple désastreux de ce programme en Turquie où 11 millions d’arbres plantés en novembre 2019 étaient quasi tous morts trois mois plus tard. Il faut également s’assurer que le bois arrivé à maturité ne sera pas brûlé ensuite (tout le bénéfice serait perdu). Autre problème de la compensation carbone : la taille des surfaces qu’elle requiert. Selon Supaero-Decarbo qui collabore activement avec The Shift Project, compenser les émissions de CO2 du seul secteur aérien nécessite de maintenir en permanence une surface de forêt en croissance de l’ordre de… 2,2 fois la France. “Que faire des émissions pour les autres secteurs ? Où trouver ces surfaces ?” questionnent Olivier del Bucchia et Grégoire Carpentier. Ces questions sans réponse montrent bien que si la reforestation est une politique louable en soi, elle n’est pas la solution miracle aux problèmes posés par un mode de vie énergivore.

Mais l’avion zéro carbone, c’est pour bientôt non?

La situation n’est pas si simple. Le secteur a réduit significativement son impact environnemental ces dernières année. Grâce, entre autres, à la modernisation de sa flotte, à l’optimisation de ses trajectoires de vols et à celle du taux de remplissage des avions, Réginald Otten, directeur adjoint d’EasyJet pour la France nous explique ainsi que la compagnie a réduit ses émission de carbone “de plus d’un tiers depuis 2000”. Le secteur aéronautique a du reste bien d’autre projets dans les tuyaux pour réduire de façon importante son impact. “Des moteurs toujours plus efficaces, via la propulsion hybride ou l’open rotor, voire avec des ruptures franches comme la propulsion ionique ou à hydrogène. Des avions de forme très innovantes comme les ailes volantes ou des avions aux ailes beaucoup plus fines. Ces innovations apporteront des améliorations très importantes. Et les carburants alternatifs pourraient théoriquement permettre une réduction de 50% de l’empreinte carbone des vols”, nous confie Xavier Tytelman, consultant aéronautique chez CGI Business Consulting.  Ces solutions ont beaucoup de potentiel mais elles ne porteront leurs fruits qu’à long terme, d’ici 10 ou 15 ans. La situation est la même si l’on se penche sur les avions électriques dont on entend beaucoup parler en ce moment. Ces appareils sont en effet confrontés à un problème auquel nous n’avons pour l’heure pas de solution : la densité énergétique des batteries, environ 10 fois moindre que celle du kérosène “Sur un A320, on passe donc de 30 tonnes de kérosène à 300 tonnes de batteries ce qui est problématique, puisque la masse maximale au décollage est de 70 tonnes” nous expliquent Olivier del Bucchia et Grégoire Carpentier (Supaéro-Décarbo)

OK que faire alors ?

On vient de le voir, les innovations dans l’aéro sont très prometteuses et il est crucial de miser dessus. “Mais il est nécessaire de de réduire nos émissions dès maintenant” nous rappelle Agathe Bounfour, responsable Transport au Réseau Action Climat. En attendant que le secteur ait réussi à mettre au point un avion bas carbone, vu le contexte climatique actuel, il va falloir réévaluer la pertinence de certains trajets. Chez Réseau Action Climat, on demande entre autres la fermeture des lignes intérieures qui représentent moins de 5h de train, une réduction des déplacements professionnels et plus généralement une réflexion sur la fréquence des déplacements. Les experts de Supaero-Decarbo prennent ainsi l’exemple d’un aller-retour Paris-New York : “Avec les technologies d’aujourd’hui, ce trajet émet environ 1 tonne de CO2 or le système climatique peut absorber 2 tonnes de CO2 par terrien par an pour 7 milliards d’humains.” Ce simple voyage consomme donc la moitié du budget à tenir idéalement sur… une année entière ! Si la réduction des trajets en avion apparaît nécessaire en attendant l’avion bas carbone, elle nécessitera toutefois du doigté. Le secteur aérien est en effet hautement stratégique en France.“La seule compagnie Air France génère par exemple à elle seule 1,4% du PIB français. Sur le plan industriel, le secteur aéronautique civil représente plus de 200 000 emplois directs et est le premier contributeur à notre balance commerciale. Il n’est pas envisageable d’abandonner et de réorienter un pan entier de notre industrie, d’autant qu’il s’agit du dernier pan de l’industrie dans lequel la France est réellement compétitive”, analyse Xavier Tytelman, consultant aéronautique chez CGI Business Consulting. Au sein de  Supaero-Decarbo, on a bien conscience des enjeux. Le collectif qui collabore activement avec The Shift Project a ainsi examiné la façon dont il faudrait accompagner une baisse de trafic pour ne pas saper la filière.La reconversion d’une part des emplois dans les compagnies aériennes et les services aéroportuaires est incontournable dès lors qu’une baisse de trafic est envisagée et elle nécessitera une politique d’emploi ambitieuse”. Côté industrie, il faudra selon eux encourager la transition d’un modèle économique centré sur la croissance vers un modèle économique centré sur l’efficience énergétique. “Pour basculer, nous précisent les deux experts, il faudra que les compagnies aériennes aient une incitation forte à remplacer leurs avions antérieurs et que l’industrie soit convaincue que développer les programmes correspondants ne représente pas un risque industriel excessif.” Les pros de l’aérien ne sauteront pas sans parachute.

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10 commentaires
  1. Qu’une activité pratiquée par une si petite frange de la population génère un tel impact pose évidemment question.

    C’est vrai que cette phrase peut faire réagir, néanmoins il faut préciser que le chiffre des émissions de CO2 prend également en compte le transport de marchandise. Et là, je pense qu’on peut affirmer sans mal qu’une grande majorité des personnes vivants en France en profite…

  2. Surtout faudrait consommer un peut plus local et évité de transporté des certaines partie animales d’Amérique latine en Europe pour les transformer, ils peuvent directement les transformer là-bas et faire les produits définitifs aussi avant de les expédier dans le monde.

  3. Chacun doit prendre ses responsabilité sur sa consommation personnelle de CO2 et notamment de savoir si on doit prendre l’avion ou pas est plutôt cocasse. Car sur journal du geek in est pas les derniers a promouvoir les objets sans intérêts qui viennent de l’autre bout du monde et qui arrivent beaucoup par avion.

  4. elon musk montre la voie avec les tesla et ses toits à tuile solaire. Airbus devrait s’en inspirer: l’électricité. On peut proposer une alternative mais il faut investir dans la recherche avec des objectifs cohérents et des délais à tenir.

  5. Le transport de marchandises est une part très faible du transport aérien, et se fait souvent dans les soutes des transports de passagers, donc tant que ça reste une très petite fraction comme ça, ça n’est pas réellement impactant. Effectivement, il faut éviter que cette demande augmente.

    Une grande partie des marchandises qui traversent la planète le font en bateau plutôt qu’en avion.

    Ça n’empêche pas qu’il faudra penser aussi à relocaliser beaucoup de choses.

  6. L’avion électrique sur batteries est une utopie. Les batteries sont trop lourdes (et les perspectives d’évolution dans le domaine insuffisantes) pour que l’avion électrique soit pour bientôt. Les derniers résultats permettent de transporter jusqu’à 4 passagers sur moins de 200km. C’est pas comme ça qu’on va traverser l’atlantique.
    Avec des moteurs électriques, on peut toujours embarquer de l’hydrogène qu’on transforme en électricité avec une pile à combustible. Le volume des réservoirs d’hydrogène fait que ça n’est pas possible pour le très long courrier. Attention par contre à la quantité colossale d’énergie qu’il faut pour créer cet hydrogène (les estimations sont que pour passer tout le secteur de l’aviation à l’hydrogène, il faudrait consacrer la moitié de la production d’électricité décarbonée de 2050 juste à ce secteur, donc ça fait beaucoup)

  7. C’est pas aussi simple pour l’avion, a la fois le poids et la capacités des batteries sont des handicaps mais surtout du point de vue vitesse, on arrive à peine à 500 km/h, là où les avions actuels volent en croisière à peu près deux fois plus vite.
    Et Elon Musk n’est pas forcément parfait avec SpaceX et sa soixantaine de lancement par an, c’est aussi une sacré quantité d’émission qui ne sont peut être pas vraiment calculer. ArianeEspace ne fait qu’une vingtaine de lancement annuel.

    Dans tous les cas aujourd’hui il est impossible de stocker assez d’énergie, ni d’en produire assez pour que cela soit viable. Il suffit de voir Solar Impulse, une sacré prouesse mais qui faisait voler un seul homme.

  8. Se poser la question pour un secteur qui génère entre 3 et 4% des émissions de CO2 globale, c’est vraiment vouloir gaspiller de l’énergie pour rien.
    Que dire des centrales à charbon ou des élevages de bétail ? Les deux combiné sont responsable de plus de la moitié des émissions de CO2…
    Attention, je ne veux pas dire qu’il faut devenir vegan, mais peut-être consommer un peu moins et revoir les fermes et le traitement des émission de méthane.
    Pour les centrales à charbon, il n’y a pas de miracles : il faut les fermer et remplacer avec du nucléaire (vue que le “renouvelable” pilotable est plus polluant que le nucléaire). Mais con, après en Europe, le nucléaire c’est un sujet tabou par ignorance et manque d’investissement dans les réacteur RSF…

  9. Ton commentaire tombe à pic avec la dernière vidéo de DataGueule sur le sujet !

    La problématique sur le secteur aérien est surtout sur l’émission carbone par une “petite” part de la population et qu’il pourrait souvent être remplacé par du train (en national), qui lui utiliserait du nucléaire.
    Ou par de la visio quand il s’agit de déplacement pro.

    Après, je me demande si ces “3 à 4%” prennent en compte le fait de se déplacer jusqu’à l’aéroport, etc… Puisque souvent, il faudra prendre un transport pour y aller, lorsqu’on descend et idem au retour.

  10. Le consultant aéronautique qui propose la propulsion ionique devrait surement changer de métier sans plus tarder..

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