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Sextech et santé : quand le plaisir devient thérapeutique

La santé sexuelle peine encore à s’imposer dans le parcours médical des Français. Le plaisir y aurait pourtant toute sa place.

Alors que certains sextoys thérapeutiques sont déjà remboursés par quelques pays d’Europe, le projet semble encore inimaginable en France, où certains préservatifs et protections périodiques réutilisables commencent tout juste à être pris en charge par la Sécurité sociale (à condition d’avoir moins de 26 ans, et de présenter une ordonnance médicale). Pourtant, l’idée est loin d’être aussi improbable qu’elle n’y paraît.

La santé sexuelle, c’est la santé

Définie dès 2003 par l’OMS comme un “état de bien-être physique, émotionnel, mental et social associé à la sexualité”, la santé sexuelle est désormais considérée – à juste titre – comme une condition intrinsèque de notre épanouissement, au même titre que le bien-être physique et mental. Plutôt que concentrer leurs efforts uniquement sur le pénis et le clitoris, c’est désormais à nos cerveaux que la sextech entend faire du bien. Les sextoys ne sont plus seulement perçus comme des objets masturbatoires, mais s’imposent comme des outils efficaces pour prendre soin de sa santé mentale ou de sa vie de couple. Ce déplacement sémantique du plaisir ne concerne pas que les jouets pour adultes, mais bien l’ensemble des acteurs de la sextech.

Les sexshops notamment, ont depuis quelques années boudé leur héritage pornographique, pour lui préférer celui d’un nouvel épanouissement sexuel. “Ce qu’on vend, c’est surtout la sérénité dans une relation”, analyse Patrick Pruvot, PDG des loveshops Passage du Désir. Pas étonnant donc que l’enseigne se soit autoproclamée spécialiste du “développement durable du couple” : qu’il s’agisse d’une huile de massage, d’un rééducateur périnéal ou d’un stimulateur clitoridien, la sextech interroge d’abord le bien-être avant de conduire à l’orgasme.

Sextech et design
Oui, tous ces objets sont des sextoys – © Amandine Jonniaux / JDG

Il faut dire que les effets psychiques et physiques de la petite mort ne sont plus à prouver. Réduction du stress, libération d’un cocktail d’hormones à base de dopamine, endorphines, sérotonine et ocytocine, amélioration du sommeil… les effets positifs de la masturbation sur la santé ne sont pas seulement psychologiques, puisqu’ils permettent parfois aussi d’atténuer les douleurs liées à certaines pathologies comme les crampes prémenstruelles, l’endométriose, et même les infections urinaires. Dans une approche plus holistique, la masturbation permet aussi de se réapproprier son corps, en aspirant à une sexualité plus consciente et épanouie, notamment lors d’un post-partum.

Encore faut-il connaître son corps, et celui des autres. Les dyspareunies et l’anorgasmie sont des phénomènes fréquents, surtout chez les personnes à vulves. Si certaines pathologies viennent parfois expliquer l’absence de plaisir – voir l’apparition de douleurs – durant les rapports sexuels ou la masturbation, le phénomène est largement amplifié par notre méconnaissance biologique de l’appareil sexuel et reproducteur. Au jeu de l’éducation sexuelle, le grand public n’est d’ailleurs pas le seul à souffrir de lacunes. Les professionnelles de santé aussi manquent parfois de ressources pour aiguiller leurs patients.

Des sextoys dans les pharmacies

Depuis la fin des années 2010, la sextech n’hésite plus à capitaliser sur la notion de santé. Sur leurs réseaux sociaux ou les notices d’utilisation de leurs produits, les marques ne se contentent plus de vendre, elles éduquent. Qu’il s’agisse de consentement, de lâcher-prise ou d’empouvoirement, l’épanouissement sexuel prime désormais sur la simple recherche de performance. Dans l’héritage direct du féminisme pro-sexe des années 1970 porté par Betty Dodson, les sextoys s’imposent comme des outils pour entamer “des discussions éduquées, ouvertes et respectueuses sur le sujet à l’échelle de la société”, se félicite Cécile Gasnault, directrice de la marque Smile Makers.

Après avoir investi la grande distribution, la sextech arrive désormais au rayon santé. Depuis 2022, la marque My Lubie s’est implantée dans les parapharmacies, avec l’objectif de “sortir des canaux traditionnels” et de se différencier auprès des clients et des revendeurs, explique Anne Kerveillant, la fondatrice de la marque. Un phénomène qui poursuit l’effort de normalisation entamé par le marché depuis quelques années. En abandonnant les formes explicites et les coloris réalistes au profit de designs pastels et épurés, la sextech fait le jeu d’un érotisme moins pénétratif, plus facilement transposable au domaine de la santé.

L’idée d’un remboursement par la sécurité sociale a d’ailleurs plusieurs fois été évoquée en France, sans jamais aboutir. Dans le domaine de la santé sexuelle comme de la santé mentale, notre pays accuse encore un certain retard par rapport à ses voisins nordiques. Même les rééducateurs périnéaux ne profitent pas encore du statut de dispositif médical, qui nécessiterait des investissements supplémentaires, et un prix fatalement revu à la hausse.

La santé sexuelle, à quel prix ?

Au-delà des sextoys et appareils de rééducation périnéale, la santé sexuelle passe aussi par l’éducation. Sur ce point en particulier, les trois séances obligatoires prévues par le gouvernement peinent à remplir leur rôle. Face au mur, c’est aux entrepreneurs et entrepreneuses privés qu’incombe la mission d’informer leur public.

C’est notamment le cas de la marque Smile Makers, qui accompagne ses produits d’une brochure explicative, ainsi que d’un site dédié à l’éducation. “C’est un outil sans lequel on n’aurait jamais pu développer la marque”, confesse Cécile Gasnault, directrice de la marque. À cette plateforme, s’ajoutent aussi les réseaux sociaux, Instagram et TikTok en ligne de mire. Quand ils ne censurent pas arbitrairement les contenus ayant trait à la sexualité, les géants du web peuvent se montrer particulièrement utiles pour toucher un public jeune et connecté. Et pour se différencier de la concurrence, rien ne vaut les contenus didactiques, capables d’expliquer en quelques mots des concepts ou des réalités anatomiques.

Pour aller plus loin, certaines applications ont entièrement dédié leur existence à l’éducation à la santé sexuelle et au plaisir. Qu’il s’agisse de Sylex pour les adolescents, ou de Clymax pour les adultes, les acteurs privés ont tout à gagner à s’investir sur un créneau laissé vacant par le gouvernement. Leur accès n’est cependant pas gratuit. “Cette discrimination de l’accès à des contenus payants qualitatif, elle existe dans tous les domaines”, regrette Christel Bony, fondatrice et présidente de l’association Sextech for Good. “Quand tu es parent, il n’y a pas cinquante solutions. Soit tu es assez à l’aise pour en parler, soit tu passes par des plateformes dédiées, et forcément il y a des coûts”. Reste que tout n’est peut-être pas perdu pour les bourses les plus modestes : en France, Sylex vient d’être agréée entreprise solidaire et d’intérêt public, ce qui pourrait lui permettre d’obtenir certains financements gouvernementaux.

Du côté de chez Vulvae, l’objectif est double : l’entreprise entend éduquer à la fois le grand public et les professionnels de santé. En marge de sa plateforme de suivi de santé vulvaire, la firme propose aussi des programmes d’accompagnement thérapeutiques, mais aussi des formations dédiées aux praticiens et praticiennes de santé. Après le CBD et les douleurs vulvaires, la start-up a récemment présenté une initiation exhaustive dédié à l’anatomie et au rôle du clitoris. L’occasion pour les sexologues et autres professionnels de santé de mieux “comprendre la structure, l’anatomie exacte et les fonctions du clitoris, afin d’améliorer les parcours de soin, le suivi en santé sexuelle et l’expérience de sexualité des femmes et des personnes à vulve“. Encore une fois, c’est aux plateforme privées d’endosser le rôle d’éducateurs sur le sujet épineux de la santé sexuelle.

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