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Pour la première fois, des chercheurs trouvent des traces de fission nucléaire dans des étoiles

Cette découverte qualifiée d’ « incroyablement profonde » pourrait changer la manière dont les astrophysiciens appréhendent le processus de nucléosynthèse qui produit les éléments dont l’Univers est constitué.

On dit généralement des étoiles qu’elles sont d’énormes réacteurs à fusion nucléaire — mais la réalité est plus nuancée. Des chercheurs ont récemment obtenu les premières indications claires que la fission nucléaire a également lieu dans le cosmos, et qu’elle est probablement impliquée dans la création des éléments les plus lourds du tableau périodique. Une découverte qui pourrait avoir un impact considérable sur les modèles cosmologiques.

Contrairement à la fusion sur laquelle travaillent des projets comme l’incontournable ITER, la fission est un type de réaction nucléaire que l’humanité a déjà réussi à dompter depuis des décennies. C’est ce phénomène qui est à la base du fonctionnement de toutes les centrales nucléaires opérationnelles, dont les 56 réacteurs français. Le concept est donc particulièrement bien maîtrisé et relativement familier. Pourtant, il n’avait jamais été observé parmi les étoiles avant ces travaux.

« Plusieurs personnes ont suggéré que la fission se déroulait également dans le cosmos, mais à ce jour, personne n’a été capable de le prouver », explique Matthew Mumpower, astrophysicien au Los Alamos National Laboratory et co-auteur de l’étude.

Forcément, puisqu’il s’agit d’étoiles qui sont par définition situées à une distance importante, les chercheurs n’ont pas pu observer directement ces réactions de fission. En revanche, ils estiment avoir collecté des preuves indirectes particulièrement solides qui reposent sur la chimie des astres.

Une relation surprenante entre des métaux et des terres rares

Avec ses collègues, il a observé un total de 42 étoiles à l’aide des différents spectroscopes de pointe dont dispose cet observatoire situé dans le Nouveau-Mexique. Ces instruments sont conçus pour disséquer un signal lumineux afin d’y trouver ce qu’on appelle des raies spectrales — des portions du spectre lumineux susceptibles d’être absorbées par certains éléments bien précis. À partir de ces données, on peut donc déterminer la composition chimique d’un objet à distance.

En se penchant sur les données, ils ont identifié une corrélation surprenante dans la présence de deux groupes d’éléments : les métaux dits de transition, comme l’argent, et des terres rares proches de l’europium. À chaque fois que l’un de ces groupes était présent en quantité importante, la quantité d’éléments correspondants dans l’autre groupe était également élevée.

Une seule explication : la fission

Les auteurs de l’étude sont initialement restés perplexes par rapport à cette relation. En effet, ces deux groupes d’éléments sont typiquement associés à des conditions de formation différentes.

L’argent, par exemple, est majoritairement formé à travers un mécanisme appelé processus r (pour rapid). Il survient généralement lors de supernovas, à la fin du cycle de vie d’étoiles massives. Comme son nom l’indique, il se caractérise par une capture très rapide de nombreux neutrons. Les terres rares les plus lourdes, de leur côté, peuvent aussi être formées par ce même processus r ; mais les chercheurs considéraient traditionnellement que cette production avait lieu au sein d’étoiles différentes.

Les auteurs ont donc procédé par élimination pour identifier un phénomène susceptible d’expliquer cette corrélation. Toutes les hypothèses se sont écroulées les unes après les autres, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une : cette bonne vieille fission nucléaire était la seule à avoir tenu le choc.

« La corrélation est très robuste dans les étoiles où a lieu ce processus r », explique Mumpower. « À chaque fois que la nature produit un atome d’argent, elle produit aussi un atome d’une terre rare lourde. Nous avons montré que seul un mécanisme peut être responsable : la fission. » Cette dernière est vraisemblablement activée lors d’événements très énergétiques, comme la collision de deux étoiles à neutrons.

Une découverte « incroyablement profonde »

« C’est incroyablement profond », insiste le chercheur. « C’est la première preuve que la fission opère également dans le cosmos, et ça valide une théorie que nous avons proposée il y a plusieurs années déjà. Plus nous avons récolté d’observations, plus cette signature est devenue claire, et elle ne peut provenir que de la fission ».

Si l’équipe reste songeuse par rapport à cette découverte, c’est parce qu’elle pourrait avoir des implications assez remarquables. Ces recherches suggèrent notamment que des éléments avec une masse atomique (le nombre de neutrons et de protons) de 260 ou plus pourraient exister dans le cosmos. On s’aventure alors dans un domaine constitué d’éléments ultra-lourds qui, pour l’instant, n’ont jamais été observés à l’état naturel. Pour référence, sur Terre, l’élément naturel avec le noyau le plus lourd est l’uranium-238. Évidemment, il ne s’agit encore que d’une hypothèse qu’il conviendra de démontrer rigoureusement. Mais le cas échéant, il s’agirait d’une découverte très importante pour le futur de l’astrophysique.

Désormais, tout l’enjeu va être de déterminer précisément la place de la fission dans le cycle de vie des étoiles et la production des éléments les plus lourds, qui jouent tous deux un rôle déterminant dans la dynamique globale du cosmos. Il ne reste plus qu’à patienter jusqu’à ce que d’autres instruments de pointe, comme le fameux James Webb Space Telescope, se penchent sur la question pour explorer toutes les retombées de cette découverte.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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