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Un état exotique de la matière se cache-t-il dans les étoiles à neutrons ?

Des étoiles mourantes exceptionnellement denses pourraient abriter un cœur constitué d’un bouillon de quarks, des particules élémentaires du monde quantique.

Pendant des années, les scientifiques considéraient que la matière pouvait exister dans trois états différents : solide, liquide, ou gazeux. Mais avec les progrès de la physique fondamentale et de la science des matériaux, d’autres états ont commencé à émerger. Le plus connu d’entre eux est certainement le plasma, où des particules chargées circulent librement. On peut aussi citer d’autres exemples encore plus exotiques comme les condensats de Bose-Einstein, où les particules se comportent comme une seule et unique entité.

Ces états exotiques surviennent généralement dans des conditions assez extrêmes. Par exemple, les plasmas sont créés dans des environnements à basse pression et à haute température, comme les tokamaks utilisés dans les expériences de fusion nucléaire. Les condensats de Bose-Einstein, de leur côté, n’existent qu’à des températures proches du zéro absolu.

En 2020, une équipe de chercheurs finlandais a identifié un autre milieu extrême où la matière pourrait exister dans un état étrange : les étoiles à neutrons. Ce sont des corps célestes qui apparaissent lorsqu’une étoile massive arrive à court de carburant. Incapable d’entretenir les réactions thermonucléaires qui l’animent, son cœur tend à s’écrouler sur lui-même. Cette masse se retrouve alors soumise à des forces de compression phénoménales, ce qui a pour effet d’agglomérer la majorité des particules sous forme de neutrons.

Une soupe de quarks en guise de cœur

Ces neutrons font partie des trois constituants traditionnels des atomes, avec les protons et les électrons. Mais contrairement à ces derniers, les neutrons ne sont pas des particules fondamentales ; ce sont des assemblages de plus petites unités que les physiciens appellent les quarks.

Au sein d’un neutron, ces quarks sont reliés entre eux par une force extrêmement puissante, sobrement appelée interaction nucléaire forte. Il est donc quasiment impossible de les dissocier, comme on le fait avec les électrons pour produire un plasma.

En revanche, l’étude suggère que cette structure ô combien cohérente pourrait tout de même être mise à mal au cœur des étoiles à neutrons, là où les forces gravitationnelles sont exceptionnellement intenses. Dans ces conditions, les liens qui unissent les quarks pourraient se distendre, permettant aux particules de se déplacer les unes par rapport aux autres; on obtient ce que les physiciens appellent des quarks déconfinés. En d’autres termes, le cœur des étoiles à neutrons les plus massives serait constitué d’une sorte de soupe de quarks exceptionnellement dense, mais relativement fluide.

Une analyse statistique poussée

Récemment, l’équipe à l’origine de ces travaux s’est associée à d’autres chercheurs internationaux pour tenter de déterminer si cette hypothèse tient la route dans une étude repérée par Universe Today.

Le problème, c’est qu’il est impossible de vérifier cette hypothèse expérimentalement. Notre technologie actuelle ne nous permet malheureusement pas de reconstituer un matériau aussi dense en laboratoire. Les chercheurs sont donc forcés de travailler avec des simulations informatiques.

L’outil mathématique de prédilection dans ce cas de figure est l’équation de Tolman-Oppenheimer-Volkoff, ou TOV. C’est un ensemble d’équations différentielles basées sur la mécanique des fluides et les préceptes de la relativité générale qui permet de décrire les propriétés d’une étoile à neutrons. Mais il s’agit d’une équation extrêmement complexe qui nécessite une puissance de calcul énorme pour être utilisée dans la résolution de problèmes concrets. Et bien souvent, ces démarches ne produisent pas les résultats escomptés, car l’équation TOV permet seulement d’obtenir des probabilités. Elle ne permet donc pas de déterminer avec certitude si le cœur de ces astres est constitué de quarks relativement libres, ou simplement d’un amas de neutrons classiques.

Quitte à accepter une part d’incertitude, les chercheurs ont donc remisé l’équation TOV et opté pour une autre stratégie mathématique basée sur la statistique bayésienne. C’est une approche qui nécessite aussi une puissance de calcul importante lorsqu’elle est appliquée à ce genre de travaux. Mais elle a l’avantage d’être flexible et particulièrement performante lorsqu’il s’agit d’extrapoler à partir d’un jeu de données restreint.

L’équipe a utilisé cette méthode pour comparer les petites étoiles à neutrons, qui ne pourraient théoriquement pas contenir de cœur à base de quarks, aux plus massives qui seraient susceptibles d’en abriter un. Ils espéraient ainsi trouver une différence dans le rapport masse/densité des différentes classes d’étoiles à neutrons. Un tel écart serait un signe fort que les étoiles à neutrons les plus massives abritent effectivement un cœur à base de quarks déconfinés.

Les étoiles à neutrons ont encore beaucoup de choses à nous apprendre

Et c’est exactement ce qu’ils ont trouvé avec cette analyse bayésienne, qui a été conduite à l’aide d’un supercalculateur finlandais. Ils ont conclu que les plus grosses étoiles à neutrons, celles dont la masse est plus de deux fois supérieure à celle du Soleil, ont entre 80 et 90 % de chances de présenter une telle structure.

Ces résultats doivent être interprétés avec prudence, dans la mesure où ils se basent sur un ensemble de données assez restreint. Mais cette étude reste tout de même très intéressante. Elle montre que les astrophysiciens sont encore très loin d’avoir compris tous les mécanismes qui peuvent survenir dans ces environnements extrêmes, aux frontières de la physique traditionnelle et du monde quantique.

Tout l’enjeu sera donc de récolter davantage de données sur ces corps célestes fascinants. Cela permettra de valider rigoureusement l’existence de ces « cœurs à quarks », puis d’étudier leurs propriétés et leurs rôles dans le cycle de vie des étoiles, avec des implications potentiellement profondes pour toute l’astrophysique.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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