Passer au contenu

Cheat codes, bots et dopage : la triche va-t-elle tuer l’eSport ?

Longtemps perçue comme un élément indissociable et presque folklorique du jeu vidéo, la triche se heurte aujourd’hui à l’essor du jeu multijoueur, et à la professionnalisation de l’eSport.

Aussi vieille que les jeux, la triche a longtemps fait partie du paysage vidéoludique. Initialement créés par les développeurs pour tester certains aspects du gameplay, ces passe-droits — souvent imaginés sous la forme de cheat code — étaient ensuite abandonnés dans le code source du jeu, laissant aux plus curieux tout le loisir de les chercher, et de les utiliser.

Il faut dire qu’à l’époque, les conséquences de la triche ne dépassent pas le cadre privé. Avec des jeux solo ou multi local, les cheat codes étaient un simple moyen d’enrichir son expérience ingame, en s’offrant des simflouz supplémentaires, des vies bonus ou une version gore de son jeu de baston préféré.

Loin d’être réellement problématique, la cheat culture devient même un aspect du jeu à part entière. Les gamers jouent à tricher, que ce soit en dénichant le glitch qui permettra de réussir un speedrun, ou en recherchant les derniers cheat codes sur la version minitel d’ETAJV. Conscient de l’intérêt des joueurs pour cette gentille transgression des règles, les développeurs érigent la triche en véritable chasse au trésor. Les codes donnent désormais des avantages ingame, mais permettent aussi d’accéder à certains contenus inédits. Dans la version arcade de Mortal Kombat sur Megadrive par exemple, entrer la série ABACABB donnait droit à un mode de jeu non censuré. Sur Tiny Toon Adventure sorti en 1992 sur NES, certains niveaux secrets étaient accessibles uniquement via un cheat code.

Konami code
Crédits JDG

Parmi les codes les plus populaires de l’histoire, il est évidemment nécessaire d’évoquer le célèbre Konami Code. Inventé par Kazuhisa Hashimoto pendant le développement du titre Gradius sur NES, la combinaison de touches ↑ ↑ ↓ ↓ ← → ← → B A permettait de débloquer un ensemble de bonus, mais surtout 30 vies supplémentaires. Rapidement devenu populaire chez les joueurs, le code s’est peu à peu imposé comme l’un des symboles de la pop culture gaming des années 1980 et 1990.

Aujourd’hui, le Konami code a d’ailleurs largement dépassé le simple cadre vidéoludique, puisqu’en plus d’exister dans plus de 151 jeux à travers le monde, il est aussi présent dans plusieurs films et séries, mais aussi là où on l’attend le moins : lors de la campagne présidentielle de 2012, les sites de François Bayrou et du Parti socialiste permettaient ainsi d’accéder à des animations cachées.

Multijoueur : tricher n’est plus jouer

Les choses changent pourtant dès la fin des années 1980, lorsque le highscoring s’impose comme l’un des prémices de l’eSport. À défaut de jeux réellement multijoueur, les hardcores gamers s’affrontent à distance, en filmant leurs parties sur cassettes vidéo, et en soumettant leurs records au jugement de Twin Galaxies, l’organisation américaine chargée de valider les records. Sans surprise, les tentatives de fraudes sont nombreuses : en marge des montages vidéo, les joueurs utilisent des cheat codes, ou modifient directement leurs bornes d’arcades. Être le meilleur de son quartier ne suffit plus, il faut désormais s’imposer dans le top mondial pour avoir une chance de marquer l’histoire.

Face à l’ingéniosité de certains tricheurs, Twin Galaxies est régulièrement obligé d’invalider certains records, quitte à prendre des mesures radicales, en organisant des inspections directement au domicile des joueurs. Parmi les exemples les plus célèbres de l’histoire de l’organisation, on peut citer celui de Steve Wiebe en 2004, qui est le premier à atteindre le million de points sur Donkey Kong en 2004. Le joueur voit finalement son record invalidé suite à certains soupçons de triche, et devra attendre 2005 pour enfin détrôner Billy Mitchell — le tenant du titre de l’époque — au cours d’une partie jouée en public dans une salle d’arcade. Une rivalité qu’on retrouve détaillée dans l’excellent documentaire The King of Kong, disponible en intégralité sur YouTube

Le jeu online change les règles

Malgré des débuts relativement confidentiels, le jeu vidéo compétitif ne se limite pas longtemps au highscoring. Plébiscités par les joueurs, le multijoueur prend de l’ampleur, d’abord via les LAN, ces compétitions IRL où il est possible de mesurer les aptitudes des joueurs en temps réel, puis grâce à l’avènement des jeux en ligne.

En 1973, le jeu Maze War permet pour la première fois à deux joueurs de s’affronter en simultané, sur deux ordinateurs reliés par un câble. Une petite révolution à l’époque, qui sera suivie en 1980 par le tout premier championnat national de Space Invader. Organisé par Atari, l’événement réunit plus de 10 000 joueurs amateurs, et initie les prémices de l’eSport.

Première LAN Space Invader Atari
Crédits Atari

Parallèlement, l’arrivée d’Internet dans les foyers américains et plus largement occidentaux permet aussi l’explosion des MMORPG, et la conception d’un nouveau monde ouvert dans lequel il est possible de rencontrer — et donc d’affronter — d’autres joueurs réels. Jusqu’à présent sans réelles conséquences, la cheat culture pose désormais problème, car elle est susceptible de désavantager un adversaire. La triche n’amuse plus, et devient rapidement la bête noire des straights gamers autant que des éditeurs vidéoludiques.

Fini les cheat codes glissés comme des easter eggs ingame. Les développeurs traquent désormais le moindre glitch ou bug qui aurait échappé à leur vigilance. C’est notamment le cas du nouveau MMO d’Amazon New World, qui s’est récemment retrouvé face à plusieurs bugs, dont un permettant d’amasser de l’argent à l’infini — brisant au passage toute l’économie virtuelle du jeu — et un autre rendant possible l’expulsion de n’importe quel adversaire grâce à un message chat.

L’eSport et la triche se professionnalisent

En 1972, la toute première compétition eSport du monde se jouait sur SpaceWar, et proposait au grand gagnant de remporter un an d’abonnement au magazine Rolling Stone. 42 ans plus tard, en 2013, The International était la première compétition eSport à dépasser le prize pool symbolique du million de dollars sur le MOBA Dota 2. À titre de comparaison, le championnat comptabilise cette année plus de 40 millions de dollars de prize pool.

Loin des tournois amateurs des années 80, les compétitions de sport électronique se sont professionnalisées, et brassent aujourd’hui plusieurs dizaines de millions de dollars par an. Avec un tel enjeu financier, il n’est finalement pas étonnant que la triche se retrouve au plus haut niveau des championnats eSport.

Il faut dire qu’au même titre que l’eSport, la triche a connu une véritable professionnalisation ces dernières années. Plus besoin de cheat codes, les joueurs utilisent désormais des logiciels tiers — plus discrets — pour s’assurer la victoire. Sur les jeux RTS ou MOBA par exemple, le maphacking permet de s’affranchir du brouillard de guerre, et ainsi d’anticiper les moindres déplacements ennemis.

Sur FPS, les bots aussi peuvent décider de l’issue d’une partie, en visant à la place du joueur (aimbot), ou en permettant de voir à travers les murs (wall hack). Des comportements antijeu, strictement prohibés par les fédérations, et qui font l’objet de lourdes sanctions. Sur certains jeux comme Call of Duty et Call of Duty Warzone, ce sont ainsi des centaines de milliers de comptes qui ont été bannis depuis février 2020, tandis qu’Activision mettait fin en juillet dernier à l’aimbot Userviz.

Conscient que l’avenir de l’eSport ne se fera pas sans la confiance des joueurs, certains éditeurs prennent directement les devants, en développant leurs propres dispositifs anticheat. Dès le début des années 2000, Valve Anti-Cheat et Warden (Blizzard) promettaient ainsi d’endiguer le développement de la triche ingame, en scannant les parties pour y détecter d’éventuels comportements suspects. Des initiatives louables, mais qui n’ont pas fait l’unanimité chez les joueurs, notamment à cause de leur utilisation jugée abusive des données personnelles.

Les bots ne suffisent plus

Lorsque les tricheurs ne boostent pas leurs skills à l’aide de bots, ils visent directement les serveurs du jeu. Alors que la majorité des compétitions eSport actuelles nécessitent une connexion internet pour exister, le moindre lag peut avoir un impact décisif sur l’issue d’une partie : en 2019, une série d’attaques par déni de service (DDoS) perturbait le bon déroulé de la Lyon eSport. Des imprévus qui, s’ils n’influent pas directement sur le jeu, peuvent fortement menacer la concentration des joueurs, comme en 2015, lorsque Virtus Pro s’incline face à HellRaisers sur le StarSeries XII organisé par SLTV sur Counter Strike : Global Offensive.

Avec l’explosion économique de l’eSport, les cas de fraude aussi ont vu leur nombre grimper en flèche : en 2016, Valve prenait la lourde décision de bannir à vie l’équipe iBuyPower, après que cette dernière eût parié sur sa propre défaite lors d’un match compétitif sur CS:GO. Il faut dire qu’en plus de brasser plusieurs millions de dollars chaque année, l’eSport est devenu une discipline sportive comme une autre, capable d’offrir aux plus qualifiés des carrières professionnelles florissantes. Une pression supplémentaire pour les joueurs, qui se doivent d’être toujours plus compétitifs.

En 2015, la triche vidéoludique prend un nouveau tournant lorsque le pro gamer CS:GO Kory ‘Semphis’ Friesen dévoile pendant une interview que son ancienne équipe, ainsi que tous les autres joueurs de la ligue professionnelle étaient sous Adderall — une substance proche de l’amphétamine qui augmente la concentration, pendant l’ESL One Katowice. Jusqu’alors très peu encadré, le dopage chez les joueurs devient la cible de l’Electronic Sports League. L’organisateur de tournois décide de prendre les choses en main en s’associant avec l’Agence mondiale antidopage, et établit pour la première fois une liste précise des produits interdits en compétition.

Il faut dire qu’avec son jeune âge, l’eSport souffre encore d’un vide juridique important. La situation évolue pourtant, comme en 2016, quand le Parlement sud-coréen vote le Game Industry Promotion Act, destiné à protéger l’industrie vidéoludique tout en établissant “une culture de jeu saine”. Un moyen d’encadrer les championnats, dont les enjeux sont de plus en plus importants, mais aussi une garantie supplémentaire pour les joueurs, qui aspirent à des compétitions plus transparentes.

En France aussi, la lutte contre la triche en compétition eSport commence progressivement à pouvoir compter sur l’encadrement de l’État. En 2017, l’ESL décidait de porter plainte contre Stéphane ‘Shaiiko’ Lebleu, joueur de l’équipe beGenius sur Rainbow Six Siege. Le pro gamer avait utilisé une macro, un logiciel permettant de simuler la frappe rapide sur clavier, et ainsi de considérablement augmenter sa vitesse de jeu.

Une sanction pénale qui fait encore figure d’exception dans le milieu, les organisateurs de tournois se contentant généralement d’interdire les tricheurs de compétition, et de faire annuler leurs gains. Pour autant, les questionnements autour de l’encadrement juridique de l’eSport prouvent bien que la discipline n’est plus un passe-temps d’adolescents des années 1990, mais bien un sport à part entière, avec son économie, ses enjeux, mais surtout ses règles à faire respecter.

🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.

2 commentaires
  1. Le MMO m’a appris une leçon :
    Une personne nul peut devenir bonne en trichant.
    Un bon joueur restera toujours un bon joueur (pas besoin de tricher).
    Mais pour être le meilleurs, il suffit pas d’être bon il faut également tricher.

    La triste vérité qui se cache sous notre pauvre monde.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *