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Pour Erika Lust (réalisatrice X), il est temps de “mettre fin à l’impunité de l’industrie pornographique”

Après le vote unanime de la loi SREN à l’Assemblée nationale, la responsabilité des plateformes pose question, jusque chez les réalisateurs et les réalisatrices. Entretien avec la cinéaste Erika Lust, pionnière du X éthique.

La loi SREN (dite de Sécurité et de Régulation de l’Espace Numérique) a été votée à l’unanimité à l’Assemblée Nationale. Si l’Europe ne décide pas d’interférer avec la législation française, les sites pornographiques seront bientôt dans l’obligation de vérifier la majorité de chaque internaute avant d’autoriser la moindre connexion. Une précaution drastique, mais nécessaire : en moyenne, les enfants sont exposés à leur première vidéo pornographique à l’âge de 10 ans. Pour protéger les mineurs d’une exposition précoce à des contenus pour adulte, l’un des points centraux de la loi SREN entend ainsi responsabiliser les plateformes face à ce qu’elles hébergent, mais aussi face à leur public.

À l’occasion de la projection du court-métrage Wash Me de Rebecca Stewart, produit par Erika Lust Films et présenté le 18 octobre dernier à Paris par l’association française SexTech for Good, nous avons pu nous entretenir avec la réalisatrice de films pour adultes éthiques Erika Lust. L’opportunité d’évoquer la loi de sécurité numérique en France, et les défis de l’industrie pornographique à l’international.

“Mettre fin à l’impunité de l’industrie pornographique”

Si la protection des mineurs en ligne fait consensus auprès du grand public et des élus, la pornographie est souvent présentée comme un medium intrinsèquement violent et sexiste, responsable de l’hypersexualisation précoce de toute une génération. Un faux problème, estime la réalisatrice Erika Lust. Si la pionnière du X éthique américain concède que la pornographie n’est pas un divertissement comme les autres, elle estime que l’industrie a aussi son rôle à jouer dans les représentations sexuelles.

Comme toute autre forme de média grand public, le porno a le pouvoir d’envoyer des messages et d’influencer notre vision de la sexualité. Il ne lui incombe pas d’éduquer les gens en matière de sexualité, mais comme pour toute autre forme de média et de divertissement, il serait bon que le porno présente des scénarios sexuels où la culture du consentement est primordiale, et où la diversité des corps est respectée

À l’inverse des abolitionnistes qui réclament l’interdiction totale de la pornographie, Erika Lust préfère jouer la carte de la pédagogie : plutôt que de polariser le grand public autour de l’industrie pornographique, il est nécessaire “d’étudier sérieusement la question“, estime la réalisatrice. “Nous ne pouvons pas diaboliser ce que nous ne connaissons pas, nous devons parler de ces questions et surtout éduquer la société sur l’importance d’un porno éthique et responsable”.

Diaboliser la pornographie ne règlera pas le problème

Face à une pornographie mainstream accusée de glamouriser les violences sexuelles et les dérives illégales comme le revenge porn, les réalisateurs et réalisatrices de films X éthiques sont régulièrement diabolisés. Pour autant, estime Erika Lust, “il serait injuste d’accuser uniquement le porno d’influencer nos habitudes”. Si l’industrie est très loin d’être irréprochable, nombreux sont les professionnels du secteur à militer pour une régulation accrue du milieu. En témoigne une lettre ouverte de la réalisatrice adressée le 26 septembre dernier à Sylvie Pierre-Brossolette, Présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, qui appelle à responsabiliser les autorités françaises sur la nécessité de “mettre fin à l’impunité pornographique”.

Le porno n’est pas intrinsèquement nuisible ou chargé de violence et de misogynie. C’est notre société qui l’est. Le porno est un miroir direct du monde. Nous vivons dans une culture qui normalise la masculinité violente et les discriminations

Plutôt que de rendre la pornographie responsable de la décadence des jeunes générations, Erika Lust préfère plutôt mettre en avant l’idée d’une sexualité consciente et consentie à l’écran : “Pour moi, c’est le mot qui résume l’engagement éthique de ce travail. Le consentement des acteurs impliqués dans les scènes sous la supervision
du coordinateur de l’intimité est essentiel. La rémunération appropriée des acteurs et actrices qui ont atteint l’âge légal pour se livrer à des activités sexuelles filmées fait
partie de ce changement”.

En France, la loi SREN inquiète

Avant même une décision européenne, la France a fait figure de précurseure, en votant à l’unanimité le projet de loi SREN. Une solution insuffisante sur la question de la pornographie en ligne, estime Erika Lust : “Comment empêcher l’accès au porno en utilisant un VPN, les identifiants d’un adulte, ou l’exposition à des contenus pornographiques par des amis ? La meilleure réponse ne serait-elle pas d’anticiper l’inévitable exposition par l’éducation, l’échange et l’écoute entre parents et jeunes, dans le respect de chacun ?”. Près de quinze ans après le tournage de son premier film pour adultes, la cinéaste lançait en 2017 The Porn Conversation, une plateforme à but non lucratif à destination des parents et des éducateurs pour ouvrir le dialogue sur la sexualité et la pornographie de manière transparente, responsable.

Reste qu’en France, l’éducation sexuelle n’est pas une priorité. Selon un rapport IFOP de mars 2023, seuls 15% des élèves bénéficient des trois séances prévues par l’État, et pourtant obligatoire depuis le début des années 2000. “Lorsque la sexualité reste un sujet tabou dans les familles, et que l’école ne remplit plus ce rôle d’information, les adolescents se tournent vers d’autres ressources, et le porno devient leur nouvelle source d’information en matière d’éducation sexuelle”, détaille Erilka Lust.

“Avec la culture sexuelle qui se développe aujourd’hui sur les réseaux, nous ne pouvons pas empêcher les jeunes générations d’être exposées à des contenus sexualisés. Mais nous pouvons enseigner, nous pouvons parler, nous pouvons rendre les enfants et les adolescents conscients et critiques des messages qu’ils reçoivent, et leur donner les moyens de choisir ce qu’ils consomment. Le problème n’est pas l’accès simple et rapide à ces plateformes, mais le manque d’informations sur la sexualité positive et la honte que la société a imposée à ce sujet”.

Sur la question de la pornographie, il convient de protéger les mineurs autant que d’éduquer les adultes. En ouvrant le dialogue dès le plus jeune âge sur le consentement et les interrogations liées à la sexualité, en démocratisant les logiciels de contrôle parentaux autant que l’accès aux cours d’éducation à la vie affective et sexuelle entre le collège et le lycée, mais aussi en questionnant l’hypersexualisation ambiante de notre société moderne, qui est loin de se limiter à l’industrie pornographique.

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