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[Critique] Grave

Lauréat du Grand Prix du Jury de Gérardmer, Grave se présente comme un film de genre aussi ambitieux qu’original. Faut-il croquer la pomme… d’Adam ? Cela…

Lauréat du Grand Prix du Jury de Gérardmer, Grave se présente comme un film de genre aussi ambitieux qu’original. Faut-il croquer la pomme… d’Adam ?

Cela fait quelques années déjà que la scène française, souvent adoubée par la Belgique ou le Canada, montre une volonté de renouveler le cinéma d’horreur. Lassés de la production traditionnelle venue d’Amérique, ces jeunes réalisateurs ont décidé de créer des films d’angoisse différents, en mélangeant les genres. Si des œuvres comme Haute Tension ou Martyrs donnent allègrement dans le gore, d’autres, comme Sheitan ou Calvaire font surgir une gêne plus informelle, parfois grotesque. Ces choix ont donc tôt fait de diviser l’opinion sur cette nouvelle vague, vue comme innovante ou risible.

Sous ses détours très français, Grave semblait emprunter le même chemin. À 16 ans, Justine est une étudiante qui vient d’intégrer une école vétérinaire. Bien qu’elle soit une végétarienne convaincue, son bizutage va l’amener à goûter à la viande. Cet événement en apparence anodin va révéler un désir de cannibalisme chez la jeune fille.

Ducournau se sert de ce pitch biscornu pour livrer un film hybride et organique. Clairement orientée vers le body horror, la réalisatrice veut avant tout faire passer l’émotion par la chair. Assez rare dans l’hexagone, le genre a pourtant déjà été exploré avec un certain style par Marina De Van, la protégée de Francois Ozon (Dans ma peau, 2002).

Passionnée par Cronenberg, la réalisatrice lie la transformation psychique de son héroïne à une altération physique du corps. Paradoxalement, on est plus dérangé par le frottement intensif de boutons et de squames que par la violence supposée de l’ingestion de chair humaine.

Cet effet est renforcé par l’utilisation alternée de plans larges, puis de focale très courte presque exclusivement centrée sur la peau de l’héroïne. La couleur rouge est évidemment très prégnante, et ne quitte aucun des plans. Le sang est désacralisé et relégué au rang de fluide vital, ce que n’aurait effectivement pas renié l’auteur de La Mouche. La présence d’animaux de ferme renforce cette vision purement biologique du corps.

Malgré les évanouissements et nausées évoqués çà et là (une Arlésienne dans le cinéma d’horreur), Grave n’a pas vocation à être un film d’horreur. C’est d’ailleurs ce qui scindera assez nettement son public.

Le long-métrage ne cherche jamais une justification sociologique au cannibalisme, mais se sert de ce dernier comme d’une métaphore assez évidente de la découverte de soi. Parfaitement innocente au début du film, Justine (dont le prénom est inspiré de l’œuvre du Marquis de Sade) voit grandir en elle tous les désirs de la chair. Le bizutage comme rite de passage fait d’ailleurs écho à sa propre transformation physique. Certains y verront l’affirmation féministe d’une femme qui se réapproprie son corps. Cette grille de lecture habile vaut à elle seule le détour.

Garance Marillier livre une prestation réellement convaincante, en arrivant à incarner la brutale métamorphose d’une vierge effarouchée en mangeuse d’hommes. Elle est bien escortée par les compositions de Jim Williams, qui s’était déjà démarqué dans le très inquiétant Kill List, film très apprécié par Ducournau.

À travers son long-métrage, la réalisatrice montre une volonté appuyée de rendre hommage à un cinéma qu’elle apprécie. C’est notamment le cas pour les films coréens qui alternent les genres, en particulier l’horreur et l’absurde, avec une virtuosité assez rare. Si Grave s’en écarte largement, il n’arrive jamais à choisir sur quel pied danser. Une position tout à fait défendable, mais qui peine parfois à convaincre.

La montée en puissance inquiétante de Justine est jalonnée de comic reliefs qui font parfois redescendre la tension inutilement. Son entourage aurait aussi mérité un traitement plus complexe. C’est le cas du personnage d’Adrien (Rabah Nait Oufella), relégué à sa simple identité sexuelle. Même constat pour Ella Rumpf, sœur pousse-au-crime qui peine à convaincre dans son rôle de double maléfique. On aurait donc aimé que cette quête frénétique du corps ne relègue pas autant le récit au second plan.

Grave ne manque décidément pas de mordant. Il défend une vraie idée du cinéma à la française, ce qui lui vaut d’être vu, et excuse une partie de ses erreurs de jeunesse. L’équilibre fragile entre les différents genres qu’il aborde pourra en revanche désarçonner les spectateurs à la recherche d’une œuvre plus conventionnelle. Un ovni métaphorique et sanglant plus qu’un film d’horreur. C’est si rare, après tout.

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7 commentaires
  1. Autant il faut signaler les articles écrits avec les pieds, autant celui-ci mérite simplement un merci ! Du vocabulaire, pas de fautes tous les 2 mots, une vraie analyse sur le travail du réal (mais pas trop longue). Continuez !

  2. Merci Henri, cette analyse est pertinente et la rédaction est à souligner ! Des propos si bien formulés vont à contre-sens de certains posts du jdg. Peux-être devriez vous vous concerter avant de nous proposer certains textes, ça éviterai bien des railleries de notre part…

    1. Merci ! Ça fait parfois du bien à entendre. Si cela vous a intéressé, il y a également une critique du très bon “The Lost City of Z” de James Gray.

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