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Une méga-bactérie de la taille d’une cacahuète découverte aux Caraïbes

Thiomargarita magnifica peut atteindre une taille comparable à celle d’une cacahuète; c’est un véritable géant dans le petit monde des bactéries.

Dans le jargon populaire, le terme “bactérie” est souvent remplacé par “microbe”, en référence à leur petite taille qui les rend invisibles à l’œil nu… du moins, pour la majorité d’entre elles; ce n’est pas le cas de cette nouvelle espèce à la taille si impressionnante qu’elle vient d’établir un nouveau record du monde.

Jusqu’à présent, ce titre de plus grosse bactérie jamais documentée revenait à Thiomargarita namibiensis, un véritable colosse bactériologique capable d’atteindre 0,75mm. Mais cette nouvelle espèce a tout simplement fait voler ce record en éclat; les individus mesurent en moyenne… 0,9 cm.

Le record pour une cellule individuelle a même été établi à 2 cm, soit une taille “comparable à celle d’une cacahuète“. C’est plusieurs milliers de fois plus grand qu’une bactérie moyenne, considérablement plus gros que le précédent record. Les chercheurs s’attendent même à ce que certains spécimens puissent être encore plus volumineux dans des conditions idéales.

Un véritable micro-colosse…

Ce véritable colosse a redéfini ce que les chercheurs pensaient savoir de la croissance des bactéries. Jusque là, les spécialistes étaient convaincus que la taille des bactéries était limitée par leur capacité à échanger des molécules avec leur environnement. Or, plus l’organisme est grand, plus cette logistique devient compliquée.

En effet, pour entrer ou sortir du cytoplasme de la cellule (la poche centrale qui contient notamment les organites, équivalents fonctionnels des organes à l’échelle d’une cellule), chaque composé doit interagir spécifiquement avec un élément de la machinerie cellulaire placé sur la membrane.

C’est très pratique pour les petites bactéries; puisqu’elles disposent d’un petit volume, il est donc facile pour les composés de trouver le chemin de l’entrée ou de la sortie. Mais le problème, c’est que dans ce contexte précis, lorsqu’on augmente la taille d’un organisme, son volume augmente plus vite que sa surface; le rapport entre la surface et le volume diminue donc quand l’organisme grandit.

Cette histoire de rapport surface / volume (S/V) est une problématique qui dépasse largement les bactéries; elle est absolument centrale en biologie générale. Ce paramètre est directement responsable, entre autres, de la limite de taille de très nombreuses espèces animales; si vous n’avez jamais croisé un humain de la taille d’un diplodocus, c’est avant tout une histoire de rapport S/V.

Des petits filaments monocellulaires de Thiomargarita magnifica en croissance à côté d’une pièce d’un centime. © Volland et. al.

…qui défie toutes les limites théoriques

Pour outrepasser cette limite conceptuelle, de nombreuses espèces ont développé des contremesures au gré de la sélection naturelle; chez les la majorité des espèces, on trouve par exemple des systèmes circulatoires plus ou moins développés. C’est à ça que sert votre sang : il permet de livrer directement chaque molécule à destination, au lieu d’attendre patiemment qu’elle y parvienne toute seule par diffusion – ce qui vous laisserait tout le temps d’étouffer ou de mourir de faim.

Mais contrairement à nous ces organismes ne disposent pas d’un système circulatoire complexe; ils n’ont même pas droit à un système de brassage rudimentaire. Les nutriments et autres éléments doivent trouver leur chemin par simple diffusion dans le liquide du cytoplasme. En effet, comme tout être vivant, celle-ci a besoin d’être alimentée en permanence, et cette diffusion est un phénomène relativement lent.

Par conséquent, plus la taille augmente, plus le rapport surface / volume augmente, plus les molécules ont de distance à parcourir, et plus cellule a de mal à se sustenter. Il existe donc un seuil théorique au-delà duquel la cellule ne serait tout simplement plus viable. Dans ce cas, comment expliquer la présence d’un tel colosse ?

Pour grandir à ce point, cette bactérie nouvellement découverte utilise un tour de passe-passe évolutif très ingénieux; elle dispose d’une autre poche remplie de liquide au milieu de son cytoplasme. Ce sac, qui représente presque les ¾ du volume total de la bactérie, permet d’acheminer les molécules vers la membrane sans devoir se reposer entièrement sur la diffusion.

Thiomargarita namibiensis (ici sous le microscope d’un biologiste de la NASA) était la tenante du titre jusqu’à la découverte de cette nouvelle espèce. © NASA

Un génome XXL

Ce même mécanisme avait déjà été identifié chez Thiomargarita namibiensis, la précédente tenante du titre. L’ analyse génétique a d’ailleurs révélé que la nouvelle géante de la catégorie appartenait au même groupe; elle a donc été baptisée Thiomargarita magnifica.

Cette même analyse génétique a d’ailleurs révélé un autre aspect fascinant de Thiomargarita magnifica. Il n’y a pas que ses dimensions physiques qui sont extrêmes : son génome, lui aussi, est tout simplement massif. Il contient plus de 11 millions de bases qui définissent pas moins de 11.000 gènes. Des chiffres tout simplement hors-norme, et près de trois fois supérieurs à la moyenne des génomes bactériens !

Et les chercheurs n’étaient pas au bout de leurs surprises. En effet, Thiomargarita magnifica leur réservait une dernière surprise de taille; ils ont également noté la présence de ribosomes directement à proximité de l’ADN de la cellule.

Le cytoplasme, c’est le compartiment défini par les membranes d’une cellule; il contient le cytosol (ici en bleu), un liquide qui sert de substrat à de nombreux processus biologiques de la cellule. © Clker-Free-Vector-Images – Pixabay

Une des pièces manquantes du grand puzzle de l’évolution ?

Très sommairement, ces ribosomes sont des organites cellulaires qui jouent le rôle d’usines à protéines. C’est une découverte significative; d’après les chercheurs, cette disposition est vraisemblablement une manière d’optimiser le processus de traduction et de transcription qui permet de synthétiser des protéines à partir de la recette définie par l’ADN.

Concrètement, c’est une architecture davantage optimisée par rapport à la plupart des bactéries; en fait, le fait de séparer ainsi la machinerie génétique est une approche que l’on retrouve plutôt chez des organismes nettement plus sophistiqués. De quoi redéfinir tout un pan de la recherche fondamentale en bactériologie, rien que ça !

Trop souvent, on assimile les bactéries à des formes de vie simple, petites, et “peu évoluées””, explique Chris Greening, microbiologiste à l’université de Monash. “De vulgaires “sacs à protéines”, en somme. Mais cette bactérie nous montre que ce constat ne pourrait pas être plus éloigné de la réalité !

C’est un élément particulièrement saisissant pour les chercheurs. En effet, Thiomargarita magnifica pourrait bien receler certaines informations cruciales pour comprendre l’apparition de la vie telle qu’on la connaît. De l’aveu de Kazuhiro Takemoto, un bio-informaticien basé au Kyushu Institute of Technology, il pourrait s’agir “d’un chaînon manquant dans l’histoire de l’évolution des cellules complexes. C’est donc une découverte d’envergure à tous les niveaux !

Le texte de l’étude est disponible ici.

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