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Les humains changent radicalement la trajectoire de la vie sur Terre

Nous savons depuis longtemps que l’activité humaine impacte la faune et la flore, mais une vaste étude vient de démontrer l’ampleur du phénomène.

Chacun sait aujourd’hui que l’activité humaine a un impact gigantesque sur les différents écosystèmes du globe. C’est un fait déjà prouvé de façon indiscutable par d’innombrables études, notamment à court et moyen terme; mais nous manquons encore cruellement de recul pour estimer précisément notre impact sur ces dynamiques particulièrement subtiles. Une vaste étude repérée par ScienceAlert s’est récemment intéressée à cette question; ses résultats suggèrent que l’humanité ne modifie pas seulement l’environnement direct des espèces. Elle affecte aussi leur trajectoire évolutive sur le long terme.

L’évolution, c’est un processus excessivement lent qui ne peut être étudié que sur des échelles de temps particulièrement longues. La vie telle qu’on la connaît est le fruit de millions d’années de mutations et de sélection naturelle; si les espèces actuelles sont adaptées à leurs environnements respectifs, c’est en premier lieu parce que les contraintes de leur environnement les ont poussés à s’adapter à leur milieu ou à disparaître.

Dans la littérature scientifique, ces contraintes qui conditionnent la trajectoire d’une espèce sont appelées “pressions de sélection”. Elles peuvent prendre des formes diverses et variées; il peut s’agit de la disponibilité en ressources, de la compétition avec les espèces concurrentes… et, depuis quelques siècles, l’influence de l’humain fait partie intégrante de ces facteurs.

C’est une réalité assez intuitive pour les chercheurs, mais aussi pour le grand public. En revanche, c’est une dynamique extrêmement fine et qui dépend d’un nombre ahurissant de facteurs eux-mêmes interdépendants. Il est donc très difficile d’en extraire des éléments probants sur le plan statistique.

Le problème de cette approche, c’est qu’il faut être extrêmement rigoureux sur la sélection des données. Dans le cas contraire, le moindre biais pourrait complètement fausser tous les résultats. Pour tenter de confirmer mathématiquement cette dynamique globale, il ne suffit pas de s’intéresser à une niche écologique en particulier; il faut trouver un candidat présent sur toute la planète et qui présente certaines caractéristiques faciles à comparer.

Un simple trèfle au service d’une étude massive

Pour tenter d’y parvenir, des chercheurs se sont lancés dans une étude massive qui a mobilisé 287 scientifiques aux quatre coins de la planète. “Sur la question de l’évolution, il n’y a jamais eu d’étude de terrain à cette échelle”, affirme Marc Johnson, biologiste spécialiste de l’évolution à l’université de Toronto Mississauga.

Leur choix s’est porté sur Trifolium repens, plus connu sous le nom de trèfle rampant. C’est une espèce qui coche toutes les cases indispensables à ces travaux. En effet, même si elle a initialement été documentée en Europe et en Asie centrale, elle a progressivement colonisé toute la planète; on la trouve aujourd’hui dans de nombreuses villes un peu partout dans le monde.

C’est donc un sujet idéal pour étudier l’impact de l’Homme. Cette armée de chercheurs a donc collecté plus de 110,000 échantillons séparés en différentes séries. Les premières ont été collectées directement au beau milieu d’environnements urbains. Les groupes suivants, en revanche, ont été collectés de plus en plus loin de la ville, jusqu’aux derniers qui provenaient de zones exclusivement rurales.

L’activité humaine, représentée par l’urbanisation dans le cadre de cette étude, représente une pression de sélection très importante. © Piotr Chrobot – Unsplash

Les chercheurs disposaient ainsi d’une base de données très importante; ils ont ainsi pu en extraire des données statistiquement significatives, et donc représentatives de l’impact réel de l’homme sur son environnement direct.

Ils ont observé que sur certains critères, les trèfles collectés en milieu urbain étaient étonnamment similaires entre eux. Même lorsqu’ils provenaient de villes extrêmement éloignées géographiquement. Encore plus étonnant : selon ces mêmes critères, un trèfle citadin est globalement plus proche d’un autre trèfle citadin à l’autre bout du monde que d’un trèfle rural ayant poussé à quelques kilomètres de là, indépendamment du climat !

En substance, cela signifie qu’un Trifolium repens parisien serait génétiquement plus proche d’un trèfle marseillais que d’un trèfle collecté dans la campagne près de la capitale. C’est très étonnant, car la proximité génétique dépend généralement beaucoup de la proximité géographique. Mais dans ce cas, les populations les plus proches génétiquement sont plus éloignées géographiquement, et vice-versa.

Et il ne s’agit pas d’un constat hasardeux, mais bien d’une vraie tendance statistique que l’on peut démontrer avec des outils mathématiques. La conclusion qui s’impose est donc on ne peut plus claire; l’activité humaine, symbolisée ici par l’urbanisation, représente une pression de sélection très nette qui s’applique à l’échelle de la planète.

La pointe émergée d’un énorme iceberg

Pour entrer dans le détail, ce phénomène observé par les chercheurs est connu sous le nom d’évolution parallèle. Ce terme assez explicite désigne les évolutions comparables de différentes populations séparées géographiquement sous l’effet d’une même pression de sélection – en l’occurrence, le mode de vie de l’humanité.

C’est un phénomène qui peut survenir de façon tout à fait spontanée dans la nature; le processus est normal, et ne témoigne pas forcément d’un désastre écologique. Mais l’ampleur, la rapidité et surtout la cause du phénomène sont particulièrement révélatrices dans ce cas précis;  car ces petits trèfles ne sont vraisemblablement que la partie émergée de l’iceberg.

Si eux ont subi des changements aussi marqués, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’ils ne soient pas les seuls; des tas d’autres changements bien plus subtils et discrets, mais tout aussi conséquents surviennent probablement chez la totalité de la faune et de la flore en contact plus ou moins rapproché avec l’Homme.

Ces travaux confirment globalement le phénomène qui a déjà été constaté à plus petite échelle. Récemment, nous vous parlions par exemple des conséquences de l’activité humaine sur les oiseaux, dont la morphologie évolue considérablement au fil du réchauffement climatique.

À ce jour, ce sont les travaux les plus probants à avoir montré la façon dont nous altérons l’évolution de la vie”, explique le biologiste Rob Ness. “Ces connaissances pourront nous aider à protéger certaines des espèces les plus vulnérables au monde […], et contribuent à notre compréhension fondamentale des processus de l’évolution”, concluent les auteurs sur une note plutôt positive qui ne doit cependant pas faire oublier l’urgence de la situation.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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