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L’insaisissable tourbillon d’électrons a été observé pour la première fois

Des chercheurs ont forcé des électrons à se comporter comme un fluide turbulent, ce qui avait déjà été prévu par les modélisations mais jamais vérifié expérimentalement.

La physique fondamentale fonctionne majoritairement sur la base de modèles qui tentent de simuler le comportement des constituants de la matière. Ces modèles regorgent de phénomènes fascinants qui semblent parfaitement cohérents avec les lois de la physique, mais qui demeurent pourtant insaisissables pour des raisons mystérieuses.

C’est donc toujours un petit événement lorsqu’une équipe apporte la confirmation expérimentale de l’un d’entre eux ; et c’est précisément ce qui vient de se passer du côté du MIT. Dans le prestigieux journal Nature, ils viennent de confirmer la première observation d’un tourbillon d’électrons où les particules se déplacent comme un fluide.

« Les tourbillons d’électrons sont attendus dans la théorie, mais il n’y a jamais eu de preuve directe », explique Leonid Levitov, l’un des auteurs de l’étude. « Mais maintenant, nous l’avons vu, et c’est une signature claire que sous ce nouveau régime, les électrons se comportent comme un fluide, et plus comme des particules individuelles », précise-t-il.

Un chamboule-tout nanométrique contre-intuitif

Par souci de vulgarisation, on dit souvent que les électrons sont le support des charges électriques qui voyagent pour créer un courant. Mais cette explication est très caricaturale et ne reflète pas vraiment la réalité ; cela donne l’impression que les électrons voyagent d’un bout à l’autre du circuit, un peu comme un semi-remorque qui irait livrer sa cargaison d’un point A à un point B.

En réalité, ce n’est pas le cas; très sommairement, le courant électrique correspond à la moyenne du mouvement des charges (et non pas des électrons eux-mêmes). À l’échelle locale, ces derniers se comportent de façon relativement anarchique, et certainement pas de façon structurée comme dans un fluide.

La dynamique précise qui régit le transfert de ces charges est extrêmement complexe, et il faut plonger  dans les tréfonds de la théorie des champs et de l’électromagnétisme pour en comprendre toutes les subtilités (voici un excellent document de référence du MIT sur la question). Mais ce qui est important dans le cas de ces travaux, c’est qu’en temps normal, le mouvement des électrons n’a pas grand-chose à voir avec celui d’un fluide, contrairement à ce que suggère l’intuition.

Cela serait probablement le cas dans un monde parfait. Mais dans la réalité, il existe des tas de phénomènes physiques qui peuvent influencer le mouvement des électrons, et qui les empêchent donc de se comporter comme un fluide en pratique.

Quand les électrons filent droit

Pourtant, la recherche commence à s’en approcher. ScienceAlert rappelle qu’en 2017, une équipe est déjà parvenue à faire « couler » des électrons dans une direction précise en utilisant du graphène. Si on raisonne en termes de mécanique des fluides, cela ressemble fortement à ce que l’on appelle un écoulement laminaire.

C’est une situation où les particules voyagent dans des couches parfaitement parallèles. Vous connaissez probablement ce phénomène si vous avez déjà observé une fontaine ; lorsque l’eau s’écoule ainsi, on obtient un flux parfaitement transparent qui semble figé dans l’espace.

Une photographie en effet Schlieren d’une expérience de mécanique des fluides qui montre un flux d’abord laminaire (à gauche) qui devient ensuite turbulent (à droite). © Dr. Gary Settles – Wikimedia Commons

Cette expérience a prouvé que des électrons pouvaient effectivement se comporter comme un fluide. Mais l’écoulement laminaire est un cas très particulier. Dans la nature, la plupart des flux sont turbulents, c’est-à-dire que les couches se mélangent entre elles dans ce qu’on appelle des tourbillons de turbulence.

Et ce comportement n’avait jamais été observé chez les électrons, alors qu’il est techniquement compatible avec les prédictions mathématiques des chercheurs. Ou du moins, c’était le cas jusqu’à la publication de ces travaux.

Le premier tourbillon d’électrons jamais observé

Pour y parvenir, les chercheurs sont partis d’un matériau baptisé ditelluride de tungstène (WTe2). Selon les chercheurs, il a la propriété d’être extrêmement « propre » ; dans ce contexte, cela signifie qu’il est parfaitement inerte et qu’il n’interfère pas du tout avec le mouvement des électrons. Ils y ont gravé un motif particulier avec deux chambres latérales qui sont connues pour générer des tourbillons lorsqu’un liquide ou un gaz y circule.

Un schéma du dispositif expérimental. A gauche, un contrôle à base d’or. A droite, le dispositif à base de ditelluride de tungstène qui a permis aux chercheurs de générer un tourbillon. © Aharon-Steinberg et al.

Et après avoir refroidi l’ensemble à une température proche du zéro absolu, ils ont constaté que les électrons tourbillonnaient bien dans ces chambres, exactement comme un fluide le ferait dans cette situation.

« C’est une observation frappante, et elle repose sur la même physique que les fluides ordinaires, sauf que tout se passe avec des électrons à l’échelle nanométrique », explique Levitov.

Une piste prometteuse pour l’électronique de demain ?

Cela pourrait sembler anecdotique, mais cette observation pèse en fait beaucoup plus qu’il n’y paraît ; le fait de pouvoir exploiter ce phénomène pourrait changer considérablement la façon dont nous concevons nos appareils électroniques.

En effet, le fait de pouvoir traiter ces électrons comme un fluide serait un avantage immense pour les ingénieurs ; cela signifie que les charges peuvent voyager avec très peu, voire pas du tout d’interférences. Pour résumer, beaucoup moins d’énergie est perdue en cours de route. On se retrouve donc avec un système beaucoup plus efficace à tous les niveaux.

Évidemment, ces travaux sont encore loin d’ouvrir la porte à des appareils de ce type ; il s’agit d’une expérience en laboratoire réalisée dans des conditions très contrôlées. Son seul objectif était d’apporter une preuve expérimentale d’un phénomène qui restait jusque là théorique.

Mais la démonstration est impressionnante ; il est tout à fait possible que ces travaux sur les « fluides d’électrons » servent un jour à construire une nouvelle génération d’appareils électroniques ultra performants. C’est typiquement le genre de technologie qui pourrait se trouver une place en informatique quantique. Mais dans tous les cas, il faudra au moins patienter de longues années pour juger de son véritable potentiel.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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Source : Nature

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