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Fusion nucléaire : ce qu’il faut retenir du succès historique des États-Unis

Des chercheurs américains ont réussi à atteindre la production nette d’énergie grâce à la fusion nucléaire. Une grande première mondiale.

Nous en sommes encore très loin, mais plus le temps passe, plus l’humanité se rapproche de la fusion nucléaire commerciale. Ce mode de production d’énergie qui cherche en substance à imiter le fonctionnement d’une étoile dispose d’un potentiel immense et pourrait bien transformer entièrement notre civilisation.

Si les bases scientifiques sont relativement bien maîtrisées aujourd’hui, il faut encore mettre ces concepts en application – et c’est une autre paire de manches. Ce défi d’ingénierie colossal fait incontestablement partie des plus ardus de notre ère, si bien qu’il est quasiment impossible de dire quand l’humanité pourra exploiter la fusion – si elle y parvient un jour.

Mais de temps à autre, on voit apparaître une avancée spectaculaire, susceptible de faire progresser toute la discipline. Et c’est ce que revendique désormais le Département de l’Énergie (DoE) américain. Ses porte-parole ont dévoileé une “avancée scientifique majeure” dans ce domaine. Si l’on se réfère à l’annonce initiale du Financial Times, les troupes du Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL) auraient réussi à atteindre une étape extrêmement importante : la production nette d’énergie.

Plusieurs installations expérimentales ont déjà réussi à poser les bases de ces réactions; mais il s’agit d’un processus extrêmement énergivore, quelle que soit la technologie utilisée. Et jusqu’à présent, aucun de ces réacteurs n’a réussi à produire, et surtout à récupérer plus d’énergie qu’il n’en a utilisé pour lancer et entretenir le processus. Or, il s’agit d’une étape critique pour envisager les premières applications commerciales; le cas échéant, il s’agirait effectivement d’un progrès remarquable.

Quelle machine a permis cette avancée ?

De nombreux projets qui travaillent sur la fusion nucléaire, à commencer par ITER dans le sud de la France, sont basés sur des tokamaks. C’est un concept assez ancien, mais rudement efficace; très sommairement, l’idée est d’enfermer du plasma chauffé à une température phénoménale au centre d’un champ magnétique particulièrement puissant.

Dans ces conditions extrêmes, les atomes de deutérium et de tritium sont susceptibles de fusionner avec un dégagement d’énergie important; on parle alors de fusion nucléaire. Cette approche est appelée fusion par confinement magnétique (voir notre dossier ci-dessous pour plus de détails sur le processus).

Les troupes du LLNL, en revanche, ont misé sur une autre approche : la fusion par confinement inertiel. C’est aussi l’approche sur laquelle le CEA français a misé avec son Laser Mégajoule, construit près de Bordeaux. Très sommairement, dans ce cas de figure, on n’utilise pas les immenses électro-aimants qui servent à chauffer le milieu et à le confiner. À la place, utilise des lasers surpuissants. En l’occurrence, le LLNL est particulièrement bien équipé pour réaliser ces opérations. Le laboratoire dispose d’un jeu de 192 faisceaux qui, ensemble, constituent l’installation laser la plus performante au monde.

Ces lasers sont utilisés pour chauffer des capsules de combustible de la taille d’un grain de poivre. Ce processus conduit à l’apparition de grandes quantités de rayons X au sein de la chambre, puis à l’implosion de la capsule. Ce choc extrêmement violent arrache les électrons des atomes avoisinants. On parle d’ionisation, et c’est cette étape qui permet de mettre en place le fameux plasma. Ce dernier se retrouve alors dans soumis à des pressions et des températures extrêmes (plus de 300 millions de degrés Celsius). C’est même nettement supérieur à ce que l’on trouve au cœur du Soleil; les conditions nécessaires à la fusion nucléaire sont désormais en place.

L’autre différence importante, c’est le mécanisme qui permet de confiner tout ce matériel. Contrairement au tokamak, le combustible est prisonnier de sa propre inertie, et non pas d’un champ magnétique. Pour plus de détails sur cette technologie, vous pouvez consulter ce bon document du CEA.

Quelle quantité d’énergie a été produite ?

Les chercheurs sont parvenus à produire un peu plus de 2,5 mégajoules d’énergie (environ 0,7 kWh) contre 2,1 mégajoules d’énergie utilisée par les lasers. Cela correspond donc à une production d’énergie nette de l’ordre de 20%.

C’est une quantité d’énergie relativement modeste, et très loin d’être suffisante pour contribuer significativement au réseau électrique. À titre de comparaison, selon SirEnergies, un réacteur nucléaire de 900 MW produit en moyenne 500 000 MWh d’électricité par mois, soit environ 16,5 MWh par jour. Cela représente plusieurs ordres de grandeur supplémentaires.

Il faut toutefois apporter une nuance très importante à ce bilan. Car en pratique, si l’on prend en compte l’intégralité du processus, il n’y a absolument pas eu de production nette d’énergie. Nous en sommes même très loin ! En effet, le rendement des lasers en eux-même laisse à désirer; pour qu’ils puissent émettre ces 2 MJ d’énergie, les ingénieurs ont du leur  fournir… environ 300 mégajoules à l’entrée, soit environ 150 fois plus qu’à la sortie !

En tenant compte de ce paramètre, nous arrivons donc à une perte nette assez gigantesque. Autant dire que toutes les centrales ne remplaceront pas leurs réacteurs traditionnels par des réacteurs à confinement inertiel dans un futur proche. Mais il est aussi important de rappeler que ce n’est absolument pas l’objectif des preuves de concept de ce genre; ce qu’il faut en retenir, c’est que le simple fait d’avoir réussi à dépasser le seuil de la production nette sur la dernière étape du processus est déjà un succès retentissant.

Faut-il s’inquiéter pour ITER ?

Tout dépendra de l’évolution des deux principales niches technologiques (confinement magnétique, comme ITER, ou inertiel, comme le LLNL). À l’heure actuelle, il s’agit encore de projets à très long terme qui nécessitent encore des décennies de travaux acharnés avant d’arriver au stade de la fusion nucléaire commerciale. Et d’ici là, la situation aura probablement changé du tout au tout.

Le tokamak d’ITER. © ITER Organization

Il est donc très difficile, pour ne pas dire impossible, de savoir laquelle de ces technologies va damer le pion à l’autre. Surtout que les deux concepts pourraient tout à fait co-exister si le confinement magnétique progresse suffisamment vite. En outre, de nouvelles approches encore plus prometteuses pourraient même émerger entre-temps.

Pour l’instant, le projet international basé en France n’est donc pas en danger. Certes, ITER semble avoir perdu la course à la production nette d’énergie; mais il ne s’agit que d’un checkpoint isolé dans un immense marathon. Pour y voir plus clair, il faudra encore patienter de longues années.

Comment suivre l’annonce ?

Le Département de l’Énergie doit donner une conférence de presse pour détailler ces résultats à partir de 16h (heure française). Elle sera probablement retransmise sur la chaîne YouTube du DoE (ci-dessous ou à cette adresse).

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3 commentaires
  1. Et personne ne parle du LMJ, frère de LLNL?
    Si je ne m’abuse, le principe est le même.
    Par contre, l’article est peu locasse sur le moyen de récupérer cette intense mais très brève émission d’énergie.

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