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L’hippopotame, l’autre héritage empoisonné de Pablo Escobar

Trente ans après la mort du célèbre narcotrafiquant, ses hippopotames de compagnie sèment encore la zizanie en Colombie.

La Colombie est en ce moment confrontée à une montée en flèche préoccupante du nombre d’hippopotames sauvages. Les naturalistes commencent à tirer la sonnette d’alarme par rapport à cette espèce invasive qui menace désormais les écosystèmes locaux.

Au premier coup d’œil, cette information a de quoi surprendre, car ces animaux n’auraient jamais dû se retrouver en Amérique du Sud. En règle générale, ils vivent exclusivement dans quelques zones bien précises de l’Afrique. Pour comprendre comment ils se sont frayé un chemin vers le Nouveau Monde, il faut s’intéresser aux frasques du plus célèbre des barons de la drogue, à savoir le légendaire Pablo Escobar.

Après avoir mis son pays sens dessus dessous en construisant un gigantesque empire de la drogue, l’intéressé s’est attiré les faveurs de la population en investissant une partie de sa fortune dans la construction d’hôpitaux, de stades et de logements pour les plus démunis. Mais au-delà de cette posture de Robin des bois, le Roi des Narcos a aussi mené la belle vie en s’offrant des voitures de luxe, des domaines immenses… et une sacrée collection d’animaux exotiques.

Une lignée de narco-hippos

La pièce maîtresse de cette ménagerie, c’était un quatuor d’hippopotames dans la force de l’âge. Il n’existe aucune information vérifiable sur l’usage qu’Escobar faisait de ces animaux ; en revanche, on sait qu’ils ont bien profité de la déchéance de leur propriétaire.

Lorsqu’il a été tué par la police nationale colombienne en 1993, au terme d’une traque haletante qui a fait les gros titres de la presse mondiale, sa famille et ses partisans ont déserté ses différentes propriétés dans l’urgence. Ces narco-hippos — un mâle et trois femelles — se sont donc retrouvés livrés à eux-mêmes. Et ils n’ont pas mis bien longtemps à prendre la poudre (d’escampette, bien entendu).

Or, dans cette région, il n’existe aucun prédateur capable de les importuner. Ils ont donc trouvé un nouvel El Dorado dans l’arrière-pays colombien, où ils ont eu tout le temps de fonder une famille pendant que la planète entière avait les yeux rivés sur la dépouille du gangster.

Une prolifération préoccupante

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la lignée a prospéré. Aujourd’hui, plusieurs dizaines de descendants directs des hippos importés par Escobar vivent dans la région. Et leur présence a un impact très concret. Ils représentent une menace importante pour certaines espèces végétales et animales, et pourraient ainsi bouleverser certains écosystèmes fragiles.

Ils sont également très dangereux pour les populations locales. En effet, ces véritables chars d’assaut biologiques peuvent galoper à plus de 30 km/h malgré leurs trois tonnes de moyenne, et ils sont parfaitement équipés pour réduire un humain en charpie sans le moindre effort. Pas franchement rassurant, sachant qu’ils sont aussi particulièrement farouches et territoriaux.

Deux hippopotames mâles en train de s'affronter.
Deux hippopotames mâles en train de s’affronter. Un humain serait réduit en charpie en une fraction de seconde. © Nilsrinaldi – Wikimedia Commons

Et d’après des travaux récemment parus dans la prestigieuse revue scientifique Nature, la situation serait en fait bien plus problématique que prévu. Les chercheurs expliquent que leur nombre a été largement sous-estimé, car il est difficile de recenser ces animaux nocturnes qui restent immergés plus de 16 heures par jour.

En 2020, les naturalistes locaux avaient comptabilisé 98 individus. Une nouvelle étude plus poussée affirme désormais qu’environ 200 hippopotames vivraient aujourd’hui en Colombie. Et surtout, 37 % des animaux enregistrés étaient particulièrement jeunes. Un chiffre beaucoup plus élevé que dans leur Afrique subsaharienne natale. C’est assez préoccupant, car cela indique qu’ils continuent de se reproduire à grande vitesse.

La répartition des hippopotames en Afrique
La répartition des hippopotames en Afrique, leur continent natal. © Lewison, R. & Pluháček, J.

Et plus leur nombre augmente, plus leur impact sur les niches écologiques devient important. Les chercheurs ont constaté qu’ils avaient tendance à accélérer l’érosion des berges des rivières, ce qui prive certaines espèces de leur habitat de prédilection. Ils ont aussi tendance à creuser des tranchées qui isolent certaines parcelles de forêt.

Et surtout, ils s’adjugent une grande partie de la nourriture qui alimentait autrefois la faune locale. Cela pose un gros problème pour certains animaux comme les loutres à queue courte ou les capybaras. Encore plus inquiétant : ils sont aussi en compétition pour ces ressources avec certaines espèces en danger critique d’extinction, comme le lamantin des Caraïbes.

Les hippos connaîtront-ils le même sort que Pablo ?

En partant de ces constats, les chercheurs se sont penchés sur les pistes qui pourraient permettre de déloger cette espèce invasive. La première approche explorée en ce moment, c’est de les empêcher de se reproduire en les stérilisant. Mais selon les auteurs de l’étude, il s’agit d’une piste bancale. Ils considèrent qu’il faudrait au moins 45 ans pour s’en débarrasser de cette façon, et il faudra probablement revoir cette estimation à la hausse à la lumière des nouvelles données.

Une autre idée consiste à les capturer pour les relocaliser dans des sanctuaires. Mais là encore, il s’agit d’une opération extrêmement complexe en termes logistiques. Le processus pourrait aisément prendre plus de 50 ans selon les chercheurs.

L’article de Nature précise aussi que de nombreux spécialistes privilégient une piste bien plus radicale : les abattre comme leur ancien propriétaire. Selon eux, il s’agirait de la manière « la plus rapide et la plus humaine » de résoudre le problème avant qu’il n’échappe à tout contrôle.

Il s’agirait évidemment d’un crève-cœur pour les naturalistes. Pour rappel, l’hippopotame est considéré comme une espèce vulnérable. Le fait d’en abattre plusieurs dizaines serait donc tout sauf anecdotique. Mais selon les partisans de cette méthode, il s’agit du prix à payer pour éviter des dégâts irréversibles au niveau de la faune et de la flore locale. Un argument audible, sachant que la Colombie est considérée comme le deuxième pays au monde en termes de biodiversité et qu’il faut protéger ce trésor écologique à tout prix.

« Le fait d’abattre un hippopotame ne doit pas être pris à la légère », explique l’écologiste Rafael Moreno cité par Nature. « Mais le poids de l’autre décision — l’inaction — est largement supérieur », martèle-t-il. « J’espère que les politiciens comprendront ça. »

Le texte du rapport est disponible ici.

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Source : Nature

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