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Les ailes de cigale, nouvel espoir pour lutter contre les infections

Les ailes des cigales présentent des propriétés antibactériennes formidables; il sera bientôt possible de les exploiter grâce aux travaux d’une équipe de chercheurs, qui s’est appuyée sur le supercalculateur le plus puissant du monde.

Les cigales, ou plus précisément leurs ailes, disposent d’un superpouvoir aussi impressionnant que méconnu : elles sont capables de déchiqueter presque n’importe quel type de bactérie au premier contact.

Depuis qu’il a été mis en évidence dans cette étude de 2013, de nombreuses équipes d’ingénieurs, de chimistes et de biologistes ont analysé les propriétés physiques et chimiques de ces ailes dans l’espoir de découvrir l’origine de ce superpouvoir. Mais malheureusement, personne n’a jamais réussi à déterminer le mécanisme exact qui conduit à la mort des micro-organismes.

Les enjeux sont pourtant considérables ; si le phénomène était dompté, cela pourrait conduire à l’apparition d’une nouvelle génération de matériaux antibactériens d’une efficacité redoutable qui pourrait faire des merveilles en médecine.

Cela concerne tout particulièrement le monde hospitalier. Dans les établissements de soin, les infections nosocomiales — celles qui sont contractées pendant un séjour dans un établissement de soin — restent une préoccupation de premier plan. D’après les statistiques du Haut Conseil de la santé publique, un patient sur 18 a été victime d’une infection nosocomiale, et elles sont responsables de 7000 à 20 000 décès chaque année en France.

Une ligne de défense nanométrique

Pour résoudre cette énigme une fois pour toutes, une équipe de l’université américaine de Stony Brooks a tenté de reconstituer la structure de ces ailes. Elles sont en effet recouvertes de nombreux piliers nanométriques que les chercheurs ont réussi à recréer grâce à un polymère à base de polystyrène.

Ils ont ensuite testé leur surface au contact de bactéries Escherichia coli et Listeria monocytogenes, deux modèles très populaires en microbiologie. Ils ont constaté que tous les micro-organismes étaient non seulement morts, mais aussi qu’aucun d’entre eux n’avait adhéré au matériau. Un point fondamental dans le cadre de ces travaux.

« Parfois, quand des cellules bactériennes meurent, elles peuvent être partiellement absorbées par la surface. Ces débris sont un environnement parfait pour que leurs congénères puissent proliférer », explique Daniel Salatto, un des auteurs de l’étude. « C’est là que de nombreux matériaux antibactériens échouent, parce qu’il n’y a rien qui empêche les débris de s’accumuler sans produits chimiques potentiellement toxiques », précise-t-il.

Il s’agissait déjà d’un beau succès. Mais le fond du problème, à savoir le mécanisme exact qui donne ces propriétés au matériau, demeurait toujours aussi mystérieux. Ils ont donc choisi d’explorer un autre angle d’attaque : la simulation informatique.

Le Frontier à la rescousse

Ils ont rangé leurs microscopes et leurs éprouvettes pour se tourner vers l’Oak Ridge Laboratory (ORL), un laboratoire de recherche de pointe. Si ce nom vous rappelle quelque chose, c’est probablement parce qu’il héberge le Frontier, l’ordinateur le plus puissant du monde à l’heure actuelle. Il s’agit du premier supercalculateur à avoir franchi la barre de l’exaflops, soit un milliard de milliards d’opérations par seconde.

Les auteurs de l’étude ont fait appel à Jan-Michael Carrillo, un des chercheurs de l’ORL qui propose un service particulièrement intéressant dans ce cas de figure. Il exploite la puissance phénoménale du Frontier pour réaliser des simulations à très grande échelle et à haute résolution de la dynamique des molécules (on parle de simulations MD, pour molecular dynamics).

Grâce à l’expertise de Carrillo dans ce domaine, ils ont pu reconstituer les interactions entre la membrane des bactéries et ces piliers. Et surtout, ils ont eu tout le loisir de faire varier un tas de paramètres comme leur taille, leur diamètre ou leur espacement. Ils espéraient ainsi pouvoir isoler ceux qui contribuent le plus à l’efficacité de cette structure afin d’en déduire le mécanisme sous-jacent.

Et grâce à la puissance de ce titan de silicium, ils ont enfin touché au but. Les simulations ont montré que c’est l’espacement entre les piliers qui est le paramètre le plus important.

Lorsqu’ils sont à peine plus larges que le double de l’épaisseur de la membrane bactérienne, les interstices ont tendance à attirer les lipides qui la composent grâce à un phénomène de capillarité. Cela génère une forte tension de surface qui conduit à la rupture. Et une fois cette couche déchirée, cette tension disparaît, ce qui a pour effet d’éjecter les débris.

Les ailes des cigales sont recouvertes de piliers qui déchirent la membrane des bactéries.
© Jan-Michael Carrillo – Oak Ridge National Laboratory

« Nous pensions que la hauteur des piliers serait importante pour la nanostructure, parce qu’on pensait qu’ils se comportaient comme des aiguilles qui perforaient la membrane. Mais ce n’est finalement pas le cas », explique Maya Endoh, co-auteure de l’étude. « Nous pensions aussi que l’absence de débris était simplement liée au mouvement des ailes, mais nous avons pu prouver qu’elles se nettoyaient spontanément », précise-t-elle.

Vers une nouvelle génération de surfaces antibactériennes

L’autre avantage de cette méthodologie, c’est qu’à partir de ces constats, les chercheurs pourront remettre le Frontier à contribution pour optimiser la structure.

Ils espèrent ainsi créer un matériau encore plus performant que les ailes de la cigale. Il faudra pour cela déterminer l’espacement idéal des piliers et explorer d’autres matériaux. Cela pourrait rapidement déboucher sur une nouvelle génération de revêtements antibactériens. Ces derniers pourraient à leur tour faire des merveilles dans les établissements de santé.

En recouvrant la surface des cathéters utilisés pour les perfusions ou les sondes urinaires, le matériel d’intubation et autres équipements médicaux de ce genre, il serait théoriquement possible de diminuer considérablement le nombre d’infections nosocomiales. Cela pourrait notamment faire une grande différence dans la lutte contre les souches résistantes aux antibiotiques qui sont particulièrement difficiles à éradiquer, comme le fameux staphylocoque doré — et tout ça grâce à l’insecte préféré de Joe Dassin !

Le texte de l’étude est disponible ici.

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1 commentaire
  1. BRAVO, mais nous sommes déjà si nombreux. Et puis je vous propose de conserver, vivantes, ces merveilleuses compagnes de nos nuits d été car nos crickets “porte bonheur”, auront disparus définitivement de la surface de notre si belle terre .

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