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Un supercalculateur a passé la barre mythique de l’exaflops pour la première fois

Frontier est deux à trois fois plus puissant que Fugaku, le supercalculateur qui a occupé la première place du classement pendant 2 ans.

C’est un événement assez remarquable dans le cercle très restreint de l’informatique haute performance, ou HPC : le Fugaku, un supercalculateur japonais qui dominait sa catégorie de la tête et des épaules depuis deux longues années – une éternité dans ce domaine – a fini par céder la tête du classement. Dites bonjour à Frontier, nouveau monarque incontesté et incontestable du royaume des supercalculateurs d’élite.

La machine est basée à l’Oak Ridge National Laboratory, dans le Tennessee. Et pour arracher la première place du Top 500, un classement mensuel des supercalculateurs, les ingénieurs ont dû mettre les petits plats dans les grands avec du hardware de haute volée. Il est d’ailleurs intéressant de constater que contrairement à une grande partie des engins de cette catégorie, Frontier a choisi de se passer des GPU HPC Nvidia de la série Volta.

Le monopole du cœur

A la place de ces processeurs graphiques diablement puissants qui font partie des références sur ce segment, Frontier s’est tourné vers la concurrence; il navigue entièrement sous pavillon AMD. Selon PC Mag, l’engin fonctionne avec 9.400 processeurs EPYC de 64 coeurs et 37.000 processeurs graphiques AMD Instinct 250X. Au total, cela représente la bagatelle de 8,730,112 sous-unités de traitement… Une quantité de matériel effarante qui occupe pas moins de 74 armoires standard, et qui nécessite plus de 22.000 litres d’eau pour être refroidi correctement. 

Et comme on peut s’y attendre, ce titan de silicium n’a fait qu’une bouchée des benchmarks destinés aux plateformes HPC. Pour rappel, ces tests raisonnent en termes de flops (Floating Point Operations Per Second). C’est unité de mesure qui permet de quantifier le nombre d’opérations qu’un système est capable de réaliser en une seconde.

L’édition Juin 2022 du classement Top 500. © Top500

La “vraie” ère de l’exascale est enfin là

À l’heure actuelle, il existe déjà des engins qui sont théoriquement capables de s’approcher du cap de l’exaflops, soit un milliard de milliards d’opérations par seconde. C’est par exemple le cas du Fugaku, qui est bien un ordinateur dit “exascale” sur le papier. Mais en conditions réelles, il doit se contenter de 442 petaflops. Un chiffre qui reste très impressionnant, si bien qu’il faisait figure de référence jusqu’à aujourd’hui.

Mais la machine américaine vient de faire passer l’informatique haute performance dans une nouvelle dimension; ses concepteurs revendiquent un score moyen de 1,102 exaflops avec un pic à 1,685 exaflops; un chiffre trois fois plus élevé que le record de 0,537 exaflops établi par Fugaku ! A noter que les chiffres précis sont à prendre avec des pincettes à cause de légères différences au niveau des benchmarks, mais la conclusion reste la même : Frontier est le tout premier supercalculateur au monde à dépasser le cap symbolique de l’exaflops en conditions réelles.

Plus puissant, mais aussi plus rentable

L’autre point intéressant, c’est que cette nouvelle mouture de Frontier ne se distingue pas seulement par sa puissance brute; étonnamment, il fait aussi des merveilles en termes de rentabilité énergétique. On la mesure en GFlops/watt, c’est-à-dire le nombre d’opérations par seconde que la machine peut réaliser avec un budget énergétique d’un watt.

Sur le Green500, un classement des supercalculateurs en fonction de leurs performances énergétiques, Frontier s’installe directement en 2e position et avec 52 GFlops/watt. Et le premier n’est autre que… le Frontier Test Development System, le prototype qui a servi de base pour construire ce supercalculateur. C’est très étonnant, car les hauteurs de ce classement sont généralement occupées par des appareils nettement moins puissants; le fameux Fugaku, par exemple, ne figure même pas dans le top 500 selon ce critère.

Avec cette nouvelle explosion des scores au sommet du Top 500, l’ère de l’informatique “exascale” devient donc une réalité. Et vu à la vitesse à laquelle ces chiffres progressent, on peut s’attendre à ce que ce fameux exaflops devienne la norme pour les supercalculateurs dans un futur relativement proche.

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7 commentaires
  1. Impressionnant ! Les calculs les plus complexes vont être réalisés en des temps ahurissants, j’aimerais le voir « à l’œuvre » car j’ai du mal à m’imaginer ce que ce monstre de puissance est capable de faire.
    Et c’est une très bonne nouvelle que ce record de puissance soit accompagné d’un record de consommation d’énergie, c’est la preuve qu’on peut progresser sans nécessairement reléguer au second plan l’environnement.

  2. 22000L d’eau…. Par an, par seconde ou par heure ? C’est pas pareil, merci pour la précision à venir

  3. Bonjour @Loïc,

    Tout dépend de ce à quoi vous faites référence. Les 22.000 L mentionnés ici font référence au volume total du circuit de refroidissement. Les systèmes de ce type sont des circuits fermés qui ne “consomment” pas l’eau à proprement parler; elle se contente de transporter la chaleur en circulant entre le pôle chaud de la machine et un radiateur où cette chaleur est extraite du liquide… et ainsi de suite.

    Si votre question concerne la consommation nette en eau de l’ordinateur, cela dépend de la fréquence à laquelle le réservoir est remplacé par de l’eau propre, une donnée qui n’est malheureusement pas indiquée par le constructeur. Il y a effectivement une perte à ce moment, mais cela se limite vraisemblablement à une purge une fois tous les quelques mois. Si l’on estime arbitrairement ce délai à six mois, on se retrouve donc avec une “consommation” nette d’environ 120 L par jour (à titre de comparaison, une cimenterie peut aisément consommer plusieurs dizaines de milliers de litres par jour).

    Et si votre question concernait le débit des pompes qui permettent de faire circuler ces 22.000L d’eau, cette information n’a malheureusement pas non plus été explicitée dans le communiqué de presse. Mais le débit est probablement très important vu la quantité de matériel à refroidir !

    Bien cordialement et en vous remerciant de votre lecture,
    Antoine Gautherie

  4. Très intéressant !!
    Pour un même calcul complexe, actuellement, est ce que ce ce monstre peut rivaliser avec le quantique ?

  5. Bonsoir Très cher Antoine Gautherie,

    J’ai envoyé votre article à mes élèves et j’ai été submergé de questions. Je vous passe les questions sur les jeux car ils voulaient savoir le prix de ce supercalculateur en espérant l’acheter et gagner ainsi toutes les parties.
    Plus sérieusement, ils veulent connaître les retombées de “Frontier” et les applications dans la vie réelle. Que ce soit dans la santé, en ingénierie ou dans d’autres domaines.

    D’avance merci pour votre réponse

    Mario

  6. Bonjour @Mario Teixeira,

    Effectivement, pour ce qui est du prix, cette machine est largement hors de portée du commun des mortels; chacun des 9400 processeurs mentionnés dans l’article s’approche déjà des 10.000€ pièce, tandis que les 37.000 AMD Instinct 250X se monnaient chacun à environ 8000 pièce. Vous pouvez laisser vos élèves faire le calcul ! De plus, il faut encore y rajouter le reste de l’infrastructure, et surtout, payer une facture énergétique qui s’annonce tout simplement délirante dans l’absolu, même si les performances énergétiques de l’engin restent très bonnes pour sa catégorie.

    Les machines de ce genre servent majoritairement à la recherche scientifique; elles sont mises à disposition des chercheurs qui peuvent les utiliser à loisir sur le temps qu’ils ont réservé -moyennant finances, bien évidemment. Et autant dire que la moindre minute d’exploitation d’un tel monstre se paie très, très cher.

    En pratique, les supercalculateurs d’élite de ce type servent donc surtout aux grands labos et institutions qui s’attaquent à des problèmes à la fois importants et très exigeants en termes de puissance de calcul. Leur intérêt dépend entièrement des travaux des chercheurs qui l’utilisent; leur imagination est donc la seule limite, si l’on fait abstraction du prix.

    Ces engins peuvent être utilisés pour tout et n’importe quoi. Ils sont particulièrement appréciés des physiciens, qui leur permettent de s’intéresser à l’infiniment petit en simulant le comportement des particules élémentaires de la physique quantique. À l’opposé, astronomes peuvent étudier l’infiniment grand en modélisant l’expansion de l’univers, l’interaction entre des galaxies…

    Et cela ne concerne pas que des simulations abstraites. Ces systèmes servent déjà à résoudre des problèmes très concrets en ingénierie, santé et en pharmacologie par exemple. L’exemple le plus concret que j’ai à vous donner est celui d’AlphaFold, une base de données révolutionnaire sur les protéines qui révolutionne déjà la biologie, avec des implications très concrètes pour la médecine (voir l’article plus bas).

    Les projets de ce genre nécessitent une puissance de calcul phénoménale qu’il n’est possible d’obtenir qu’avec des appareils comme Frontier. Ils prémâchent ainsi le travail à tous les autres systèmes qui pourront ainsi se baser sur les retombées de ces travaux pour faire progresser leurs disciplines respectives. Et ces quelques exemples ne sont que la partie émergée d’un immense iceberg dont je serais bien incapable de faire le tour dans cette réponse !

    Bien cordialement et en vous remerciant de votre lecture,

    Antoine Gautherie

    NB : https://www.journaldugeek.com/dossier/alphafold-voici-pourquoi-la-base-de-donnees-sur-le-repli-des-proteines-est-revolutionnaire/

  7. Bonjour @Pilpoile,

    Tout dépend de ce que vous appelez “rivaliser” ! Ce sont deux technologies qui fonctionnent sur des principes tellement différents qu’en l’état, il est très difficile de les comparer sans cibler un critère précis.

    Dans la théorie pure, même un engin comme Frontier ne peut en aucun cas rivaliser avec un ordinateur quantique. Malgré sa puissance, il fonctionne toujours sur les principes de l’informatique traditionnelle; un ordinateur quantique, en revanche, utilise le principe de la superposition quantique, ce qui permet sur le papier de démultiplier exponentiellement la puissance de traitement. A ce niveau, un ordinateur quantique l’emporte sans discussion.

    Mais ce n’est pas un hasard s’ils ne sont pas utilisés aujourd’hui pour ces applications; en l’état, ils ne sont utiles que dans des cas de figure très précis, et ils sont encore assez mal adaptés aux applications concrètes. Dans la réalité concrète, ce sont les ordinateurs quantiques qui ont donc du mal à rivaliser; en l’état, vous pouvez réaliser plus d’opérations utiles en pratique sur votre smartphone que sur un ordinateur quantique.

    En espérant vous avoir répondu et en vous remerciant de votre lecture,

    Antoine Gautherie

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