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Le débat sur l’origine de la conscience fait rage

Entre les accusations de pseudosciences et les métaphores à base de bombe nucléaire, le débat sur l’origine de la conscience a rarement été aussi houleux qu’en ce moment.

La quête de la nature de la conscience – le fait d’être conscient de ses propres pensées, souvenirs, et émotions – a toujours fasciné l’humanité. À l’époque de l’Antiquité, il s’agissait d’un exercice philosophique auquel se sont livrés de grands penseurs tels que les illustres Platon, Aristote ou Marc Aurèle, pour ne citer qu’eux.

Depuis, la discipline a connu de grandes mutations avec l’avènement de la méthode scientifique moderne. Aujourd’hui, des tas de chercheurs essaient tant bien que mal de définir un cadre rigoureux, purement objectif pour l’étude de la conscience. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils sont très, très loin de parvenir à un consensus.

La définition du concept et de ses origines font toujours l’objet d’âpres discussions dans le monde académique — et le débat est en train de devenir plus houleux que jamais. Tim Bayne, professeur à l’Université australienne de Monash, a résumé le dernier épisode de ce feuilleton dans une tribune très intéressante sur The Conversation.

Deux théories rivales

Pour comprendre ce qui a mis le feu aux poudres, il faut remonter à la fin du dernier millénaire. En 1998, deux éminents spécialistes de la conscience, le neurobiologiste Christof Koch et le philosophe David Chalmers, ont fait un pronostic en apparence anodin : ils ont parié que les mécanismes par lesquels le cerveau humain produit notre conscience seraient découverts 25 ans plus tard.

Ils espéraient que les résultats finiraient par donner raison à une de leurs deux théories rivales — la théorie de l’espace de travail global (GWT) et la théorie de l’information intégrée (IIT).

La première, défendue par Koch, suggère que ce sont différents réseaux de neurones du cortex préfrontal qui combinent les pensées, les souvenirs et les perceptions avant de les diffuser à l’ensemble du cerveau. Selon cette théorie, la conscience fonctionne donc comme un espace centralisé d’échange d’informations.

Bernard Baars, qui a formalisé la GWT, l’a plus tard présentée à travers une analogie entre l’esprit et un théâtre. Dans ce « théâtre de la conscience », les processus cognitifs non conscients sont les machinistes, décorateurs, et autres acteurs invisibles de la représentation. Ce sont eux qui font basculer une pensée, un souvenir, une émotion dans le domaine du conscient grâce à un « projecteur » : l’attention.

La seconde théorie, privilégiée par Chalmers, propose l’existence d’une « zone chaude » à l’arrière du cerveau qui serait le siège exclusif de la conscience.

Selon Tim Bayne, elle se base sur des « axiomes phénoménologiques » soit-disant évidents sur la nature de la conscience. L’implication la plus importante, c’est que selon cette théorie, la conscience est extrêmement répandue. Même un système rudimentaire comme un simple circuit informatique serait doté d’un certain degré de conscience.

Ces quelques lignes ne suffiront largement pas à décrire toutes les nuances et les différences entre ces deux approches. Pour plus de détails, vous pouvez consulter cet article très complet sur Scholarpedia (en anglais). Mais ce qu’il est important de retenir, c’est que ces deux théories sont fondamentalement incompatibles.

Un congrès aux airs d’octogone

Ce que Koch et Chalmers ignoraient, c’est qu’au fil des années, leur poignée de main amicale allait progressivement se transformer en véritable guerre des clans. Les partisans des deux théories étaient prêts à en découdre ; ils attendaient impatiemment l’an 2023 pour déterminer un vainqueur.

Cette échéance est enfin arrivée cet été avec le 26e congrès annuel de l’Association pour l’Étude Scientifique de la Conscience, à New York. Les débats s’annonçaient particulièrement houleux… mais ils ont été encore plus violents que prévu.

Tout avait pourtant bien commencé. Selon Science, les adeptes de l’information intégrée étaient prêts à revendiquer la victoire sur la base d’expériences intéressantes, mais dans une bonne ambiance. Le jour J, la victoire a donc été accordée au philosophe, même si les protagonistes ont reconnu tous les deux que la quête de la conscience était loin d’être terminée.

C’est aussi l’avis de Liad Mudrik, un chercheur en sciences cognitives qui a participé à l’organisation de ce grand bras de fer. Selon lui, personne n’est sorti vainqueur de cet octogone académique. « Les résultats ont défié les deux groupes, avec des prédictions clés des deux théories qui ont été mises en défaut par les données », cite Science.

Cela ne signifie pas que les deux théories sont mortes, mais qu’elles ne sont pas encore suffisamment matures en l’état. La conclusion, c’est qu’il va falloir patienter et laisser la science suivre son cours normalement. Mais l’histoire a rapidement pris un tournant plus sombre. Car si Koch et Chalmers se sont quittés bons amis, ce n’est pas le cas de tous les chercheurs. Le débat a continué de faire rage en coulisse.

La lettre de la discorde

Forcément, les défenseurs de la GWT ont poussé dans l’autre sens, en affirmant qu’ils allaient bientôt publier d’autres résultats convaincants qui le concordaient pas avec le modèle de l’IIT. Et au lieu au lieu d’en rester là, certains sont directement repassés à l’offensive.

Une centaine de spécialistes ont publié une lettre ouverte incendiaire où ils s’en sont pris directement à la crédibilité de l’IIT. Ils ont notamment argué que cette dernière avait reçu plus d’attention médiatique qu’elle ne le méritait, qu’elle ne faisait même pas partie des plus crédibles… et surtout qu’il s’agissait de pseudoscience.

Ce genre d’attaque est excessivement rare dans le monde de la recherche ; c’est généralement considéré comme un coup en dessous de la ceinture. C’est un peu l’équivalent académique du Point Godwin, à peu de choses près.Sans surprise, ce terme a suscité des réactions indignées.

C’est le cas de Chalmers, qui a résumé la situation avec une métaphore gratinée. Sur X, il a estimé que le fait de brandir ainsi ce terme revenait à « larguer une bombe atomique pour résoudre une querelle régionale ».

Le sous-entendu est clair : ces attaques pourraient faire bien plus que discréditer l’IIT. Elles pourraient aussi avoir des conséquences regrettables pour toute la recherche sur la conscience, et même la science en général.

Selon lui, tirer à boulets rouges sur l’IIT pourrait être extrêmement contre-productif pour le bon déroulement du processus scientifique, sachant qu’il s’agit d’une piste qui reste malgré tout considérée comme digne d’intérêt par la majorité des experts. En d’autres termes, mieux vaut attendre des preuves irréfutables avant d’avoir recours à ce genre de vocabulaire.

Un appel à la patience et à l’ouverture d’esprit

Car au bout du compte, la recherche sur la conscience est une discipline encore très exploratoire, jonchée de lacunes théoriques et de bourbiers éthiques. Il existe effectivement de nombreux points de friction dans l’IIT. Mais c’est aussi le cas de toutes les autres grandes théories dans ce domaine — y compris la GWT.

Bayne, de son côté, partage cette interprétation. Il estime que c’est « injuste » vis-à-vis de l’information intégrée — une théorie par rapport à laquelle il s’est pourtant montré assez critique. Mais surtout, il considère que cela « manifeste un manque fondamental de foi dans le processus scientifique. Si la théorie fait effectivement faillite, les mécanismes traditionnels de la science suffiront à le démontrer », conclut-il.

Morale de l’histoire : les chercheurs sont encore très loin de savoir en quoi consiste la conscience, d’où elle provient, quels en sont les mécanismes… et même si elle est effectivement localisée dans le cerveau. Cette passe d’armes montre bien à quel point le sujet est vivace. Mais la seule option, c’est de faire preuve de patience et de ne pas céder à la préciptation. Il ne reste qu’à espérer que les débats continueront dans une ambiance apaisée, pour que l’on puisse enfin percer les secrets de ce mécanisme qui nous fascine depuis l’Antiquité.

 

L’article de Science qui décrit les conclusions du congrès est disponible ici.
Les différentes présentations du congrès sont disponibles ici.
La lettre ouverte des partisans de la théorie de l’espace de travail global est disponible ici.
La tribune de Bayne est disponible ici.

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6 commentaires
  1. Cela part du principe que la conscience est générée par le cerveau, donc on peut voir ce débat comme une querelle entre partisans de la théorie localisationniste de la conscience.
    Cela rejoint les débats sur la “conscience” des IA car ce sont les même bases théoriques

    Or on peut dicuter du fait que leur constat de départ peut être complètement faux, ce qui rend tout leur échaffaudage théorique… faux

  2. Sauf qu il n y a pas de debat scientifique sur la conscience d une IA pour une raison simple : le I anglais ne se traduit pas par Intelligence mais par Donnees.
    Pour resumer une AI est un traitement focalise sur la gestion de liens entre donnees…
    Les bases theoriques sont donc radicalement differentes…
    Et tombent sur un ecueil simple aussi : aucun scientifique n a parfaitement defini la notion de conscience
    Le debat dont on parle ici est juste un debat de niveau bas sur le sujet et pas un debat de specialiste de la notion de conscience

  3. J’aime beaucoup les travaux du docteur Jean Jacques Charbonier avec ses expériences de TCH qui visent à démontrer la conscience extra neuronale.

  4. Les deux théories, celle de l’espace de travail global et la théorie de l’information intégrée, n’abordent pas le fond de la conscience, on ne peut pas élaborer une théorie sur un concept dont on est en difficulté rationnelle de donner une définition opératoire de la conscience, celle capable de fournir les éléments fondamentaux de construire un modèle rationnelle du formalisme de conscience. L’IIT ne peut prouver aujourd’hui un certain degré de conscience dans l’IA, faute d’une définition opératoire de la conscience. Un modèle rationnelle de la conscience devrait être une approche de la théorie de l’espace de travail global et de la théorie de l’information intégrée, qui présente une propriété de la conscience d’être locale et non locale, seule capable de résoudre le problème de la spiritualité qui relève des états modifiés de conscience. Nous pensons que le Paris selon lequel dans 25 ans, une solution sera trouvée, va bientôt s’accomplir avec notre formalisme sur le modèle standard de la rationalisation de la subjectivité de la conscience, qui est une théorie qui présente un modèle mathématique de la conscience.

  5. Faux débat, la conscience n’est pas l’apanage de l’humain et le postulat du cerveau pour la localiser est bancal. Commençons par affiner la définition de la conscience en étendant nos connaissances de son fonctionnement dans le monde végétal, animal, fongique, et on pourra ensuite établir un modèle un peu plus scientifique. Mais là, on en est toujours à Aristote et à Platon si on se cantonne à l’esprit humain.

    La conscience, l’esprit, est quantique. Elle est, et n’est pas, en même temps. C’est le chat de Schrödinger. On peut l’imaginer, mais pas le caresser.

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