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Voyager 1 : il faudrait un « miracle » pour sauver la sonde légendaire

La NASA ne s’avoue pas encore vaincue, mais reconnaît que le coma de l’explorateur le plus prolifique de l’histoire de l’astronautique pourrait bien marquer la fin de son incroyable voyage.

Le 14 novembre 2023, la sonde spatiale Voyager 1 a été victime d’un dysfonctionnement qui l’a plongée dans un profond coma. Depuis, elle dérive aux confins du cosmos dans un état léthargique, incapable de transmettre la moindre donnée scientifique ou de navigation utilisable à la Terre. Depuis, la NASA fait tout son possible pour la sortir de ce pétrin. Mais plus le temps passe, plus le pronostic s’assombrit ; même s’ils ne sont pas encore totalement résignés, ses responsables se préparent désormais à l’inévitable.

« Ça serait le plus grand des miracles si on parvenait à la récupérer », explique Suzanne Dodd, responsable de l’équipe Voyager au célèbre Jet Propulsion Lab de la NASA dans une interview à Ars Technica. « Nous n’avons certainement pas abandonné ; il y a d’autres choses que nous pouvons encore essayer. Mais c’est de très loin l’incident le plus sérieux depuis que j’en suis responsable », précise-t-elle.

Voyager 1 ne répond plus depuis des mois

Au cours de leur enquête, Dodd et ses collègues ont réussi à identifier l’origine du problème : il semble provenir du Flight Data Subsystem, un des trois ordinateurs de bord du véhicule. Il est notamment conçu pour gérer la plupart des données qui relèvent de la navigation et du contrôle de l’orientation. Il s’agit pourtant d’un système redondant, c’est à dire qu’il est présent en deux exemplaires à bord de l’engin. Malheureusement, ce jumeau qui devait prendre le relais en cas de pépin a déjà flanché il y a belle lurette ; selon Dodd, il ne fonctionne depuis 1981.

© NASA/JPL-Caltech

Il ne restait donc qu’un FDS opérationnel à bord de Voyager 1. Et malheureusement, il semble qu’au moins un bit de sa mémoire soit corrompu. L’origine de ce problème n’est pas tout à fait claire, mais il existe plusieurs explications possibles. La plus évidente, c’est que cette portion de la mémoire ait été traversée par une particule de haute énergie qui aurait changé l’état de ce chiffre binaire du 0 au 1, ou vice-versa.

Bit flip, bug de mise à jour ou souci de matériel ?

Ce phénomène appelé bit flip est pris très au sérieux par les constructeurs d’engins spatiaux, sachant que ces derniers sont beaucoup plus exposés à ces rayonnements problématiques que les engins terrestres. Mais même sur Terre, les concepteurs de systèmes informatiques commencent à s’en méfier. Cette thématique a attiré beaucoup plus d’attention depuis un incident survenu lors d’une élection en Belgique. En 2003, un bit supplémentaire s’est inséré sans raison apparente dans la mémoire d’une machine de vote électronique, ce qui a eu pour effet d’attribuer 4096 votes supplémentaires à une résidente locale. La piste de la fraude ayant été écartée, et en l’absence d’une autre piste crédible, plusieurs spécialistes en ont conclu qu’une particule venue de l’espace était venue mettre la pagaille dans le système.

Une autre possibilité, c’est que ce bug soit lié à la cure de jouvence logicielle dont Voyager 1 a bénéficié en octobre 2023, peu avant le glitch. La NASA avait prévu qu’il s’agissait d’une opération risquée. Même si cette mise à jour semblait s’être bien déroulée, il n’est pas impossible qu’elle ait joué un rôle.

Quoi qu’il en soit, l’équipe ne parvient plus du tout à communiquer avec Voyager 1. La sonde se contente tout juste d’émettre un signal continu qui montre qu’elle est toujours techniquement en vie. Mais elle a cessé de répondre aux sollicitations et demeure entièrement catatonique. Un peu comme un humain dans le coma dont on peut prendre le pouls, mais qui ne peut plus communiquer.

Un dinosaure technologique

Le problème, c’est qu’il ne va pas être facile de comprendre toutes les nuances de la panne. En effet, Voyager 1 et sa sœur Voyager 2 ont été lancées en 1977 ; les ordinateurs de bord ont donc été conçus il y a plus de cinq décennies. Autant dire que les gens qui maîtrisent encore tous les détails techniques ne se bousculent pas au portillon. « Je ne veux pas être morose, mais une grande partie des gens qui ont conçu Voyager sont aujourd’hui décédés », regrette Dodd dans son interview à Ars Technica.

Pour espérer remédier au problème, il faut donc se réapproprier tous les détails de la conception en se basant sur de la documentation extrêmement datée, et basée sur des techniques qui ne sont plus du tout d’actualité. Un travail de fourmi pour la poignée de spécialistes qui continuent de veiller sur l’engin. « Nous avons une quantité raisonnable de documentation, mais la plupart n’existe qu’au format papier, donc il faut carrément faire des fouilles archéologiques pour trouver ces informations. »

Plus que jamais, cela commence donc à sentir le roussi pour Voyager 1. On se doute bien qu’une mauvaise nouvelle finira par tomber dans un futur relativement proche. Dès juin 2022, les troupes de la NASA avaient déjà prévenu que les Voyagers étaient en bout de course, puisque les réacteurs au plutonium à l’âge canonique commençaient à battre de l’aile.

Tout le monde sait pertinemment que cet engin a déjà largement dépassé son espérance de vie. À l’origine, la mission n’était censée durer que… quatre ans ! « Nous avons déjà dépassé dix fois la garantie sur ces fichus engins », soufflait le physicien Ralph McNutt en 2022. Un peu comme Ingenuity, le formidable petit hélicoptère martien qui nous a quittés récemment après une formidable épopée — mais à une échelle encore bien plus importante.

Une épopée très importante pour l’imaginaire collectif

Mais ce n’est pas seulement pour cette longévité exceptionnelle que les sondes Voyagers sont exceptionnelles. On leur doit par exemple plusieurs découvertes majeures sur Saturne et Jupiter, les deux géantes gazeuses de notre système solaire. Mais surtout, ils ont littéralement repoussé les limites de l’espace observable. En effet, ils se sont aventurés plus loin de la Terre que n’importe quelle autre machine humaine.

© NASA

En 1989, Voyager 1 est devenu le premier engin spatial à dépasser l’orbite de Pluton, le corps céleste majeur le plus lointain de notre système solaire. Et l’année suivante, elle a capturé quelques photos historiques qui ont fortement impacté l’imaginaire collectif. Plus d’un milliard de kilomètres derrière l’orbite de ce petit caillou depuis rétrogradé au rang de planète naine, la sonde a pris les toutes premières « photos de famille » du système solaire. C’était la première fois que l’on pouvait observer toutes les planètes de voisinage cosmique sur une même image.

Mais surtout, elle a pris un cliché légendaire où l’on voit la Terre sous forme d’un petit point bleuté, perdu seul au milieu de l’immensité du cosmos. Cette image est passée à la postérité sous le nom de « Pale Blue Dot » (un point bleu pâle), en référence à une réplique de Carl Sagan, un célèbre astronome qui a été bouleversé par cette nouvelle perspective sur notre planète.

Pale blue dot
En plissant les yeux, on peut repérer un “pale blue dot” au milieu d’une trainée claire; il s’agit de la Terre vue par Voyager depuis les confins du système solaire. © NASA / JPL-Caltech

À travers ces images, Voyager 1 a permis à des millions de personnes de prendre conscience de l’immensité grandiose et terrifiante de notre univers. Et par extension, de relativiser le statut de notre civilisation, aussi exceptionnelle que fragile et insignifiante une fois qu’elle est ainsi condensée dans une poignée de pixels.

Une place garantie dans les livres d’Histoire

Et depuis, la mission Voyager n’a pas cessé de faire rêver les amoureux de l’espace. Voyager 1 a fini par devenir la première invention humaine à atteindre l’espace interstellaire, et à l’heure où ces lignes sont écrites, elle navigue à 24 363 529 636 kilomètres de la Terre. Un record qui n’est pas près de tomber.

A la vitesse actuelle, il lui faudra encore un peu plus d’un an pour atteindre les 25 milliards de kilomètres. Mais à moins que le « miracle » tant attendu par l’équipe de Dodd n’arrive, elle sera sans doute toujours dans le coma au moment de franchir cette barre symbolique. Il ne reste donc plus qu’à attendre une bonne nouvelle inespérée, ou plus raisonnablement, un acte de décès en bonne et due forme pour l’aîné de ce couple qui a déjà réservé sa place au Panthéon de l’exploration spatiale.

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Source : Ars Technica

8 commentaires
      1. Je suis une fois de plus envahi sinon terrifié par le potentiel de l’être.
        Se rendre compte que malgré que notre système solaire soit lui-même infiniment petit à l’échelle de l’univers, nous soyons dotés de conscience.

  1. Une bien belle aventure !
    Quelle extraordinaire aventure à la fois technique car, il ne faut pas l’oublier, c’était une première à la pointe de la technologie de l’époque mais c’était aussi une grande aventure humaine. Non seulement pour les gens qui ont travaillé ensemble des jours et souvent des nuits pendant des années mais surtout pour l’Humanité. Elle devrait relativiser sa place dans cet incommensurable et mystérieux univers (hélas ce n’est pas le cas). Nous sommes si minuscules, voire insignifiants, dans cette immensité noire et froide ! Il faut bien avouer que nos “petits” différents paraissent tout à coup dérisoires et misérables…. (Voir pale blue dot). Pour moi c’est aussi “historique” que le premier pas sur la Lune du programme Apollo.

    Tous ces gens peuvent être fiers de leur travail. Tout les sacrifices que cela a exigé de la part de chacun, des joies et des inquiétudes aussi font qu’ils méritent vraiment un grand BRAVO hyper admiratif et respectueux.

    1. Bonsoir, je me souviens encore très bien des 2 SONDES de voyageur 1,2 et c,est images qu’elle ont offert à nôtre connaissances je suis née en 1965 et je suis sur qu’elle resterons en vie après moi

  2. Même s’il n’y a plus de signaux de communication avec la Terre, ça n’empêchera certainement pas Voyager 1 de continuer sa route vertigineuse par delà le Système solaire!…seule comme une grande dans cette “infinie immensité”…
    Après, n’oublions pas qu’il reste sa petite sœur Voyager 2 (bien plus proche de nous que Voyager 1), toujours en “contact étroit” avec la Terre et qui continue son petit bonhomme de chemin aux confins du Système solaire. Ca va, la relève est assurée, tout n’est pas perdu alors! lol

  3. C’est assez poétique de se dire que ces objets seront peut-être les seules trace restante de l’humanité dans un futur lointain

  4. Deux objets qui se sont enfuies de cette planète débile comme un signe prémonitoire, continuez votre chemin et partez le plus loin possible

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