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[Critique] Tunnel

Le film catastrophe est un genre très largement dominé par l’industrie hollywoodienne, et n’a quasiment aucun équivalent ailleurs dans le monde. Le réalisateur Kim Seong-Hun a…

Le film catastrophe est un genre très largement dominé par l’industrie hollywoodienne, et n’a quasiment aucun équivalent ailleurs dans le monde. Le réalisateur Kim Seong-Hun a décidé de se le réapproprier avec la vitalité du cinéma coréen. Pari réussi ?

Cela va faire quarante ans que les films catastrophe passionnent le grand public, en jouant sur la peur primale d’un incident à priori inévitable. Mais au fil des années, la production américaine s’est engoncé dans un cycle du spectaculaire qui a peu à peu drainé l’émotion inhérente à ce genre de longs-métrages. 2012, Le jour d’après, San Andreas sont autant de films aseptisés par une course à la grandiloquence, portée par un renfort massif d’effets spéciaux. Les moyens techniques désormais engagés ont eu effet de restreindre les ambitions des réalisateurs plus confidentiels, car la déferlante visuelle à laquelle les spectateurs occidentaux se sont habitués suggère un cout financier très important.

Déjà auteur du très efficace Hard Day, Kim Seong-Hun revient avec Tunnel, un film au script pour le moins laconique, qui n’a finalement pas grand-chose à envier à ses soi-disant modèles. Après l’effondrement d’un tunnel dans lequel il était seul à rouler, un homme nommé Jung-Soo se retrouve piégé sous les décombres, et comprend qu’il va devoir survivre pendant un bon moment avant que les sauveteurs ne le trouvent, ou que le reste de la structure ne lui tombe dessus.

Alors que le reste de la production s’attarde à créer une structure scénaristique au personnage principal (et souvent à la famille qui l’entoure), Seong-Hun ne s’embarrasse pas d’une situation initiale, bien souvent superficielle. L’incident survient très vite, et laisse le spectateur pour seul témoin sous les décombres. Ce manque d’informations complémentaires renvoie à la simple humanité du personnage, et permet de rapidement s’identifier à lui.

Le long-métrage se scinde alors rapidement en deux, et entend nous faire vivre l’évènement du côté du survivant, mais aussi des sauveteurs. Sous les débris, Seong-Hun opte pour une mise en scène claustrophobique. Le véhicule dans lequel il est bloqué laisse une grande liberté de jeu à Ha Jung-Woo, qui compose avec quatre minicaméras placées tant bien que mal dans la carcasse. La suppression de toutes lumières additionnelles accentue l’authenticité visuelle générale.

On alterne alors entre de nombreux plans poitrine qui renforcent une impression prégnante de suffocation. Il faut d’ailleurs souligner la prestation de l’acteur, qui confirme une fois de plus son statut de star au pays du Matin calme. Il trouve un excellent écho dans le personnage de Dae-Kyoung (le très bon Oh Dal-Su, déjà vu dans Old Boy), un sauveteur qui veut rester optimiste devant une situation de plus en plus désespérée.

Les stigmates du cinéma coréen se font rapidement sentir, et donne une toute autre envergure au film. Soucieux de ne pas tomber dans le sensationnel, Seong-Hun fait lentement glisser son thriller vers le drame. Il pose alors un dilemme au spectateur, et questionne sur l’engagement de moyens considérables pour une personne dont on n’a plus aucune nouvelle.

Il charge d’ailleurs assez lourdement l’appareil politique, coincé entre populisme et conflit d’intérêts, qui voit dans ce sauvetage le moyen de briller, mais n’a pas envie de réduire le rythme infernal des autres chantiers du pays. Une référence à peine cachée au drame du Sewol, naufrage évitable d’un ferry ayant coûté 304 vies humaines en 2014. Une vive émotion qui avait soulevé des questions plus larges sur le développement extrêmement rapide des infrastructures sud-coréennes. La presse est également visée, même si la critique aurait gagné en profondeur en évoquant les réseaux sociaux, si friands de ce genre de drame.

Aussi difficile que cela puisse paraitre, Seong-Hun arrive à faire surgir des notes d’humour même dans la pire des situations. Elle se manifeste ici dans la gaucherie d’un jeune sauveteur ou dans la présence irréelle d’un chien accompagnant Jung-Soo. Comme pour les récents The Strangers et Dernier train pour Busan, ces brefs instants de détente dénotent de l’extraordinaire capacité des Sud-Coréens à mélanger les films de genre. La dramaturgie du film ne souffre jamais de ces bouffées d’air comique, qui donnent même de l’épaisseur à des personnages un peu trop pudiques. Comme la douleur ou la peur, le rire se rappelle à nous comme un élément constitutif de la vie, même lorsqu’elle ne tient qu’à un fil. Plus qu’un solide film catastrophe, Tunnel est aussi un beau drame à hauteur d’homme.

Une fois n’est pas coutume, le cinéma coréen revisite avec succès un genre aujourd’hui dominé par Hollywood. Sans jamais faire de son premier rôle un surhomme, le film arrive à tenir en haleine en proposant deux visions d’un même accident. Il en profite également pour se donner des allures de drame social, en préférant mettre en scène la survie plutôt que la simple destruction. Un joli pied de nez à ses homologues américains, qui donnerait presque envie d’être bloqué plus souvent.

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