Passer au contenu

Avec Supersex, Netflix romantise encore les violences sexuelles

Avec Supersex, Netflix érige Rocco Siffredi en héros profondément humain.

Le 6 mars prochain, Netflix diffusera Supersex. Réalisée par la cinéaste Francesca Manieri, la série en sept épisodes romancera la vie sulfureuse de l’acteur pornographique italien Rocco Siffredi, depuis son enfance à Ortona jusqu’à sa renommée internationale dans l’industrie pornographique. Incarné par Alessandro Borghi, le maître du gonzo s’offre un biopic intimiste, mais polémique. Au point que certains internautes appellent déjà au boycott.

Il faut dire que la série tombe mal. Diffusé à seulement 48 heures de la Journée internationale des droits des Femmes, Supersex entend retracer le parcours d’un acteur X connu pour ses performances extrêmes et son addiction assumée à la sexualité, autant qu’à ses prises de positions sexistes et ses débordements médiatiques. En 2006, Rocco Siffredi agresse sexuellement l’animatrice Cécile de Ménibus à la télévision française, sous l’œil hilare du présentateur Cauet. À l’époque, elle tente de faire bonne figure à l’antenne, mais révèlera 17 ans plus tard qu’il avait ensuite récidivé hors caméra, en tentant de l’embrasser de force.

Romantiser les prédateurs sexuels

Si Supersex fait polémique, la série est d’ores et déjà vouée au succès. La recette de Netflix est éprouvée, et la plateforme de streaming n’a pas son pareil pour transformer le scandale en billets verts. En 2020, elle ajoute 365 Dni à son catalogue. À l’époque, l’adaptation des romans best-sellers de Blanka Lipińska suscite l’indignation, en narrant la relation toxique entre une jeune femme innocente et un mafieux prêt à tout pour la conquérir. Pour arriver à ses fins, le protagoniste n’hésite pas à la kidnapper, la séquestrer, et lui faire subir plusieurs agressions sexuelles.

En plus d’être foncièrement médiocre, l’adaptation de 365 Dni pose de nombreux problèmes. Les violences, y compris sexuelles, sont romantisées à l’extrême, et la jalousie corrélée à la force des sentiments amoureux que les personnages se portent. Avant les aventures de Laura et Massimo, la saga 50 nuances de Grey avaient déjà ouvert la voie à ce type de relations toxiques et violentes, mais s’était gardée de franchir la limite de l’agression, mettant un point d’honneur à obtenir le consentement de l’héroïne.

Dans 365 Dni, Laura est enlevée et retenue captive, puis forcée d’assister à des rapports sexuels qu’elle n’a pas désirés. Pour autant, jamais cette absence de consentement n’est remise en question. Plus grave encore, elle finit par payer : l’héroïne tombe rapidement sous le charme de son ravisseur, et que le second volet s’ouvre sur la célébration de leur mariage. La fin justifie les moyens, et l’amour (même à sens unique) triomphe toujours.

Bridgerton
© Netflix

C’est dans ce même état d’esprit que se conclut la première saison de La Chronique des Bridgerton. Après un jeu de séduction consenti entre Daphne et le Duc de Hastings, la jeune femme n’hésite pas à violer son mari pour s’assurer une descendance… alors même qu’il a explicitement formulé son refus quant à l’idée d’avoir des enfants. Encore une fois, l’action de la jeune femme n’est jamais remise en question sur le plan moral. Le couple se déchire, l’autrice donne finalement raison à l’agresseuse. En tombant enceinte, Daphne réveille le désir de paternité de Simon, qui refusait de se voir père. Tout est bien qui finit bien.

Dans un registre éminemment plus macabre, la plateforme joue aussi de la fascination du public pour les mauvais garçons. En 2018, lorsqu’elle récupère les droits de diffusion de la série You, Netflix transforme le stalker et meurtrier Joe Goldberg en fantasme ambulant. Le visage angélique de Penn Badgley, révélé dans Gossip Girl contribue sans doute à alimenter le phénomène. Au point que ce dernier est obligé de publier un rappel à l’ordre sur les réseaux sociaux : non, l’obsession du personnage pour Beck n’est pas saine. Non ce n’est pas de l’amour. Non, harceler quelqu’un ne se terminera pas en happy end. Reste que le public en redemande, et que Netflix offre à son anti-héros une rédemption inattendue, en transformant un meurtrier en victime de machination. Les productions similaires ne feront d’ailleurs pas beaucoup mieux, à l’image de À travers ma fenêtre (2022), qui confond obsession malsaine et romance adolescente.

True crime, cash machine

Érotiser les criminels n’est pas un phénomène nouveau, et l’hybristophilie fait régulièrement parler d’elle dans la presse. Dès la fin du XIXe siècle, le tueur en série Henri Désiré Landru reçoit des milliers de lettres enflammées et des centaines de demandes en mariage, alors même qu’il est accusé du meurtre de onze femmes. L’histoire se répète avec Charles Manson, qui recevait plus de 20 000 courriers de fans chaque année depuis sa cellule, puis avec Nordahl Lelandais, devenu père en prison.

Si Netflix n’est pas le premier à miser sur le genre true crime, l’entreprise participe activement à alimenter le fantasme de la transgression. Lorsqu’elle confie à Zac Efron le rôle du charismatique tueur en série Ted Bundy dans Extremely Wicked Shockingly Evil and Vile en 2019, l’opération est un succès. À l’époque, l’engouement est tel que la plateforme décide finalement de mettre en garde les téléspectateurs sur Twitter, en expliquant : “On entend beaucoup parler de la prétendue beauté de Ted Bundy et nous voulions gentiment rappeler à tout le monde qu’il y a littéralement des MILLIERS d’hommes sexy sur le marché — dont presque tous ne sont pas des meurtriers en série reconnus coupables”. Le N rouge récidive pourtant en 2022, en confiant à Evan Peters le rôle du tueur en série Jeffrey Dahmer, dans une série éponyme sur le cannibale de Milwaukee.

Docu ou fiction, le poids des mots

Le biopic sur Rocco Siffredi n’entend évidemment pas tomber dans le macabre de Dahmer ou du documentaire Lover, stalker, killer. Reste que la série offre un point d’honneur à écrire l’histoire du point de vue de l’acteur pornographique, en évitant soigneusement de questionner d’autre version des faits. On peut évidemment reprocher à Netflix sa propension à dépeindre des histoires et des relations toxiques sans jamais les remettre en cause. Le problème, c’est que la plateforme ne fait pas beaucoup mieux lorsqu’il est question de documentaires ou de séries true crime, mettant en scène des personnages bien réels.

Supersex
© Netflix

Dans Supersex, Netflix passe sous silence certains dérapages bien réels qui tournent autour de Rocco Siffredi, transformant l’acteur italien en une figure naïve, presque juvénile, qui compense ses émotions bancales par une addiction à la sexualité. Sans complètement auréoler son personnage principal, la série est loin d’érafler son image. À la fin de notre visionnage, c’est un arrière-goût amer qui subsiste, comme lorsque le documentaire Money Shot entendait enquêter sur les dessous du modèle économique de Pornhub, en donnant la parole aux collaborateurs et collaboratrices de la plateforme pornographique plutôt qu’à ses détracteurs.

Netflix va devoir faire mieux

Les histoires d’amour compliquées ont toujours eu du succès, surtout auprès des adolescents. Il y a vingt ans, les lecteurs de Stephenie Meyer vivaient leurs premiers émois amoureux en découvrant l’obsession d’Edward Cullen pour Bella Swan. Depuis le phénomène Twilight, la Dark Fantasy est en plein essor. Les relations toxiques, violentes et abusives sont légion, érigeant le trope ennemies to lovers au sommet du prisme amoureux. Si la littérature regorge de succès du genre, les séries et le cinéma aussi entendent s’offrir leur part du gâteau. Chez Netflix, il suffit de taper certains mots-clés pour s’en convaincre. Sous emprise, Obsession, Addicted, Fatal Seduction… les schémas se suivent et se ressemblent.

Netflix avait la liberté de s’aventurer plus loin que la télévision classique pour en briser les codes. À la place, l’entreprise a préféré s’enliser dans la romantisation des violences sexuelles et des relations toxiques, avec une tendance assumée au soft porn. Le genre est populaire, et il rapporte gros. C’est dommage, Netflix avait tout à gagner à miser sur un angle de vue différent.

🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.

11 commentaires
  1. De l’halu dans une époque meetoo de produire une série sur ce personnage qui traite les femmes comme de la viande ,on marche sur la tête .

    1. Le mouvement metoo a été initié par une personne qui a menti sur le fait de s’etre faite agressée donc je préfère large un reportage sur Rocco qu’une pseudo bien conscience de comment se tenir alors que ce n’est qu’un ramassis d’hypocrisie

      1. Ah, une personne a menti donc annulons totalement tout le bien que fait un mouvement…
        Tu dois pas faire grand chose dans la vie si la faute de l’un retombe sur tout le reste assimilé ?

        Après, la faute est partagée. Oui Netflix produit un contenu consensuel… mais des gens vont le regarder car ils cherchent à se divertir en regardant une série, pas à la réflexion. Et la part de ceux qui s’indigneront du traitement sera minoritaire. Donc Netflix crée simplement un produit qui fonctionnera auprès de son audience (et évite de trop entacher une personne vivante pour ne pas se prendre un procès).

  2. Ah ouais horrible , il etripe ses victimes dans leur sommeil , c’est Rocco Sifreddy Krueger … ah ah ah

  3. Le mouvement metoo a été initié par une personne qui a menti sur le fait de s’etre faite agressée donc je préfère large un reportage sur Rocco qu’une pseudo bien conscience de comment se tenir alors que ce n’est qu’un ramassis d’hypocrisie

  4. Ahah, le contrepied à l’heure de metoo où le paraître est plus important que tout alors qu’en coulisse…
    Bien jouer Netflix pour le buzz.^^

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Mode