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Les jeux vidéo modernes sont-ils encore des jeux vidéo ?

Cinématiques à outrance, photoréalisme à toute épreuve, niveaux de difficulté sans danger de mort… Les jeux modernes prennent des allures de films interactifs. Est-ce une bonne chose ?

L’année dernière, les Game Awards ont vu s’affronter God of War Ragnarök et Elden Ring pour le titre de GOTY (jeu de l’année). Avec leurs styles très différents, les deux jeux ont rassemblé des communautés qui leur sont propres mais ont également fait couler beaucoup d’encre et divisé un peu plus le monde du gaming en deux camps. Plus que des jeux, ce sont deux visions de l’industrie qui se sont opposées sur la scène.

D’un côté, les titres centrés sur la narration, avec un gameplay plus ou moins accessible et qui mettent l’emphase sur les cinématiques, les dialogues et le photoréalisme. De l’autre, les titres au gameplay exigeant, qui représente 90% de son intérêt, avec des mécaniques intelligentes, souvent innovantes qui permettent aux genres les plus anciens du jeu vidéo d’évoluer. Si ces deux catégories comportent des avantages certains, il semble que les jeux modernes adoptent de plus en plus le premier modèle, au détriment du fonctionnement traditionnel. Quelle est la place de ces jeux vidéo d’un nouveau genre, à la limite de films interactifs, au sein d’une industrie codifiée qui se ramifie ?

Retour aux sources

Si l’on en croit certaines personnes, l’essence même du jeu vidéo se perd avec les années. C’est pourquoi le mouvement retrogaming vise à remettre sur le devant de la scène les toutes premières productions, celles des années 1980 à 2000. Mais un jeu vidéo, c’est quoi exactement ? Si l’on se fie à la définition du site L’Internaute, alors un jeu vidéo est un “jeu nécessitant un dispositif informatique comme un ordinateur ou une console de jeu, dans lequel le joueur agit sur un environnement virtuel.

Il nous faut donc un agent, le joueur, et du matériel, un écran couplé à un dispositif permettant de créer l’aspect vidéo (console ou PC). Le jeu vidéo est avant tout un moyen de se divertir grâce à un gameplay basé sur la technique disponible. Autrefois réservé aux initiés, aux intellectuels et aux férus de technologie, le domaine a vu passer de nombreuses œuvres dont le seul but était de pouvoir faire des choses parce qu’il était possible de les faire.

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Crédits : Atarij

Aujourd’hui, la narration a bien rattrapé son retard sur la technique pour une seule et bonne raison : celle-ci est devenue plus abordable, moins exceptionnelle. Les quelques studios de jeux vidéo sont devenus des centaines, voire des milliers à travers le monde, il faut donc trouver un autre moyen de se démarquer de la concurrence et cela passera par le fond plutôt que par la forme. C’est exactement ce qui crée le décalage que l’on connait aujourd’hui entre des jeux comme God of War et Elden Ring.

En parallèle de ce phénomène, se pose aussi la question de la difficulté. Autrefois inhérente à tout jeu vidéo simplement par manque de possibilités techniques (paramètres de confort inexistants), celle-ci va peu à peu s’effacer pour s’adapter au nouveau public des jeux vidéo mais aussi rendre la vie plus facile, plus divertissante – le but premier d’un loisir – aux utilisateurs de toujours.

Les joueurs sont donc de plus en plus nombreux à dénoncer le caractère cinématographique, trop facile et trop narratif, de certains jeux. La recherche d’émotions signifie moins de temps consacré au gameplay pur et à la recherche de skill. Les aventures sont souvent plus guidées, un sentiment de baisse du niveau des joueurs se crée, résultant en des disputes entre les communautés comme le plutôt récent Elden Ring vs God of War Ragnarök.

Jeux vidéo et cinéma, une histoire d’amour culturelle

Pourtant, les domaines du cinéma et du jeu vidéo n’accumulent pas que des différences, mais surtout beaucoup de similitudes. Le jeu vidéo est déjà en lui même un projet hybride, qui mêle plusieurs formes d’arts très distincts : la musique, le dessin, la photographie mais aussi le cinéma. L’industrie vidéoludique emprunte depuis toujours (ou presque) de nombreux procédés techniques au 7ème art, et on le retrouve aujourd’hui encore avec la motion capture, entre autres.

Les studios de jeux vidéo se reposent de plus en plus sur cette technologie pour modéliser des rendus 3D en mouvement à partir de véritables acteurs pour un résultat encore plus réaliste. Les cinéphiles savent que la motion capture nous vient directement du cinéma et qu’elle a largement été utilisée dans Avatar, pour ne citer que ce mastodonte.

Mais l’inverse est aussi vrai. Le cinéma s’inspire aujourd’hui du jeu vidéo pour créer des œuvres plus interactives, surtout dans le domaine de l’animation et de la modélisation 3D. Quelques événements sont à rappeler, comme le rachat de Weta Digital par Unity. Le premier est un studio d’effets spéciaux fondé par Peter Jackson – le réalisateur du Seigneur des anneaux – et qui est devenu célèbre pour ses réalisations sur King Kong, Avatar, Jumanji : Next Level ou encore les productions Disney Le Roi Lion et Le livre de la jungle. Le second est le nom d’un des moteurs de jeux les plus utilisés sur le marché, concurrent direct de l’Unreal Engine d’Epic Games. 

Cette acquisition a officiellement été finalisée pour qu’Unity puisse construire sa propre version du métavers, mais devrait aussi trouver son compte en s’immisçant dans le monde des jeux vidéo. Le Roi Lion avait d’ailleurs profité du moteur graphique pour un rendu plus fluide et réaliste. Des images 3D plus spectaculaires, des rendus encore plus photoréalistes et des mondes plus immersifs, voici ce qui attend les joueurs.

Outre la technique, le cinéma s’inspire également des jeux vidéo sur le fond. Ces dernières années, on a vu le nombre d’adaptations grimper, pour le pire comme pour le meilleur depuis récemment. Netflix, Sony, Paramount, Amazon ; tous veulent leur part du gâteau en produisant des séries et des films inspirées des plus grandes licences qui se prêtent le mieux au cinéma (Uncharted, The Last of Us, Resident Evil, Sonic, God of War, Super Mario Bros., etc). On peut même constater que la plupart de ces franchises appartiennent à Sony, qui occupe une place importante sur le marché du divertissement, aussi bien vidéoludique que cinématographique ou encore musical. 

Faut-il encore parler de jeu vidéo ?

Avec autant de similitudes et de frontières floutées, il n’est pas rare de considérer le jeu vidéo comme un divertissement multiplateforme, cross-media, une œuvre artistique autant qu’un produit de consommation de masse. Il paraît donc logique que les jeux vidéo modernes trouvent souvent leur source dans le cinéma comme dans d’autres formes d’art. Il n’est pas rare de croiser des développeurs fans du septième art, comme peut l’être Hideo Kojima. Le cinéma se ressent dans ses jeux à travers des points spécifiques : les mouvements de caméra, la mise en scène visuelle, le soin apporté aux dialogues, la trame des jeux qui se veut toujours plus spectaculaire et prenante, en plus de la technique évoquée plus haut.

Crédits : Kojima Productions

Dans la plupart des cas, on ne peut pas dire que les jeux ultra cinématisés mettent la difficulté du gameplay au premier plan. C’est l’histoire et la fluidité qui comptent avant tout, bien que plusieurs instances ont prouvé que les deux domaines étaient compatibles (Star Wars Jedi, God of War, la trilogie Tomb Raider). Detroit Become Human, développé par Quantic Dream et sorti en 2018, n’arbore que des phases de gameplay très accessibles, avec de la marche, de la recherche, des choix timés ou encore des QTE. Ce sont des jeux qui parlent davantage au grand public et qui s’éloignent donc de l’idée même de défi.

Est-ce une si mauvaise chose ? Au delà de cette question subjective, quand le jeu se consomme presque comme un film, cela lui enlève-t-il le droit d’appartenir à cette catégorie ? Le principe de base d’un jeu c’est la démarche d’interactivité. À ce titre, supprimer du gameplay ne signifie pas forcément effacer cette fameuse interaction entre le produit et son consommateur. 

Ces jeux vidéo d’un nouveau genre ne cherchent peut-être plus le contact avec le participant à travers les commandes d’une manette, mais le touchent grâce aux émotions qu’ils procurent, bien plus intenses qu’à une époque où les titres étaient sous forme de pixels, sans réels dialogue et sans mise en scène spectaculaire. Cela n’enlève en rien qu’à l’époque ils ont tout de même réussi à impacter tout une génération justement parce qu’ils étaient les précurseurs d’un mouvement important et parce qu’il s’agissait de la seule manière de transmettre cette forme d’art. 

C’est finalement lorsque le divertissement est immersif que l’implication du joueur est accrue. Mais elle est surtout nécessaire. À l’ère numérique où la surstimulation et le temps de concentration considérablement raccourci font légion, capter les joueurs et les motiver à rester est un travail de tous les jours qui demande, parfois, un investissement émotionnel de leur part. Si des formats hybrides existent bel et bien, la plupart des jeux vidéo ultra cinématisés restent pour le moment le simple reflet de l’évolution d’un média pluri artistique en mouvement constant. 

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1 commentaire
  1. Comme souvent, on confond le support (ici un programme interactif avec affichage sur écran) avec le contenu.
    Il faut bien se mettre en tète que tout ce qui fonctionne, par exemple, sur une Nintendo NES est un jeu : il y a des logiciels éducatifs.

    Un logiciel éducatif n’est pas un jeu.

    De même, sur PC, tout se fait clavier/souris, mais tout ce qui se fait au clavier/souris n’est pas un jeu. EXCEL n’est pas un jeu.

    Tout ce qui ressemble à un jeu, n’en est pas forcément un : l’E-Sport, par exemple, c’est du pur compétitif avec une apparence de jeu alors que c’est un “système compétitif avec interface électronique et affichage sur écran”.
    Les gens réduisent ça à du jeu vidéo, mais ce n’est pas le cas.

    Déjà, posez une définition claire de ce qu’est un “jeu vidéo” et on pourra commencer.
    Par exemple, les jeux genre “Last Of Us” sont proches du film “interactif” qu’un jeu, car au final, il y a des rails très présents et que l’aspect scénario ne peut pas varier. Tous ceux qui ont fini “the last of Us”, ont expérimenté la même chose, dans le même ordre et vu le même scénario, comme un film le ferait.
    Le débat est vaste et pas simple.

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