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[Test] Metal Gear Solid V : The Phantom Pain

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S’il défraye déjà la chronique avant même d’être sorti, The Phantom Pain ne pouvait que marquer l’histoire. Car, au-delà du jeu en lui-même, c’est tout un…

S’il défraye déjà la chronique avant même d’être sorti, The Phantom Pain ne pouvait que marquer l’histoire. Car, au-delà du jeu en lui-même, c’est tout un héritage qui connaît son dernier tour de piste. Monstrueux, bigarré, aux limites de l’informe, ce cinquième Metal Gear fascine, autant pour ses qualités que pour ses défauts. Une œuvre d’Auteur, en somme.

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Comment conclure ? La question hante chaque pixel de The Phantom Pain. Au-delà de sa saga, ses mythologies, son développement-fleuve et chaotique, et l’éviction déprimante de son auteur, ce cinquième épisode reste d’abord appesanti par l’obligation de marquer la fin d’une ère. Une ère longue de 20 ans, qui, en plus d’avoir imposé Snake/Big Boss comme la grande icône de l’infiltration, a su redéfinir les codes de mise en scène du jeu vidéo, tout en sondant sa dimension meta avec toujours plus de génie conceptuel.

Comment, et surtout, pourquoi conclure ? L’inéluctable, pour l’auteur comme pour le fan de Metal Gear, relève du crève-cœur, et c’est la mort dans l’âme que l’on entre dans The Phantom Pain, persuadé d’assister à de longues funérailles programmées. Ce serait oublier la nature complexe (retorse même) de ce bon Kojima-san. Car si le jeu reste un événement, c’est moins pour sa longue et sulfureuse gestation, moins pour ses ultimes révélations et autres mind-fucks scénaristiques (dont on ne dira évidemment rien ici), moins pour sa réception outrée par la presse à cause des conditions de test (il est vrai olympiques) imposées par l’éditeur, mais bien pour cet état, entre ivresse, hébétude et ballonnements, dans lequel l’œuvre-monstre de Kojima nous plonge, qui ne nous quittera jamais.

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Car The Phantom Pain bouscule. Bien que rôdée avec Ground Zeroes, la passation de son univers au filtre de l’open world n’est pas sans ébranler ses règles physiologiques, quitte à renier ses acquis. Si le prologue du jeu, intense concentré de bravoure d’une heure, compile toutes les marottes de Kojima (progression linéaire, palanquée de cinématiques hallucinantes, blagues potaches), le reste du jeu semble dévier vers un cap inverse. Lâché dans le désert (une région de l’Afghanistan quadrillée par plusieurs bases de l’armée russe), Big Boss et le joueur se découvrent une liberté exponentielle, à mesure que le décor tactique s’explore. Pensé comme une mosaïque, l’infiltration affiche une versatilité hallucinante, étalant autant de gimmicks du passé (le carton) que de nouvelles idées (les compagnons de mission, tous géniaux) symptomatiques de la folie conceptuelle de Kojima.

[nextpage title=”Un remaniement majeur”]

À part Rockstar, on a peu vu d’open-world aussi bien scénographié (chaque base militaire est un petit théâtre, scandé d’innombrables micro-événements) et aussi cohérent dans son quadrillage tactique. Chose d’autant plus exceptionnelle ici qu’il prend forme d’un désert qui, grâce à un level-design exemplaire, fourmille de vie et de possibles de jeu. Que ce soit en mission sur le terrain, ou dans la gestion de la Motherbase, QG en coulisse du champ de bataille qu’on peut développer sur le long cours, et qui permet essentiellement d’acquérir de nouveaux moyens logistiques (= de nouvelles façons de jouer), le jeu révèle à nouveau Kojima en game-designer jusqu’au-boutiste, comme obsédé par l’idée du jeu d’infiltration parfait, où chaque intuition du joueur se doit d’être permise. Si la progression révèle un contenu massif (qui souffre parfois de remplissage), elle a ce mérite de contourner toute impression de répétitivité par son gameplay évolutif, qui semble intarissable.

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Plus problématique reste la dimension narrative du jeu, qui cristallise souvent les attentes autour d’un Metal Gear. Ici aussi, la saga opère un remaniement majeur. Celui, tout d’abord, de délocaliser toute la partie bavarde et encyclopédique (dialogues explicatifs ou triviaux) de son univers dans une section dédiée, sous forme de cassettes audios, à écouter au repos ou en fond sonore de l’action. Si elle reste obligatoire pour mieux cerner les enjeux de ce nouveau scénario, cette base audio a le mérite, parce qu’optionnelle, de ne jamais ralentir le rythme du jeu. Comme libéré de ce poids textuel, Kojima pense chaque cinématique comme une expérience visuelle pure, un court-métrage à la maîtrise exceptionnelle de beauté et de tension. Problème : cette cinégénie a beau être renversante, elle reste rare, et surtout, trop éclatée. Comme d’habitude, le scénario est tiraillé entre grande et petite histoire : à la vision géopolitique et critique de la Guerre froide, aussi fantasmatique que diablement lucide (l’impérialisme occidental en prend un sacré coup) se greffe, tant bien que mal, l’évolution intime de Big Boss et sa quête d’identité. L’ambition scénaristique a beau être géniale sur le papier, elle se prend souvent les pieds dans le tapis à cause de sa narration morcelée. Bien souvent, le jeu souffre d’effets de transition bizarres, voire d’incohérences dans les différents niveaux de récit. Trop en pointillé, la structure a souvent tendance à nous perdre, et anesthésier l’émotion de certains moments dramatiques, pourtant magnifiques en soi.

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Test réalisé sur PS4. Les visuels qui illustrent ce test sont des visuels éditeurs.

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Notre avis

Vient la question qui brûle les lèvres : alors, chef d’œuvre ou pas chef d’œuvre ? Si on joue sur les mots, il faut rappeler qu’un chef d’œuvre reste la meilleure (la chef) de toutes les œuvres d’un même artiste. Côté gameplay, il n’y a pas photo : The Phantom Pain apparaît comme l’aboutissement de tout un héritage, qu’il va être difficile de surpasser. Côté histoire : le débat reste ouvert. Si le jeu multiplie les morceaux de bravoure et les clins d’œil au fan-service, sa nature gargantuesque et parcellaire noie un peu sa conclusion sous le fatras. En cela, The Phantom Pain peut apparaitre comme un rendez-vous manqué, assez frustre même, pour qui espère des adieux à Big Boss en forme d’apothéose. Peut être parce que Kojima, par pudeur, refuse de céder au tire-larme ou au pathos. Il a préféré créer une œuvre-monde, bigarrée, bordélique même, mais qui cache tellement de surprises et challenges qu’il faut y revenir à plusieurs fois pour découvrir de nouvelles choses. Une façon de dire qu’il ne sert à rien de mettre un point final à Metal Gear, puisqu’elle appartient à l’éternité. C’est tout à son honneur.
Note : 9  /  10
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