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[Critique] A Beautiful Day

Présenté en clôture du 70e festival de Cannes, A Beautiful Day a raflé le prix du scénario et de l’interprétation masculine. Si le premier a de…

Présenté en clôture du 70e festival de Cannes, A Beautiful Day a raflé le prix du scénario et de l’interprétation masculine. Si le premier a de quoi étonner, le second s’impose avec une violente évidence.

Lynne Ramsay aime cultiver le malaise. La britannique qui s’était fait remarquer avec le dérangeant We Need To Talk About Kevin en 2011 réitère avec A Beautiful Day, qui croule déjà sous les critiques dithyrambiques. Jonglant avec des influences glorieuses, la réalisatrice livre ici une œuvre clivante, baignant dans un climat malsain mais fascinant.

Bien qu’elle veuille nous assurer du contraire, son dernier long-métrage est avant tout une occasion de démontrer la maîtrise formelle de son art. Le scénario volontairement épuré pouvait d’ailleurs laisser penser que la forme prendrait le pas sur le fond.

On y suit Joe (Joaquin Phoenix), un ancien marine détruit par la guerre qui s’est reconverti en redoutable tueur à gage. Chargé par un sénateur de sauver la jeune Nina (Ekaterina Samsonov) d’un réseau pédophile, il va déchaîner une tornade de violence, pensant exorciser les plaies de sa propre enfance.

Si le scénario fait inéluctablement penser à Taxi Driver, c’est plutôt vers le cinéma de Refn que le film s’oriente. Il s’insère d’ailleurs parfaitement dans le sillon des fables atmosphériques de ce dernier. Ramsay livre une mise en scène ingénieuse, suggérant une grande brutalité sans la montrer à chaque fois. Le tout est sublimé par la photographie de Thomas Townsend, qui occupe la quasi-totalité des plans avec la figure trapue de Phoenix.

La réalisatrice filme les regards, fuyants ou insistants, et les substitue à la parole. Comme le conducteur taciturne de Drive, Joe n’a plus grand-chose à dire, plus grand-chose à vivre. Le montage elliptique de Joe Bini laisse d’ailleurs habilement entrevoir les traumatismes qu’il a subis. Ramsay met ainsi tout ce qu’il est visuellement possible pour servir la souffrance de son acteur, seul face au monde entier. Cette fureur est parfois traversée de moments calmes, à la manière d’une scène sous-marine baignant dans un clair-obscur magnifique.

En quasi-trance, Joaquin Phoenix est une nouvelle fois exceptionnel. Depuis ses délirantes digressions dans I’m Still Here, le natif de Porto Rico semble en pleine possession de ses moyens. Il livre ainsi sa meilleure prestation depuis The Master. Barbe hirsute et regard injecté de sang, il phagocyte l’écran. Seule la beauté diaphane de la jeune Nina semble apporter un contrepoids palpable à sa présence, la rendant alors rassurante. Le mystère de Joe fascine, mais campée sur une position volontairement abstraite, Ramsay ne veut pas en livrer plus.

Ce manque de développement agit comme un plafond de verre sur une œuvre par ailleurs très courte (1h25). Elle ne peut donc tenir la comparaison directe avec ses affluents cinématographique.

Le héros de Taxi Driver dévoilait un visage que l’Amérique ne voulait pas voir. Quarante ans après la sortie du film, la rédemption de Travis n’est toujours pas évidente. Sa vision inquiétante de la vie, des femmes et de la société pause encore des questions aujourd’hui. Même constat pour Iris (incarnée par une fabuleuse Jodie Foster), prostituée de douze ans qui semblait en avoir trois fois plus. Comme ces deux-là, Joe et Nina ont aussi droit à leur scène dans un dinner. Mais ils n’ont pas autant de choses à se dire.

En reprenant une structure narrative similaire, sans lui insuffler la profondeur nécessaire à un attachement aux personnages, A Beautiful Day fait l’effet d’un songe. Il reste longtemps imprimé dans la rétine, alors que sa substance s’estompe rapidement les jours suivant.

En lorgnant sur le cinéma de Nicholas Winding Refn, A Beautiful Day se sert de sa mise en scène pour nous exploser au visage. Lynne Ramsay en profite pour démontrer un véritable savoir-faire, et offre un rôle de choix à un Joaquin Phoenix particulièrement habité. Mais cette claque visuelle ne peut compenser une écriture trop légère, qui empêche de s’attacher pleinement à ces personnages abîmés par la vie. Un voyage aussi esthétique qu’hypnotique, qui passe hélas un peu top vite.

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