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L’hibernation des écureuils pourrait nous ouvrir les portes de l’espace

Rester dans l’espace sur une durée prolongée présente de nombreux défis… et d’adorables rongeurs pourraient bien nous apporter les clés de certains d’entre eux.

L’hibernation, c’est un rituel incontournable pour certains mammifères; à l’approche de l’hiver, ils font des réserves de nourriture puis se terrent bien à l’abri en attendant le retour des beaux jours. Des chercheurs viennent de découvrir l‘une des clés de ce comportement instinctif qui les fascine depuis des décennies; une découverte en apparence anodine, qui pourrait en fait avoir des retombées considérables du côté de… l’exploration spatiale.

Car si vous avez déjà regardé ne serait-ce qu’une seule série de science-fiction, vous avez certainement déjà vu des humains pratiquer quelque chose de similaire. Le plus souvent, il s’agit d’une technologie baptisée “cryo-sleep” , “hypersommeil” ou l’une des nombreuses autres variantes. Comme un animal en hibernation, un humain en “hypersommeil” peut survivre un très long moment dans une sorte de coma artificiel et reprendre une vie normale après-coup.

Pour les auteurs de SF, c’est un gadget scénaristique redoutable qui permet de justifier des ellipses gigantesques. Mais cela n’empêche pas des scientifiques on ne peut plus sérieux de réfléchir à technologie encore fictive. Et pour cause : plus l’humain s’aventurera loin dans l’espace, plus les temps de trajet s’allongeront, au point de dépasser très largement l’espérance de vie humaine. Pour éviter que notre civilisation ne se retrouve dans un cul-de-sac, il faut donc commencer à développer ces technologies dès à présent.

Spermophilus columbianus, une espèce d’écureuil spermophile. © The Lilac Breasted Roller – WikiCommons

L’hibernation, un mécanisme fascinant

Le souci, c’est que la majorité des concepts en jeu relèvent encore de la fiction la plus totale. Pour trouver un point de départ concret, des chercheurs américains et canadiens se sont intéressés au mécanisme naturel qui y ressemble le plus, à savoir l’hibernation. Leur cobaye préféré : un adorable petit écureuil terrestre appelé spermophile (“qui aime les graines” en grec).

Comme les autres hibernants, le spermophile entre dans un état de torpeur généralisée pendant l’hiver. Sa température corporelle descend à des niveaux qui seraient mortels pour un humain, et son métabolisme se réduit au strict minimum vital. L’objectif : diminuer autant que possible ses besoins en énergie pour survivre jusqu’au printemps.

C’est une technique qui fonctionne extrêmement bien, mais sans que l’on sache comment. Car si un humain tentait de faire pareil, il se retrouverait confronté à de nombreux problèmes de santé, comme une atrophie musculaire caractérisée. Mais les hibernants, eux, sont capables de préserver leur masse musculaire afin de se réveiller frais comme des gardons après plusieurs mois d’inactivité.

La survie, une histoire de tripes

Comment y parviennent-ils ? Hannah V. Carey et Matthew Reagan, auteurs de l’étude, rappellent qu’il s’agit d’une question sur laquelle les chercheurs se sont cassé les dents pendant des décennies. Mais leur équipe pourrait bien s’approcher de la réponse : selon eux, ils recevraient un peu d’aide de la part des bactéries de leur système digestif.

Pour arriver à cette conclusion, ils sont partis d’un constat déjà bien établi : le système digestif des hibernants change radicalement pendant l’hiver. “Des changements dramatiques de la structure et de la fonction du système gastro-intestinal surviennent au début du jeûne hivernal”, rappellent-ils dans leur article. Ils se sont donc demandé si ces changements n’étaient pas une conséquence, mais plutôt le point de départ du processus d’hibernation.

Un début de piste effectivement intéressant, mais encore beaucoup trop vague. Il leur fallait un premier maillon auquel raccrocher le reste de la chaîne, et contre toute attente, les chercheurs l’ont trouvé du côté des bovins. Ces derniers disposent en effet d’une arme redoutable pour répondre au manque de protéines : elles utilisent un processus de recyclage de l’azote, l’une des briques fondamentales de nombreuses protéines.

L’une des clés de la conquête de l’espace pourrait bien se cacher au niveau du microbiote. © CDC – Unsplash

Recycler ses propres déchets

Cet azote, les ruminants vont le chercher directement dans l’urée – un composé présent dans l’urine, et qui est l’un des principaux déchets issus de la dégradation des protéines. Habituellement, tout ce matériel est perdu lors de l’excrétion. Mais chez les ruminants comme les vaches, il existe un mécanisme qui permet de recycler l’azote de l’urée sous forme d’ammoniac. Celui-ci est ensuite réutilisé pour former de nouvelles protéines grâce aux bactéries présentes dans leur système digestif.

Or, comme précisé plus haut, les chercheurs suspectent ces mêmes bactéries d’avoir un lien avec les mécanismes de préservation des hibernants. Ils se sont donc demandé si ce processus de recyclage de l’azote pouvait être l’une des pièces manquantes du puzzle.

Pour le vérifier, ils ont injecté une solution un peu particulière à des écureuils. Celle-ci contenait un isotope légèrement plus lourd de l’azote. Ce dernier est utilisé de la même manière par l’organisme, mais il est très légèrement plus lourd; cela permet de le suivre à la trace dans l’organisme. Ils ont ainsi pu observer que cet azote lourd a servi à la confection de protéines avant de terminer sous forme d’urée… et qu’il a ensuite été recyclé lors de l’hibernation, à travers le processus décrit ci-dessus.

Une symbiose qui inspire les chercheurs

Cela bénéficie directement à l’animal; il reconstitue ainsi son stock d’azote et par conséquent de protéines, ce qui lui permet de passer le cap de l’hiver sans sacrifier toute sa masse musculaire. Mais les chercheurs ont aussi mis en évidence un point plus inattendu. Le microbiote lui-même réutilise également cet azote pour sa propre survie, et peut ainsi continuer à rendre ce service à l’organisme qui l’héberge. C’est donc une véritable coopération entre l’animal et son microbiote; on parle alors de symbiose.

Les chercheurs concluent en expliquant que cet exemple de symbiose dispose d’un certain potentiel clinique. Cela commence par la santé publique; comprendre la façon dont ce recyclage contribue à la préservation des muscles, et potentiellement du reste de l’organisme, pourrait apporter des réponses thérapeutiques aux conséquences de la malnutrition ou du vieillissement.

Un intérêt en médecine clinique… et même dans l’espace

L’équipe considère aussi que ces travaux pourraient bénéficier à l’aérospatiale de demain. En effet, il est de notoriété publique que la masse musculaire des astronautes a tendance à fondre en conditions de microgravité. C’est pour cette raison qu’ils s’astreignent à un programme d’exercice physique dense. Mais cela ne suffit pas; il suffit de voir la façon dont les astronautes chancellent à leur retour sur Terre pour s’en convaincre.

Et il ne s’agit pour l’instant que de missions de quelques mois au maximum. Pour régler le problème dans le cadre d’un voyage de plusieurs années, il faudra donc développer des technologies complémentaires. Et une technologie basée sur le microbiote des hibernants pourrait bien faire représenter une piste de premier choix. Nous en sommes encore évidemment bien loin. Mais l’équipe conclut son papier en citant des travaux réalisés dans les années 1990, qui montrent que les humains aussi recyclent de l’azote par l’intermédiaire de leur microbiote – mais en quantités très faibles. La machinerie est en place”, concluent-ils. “Il ne reste donc plus qu’à l’optimiser.” Si ces travaux finissent par déboucher sur de vraies mesures contre les effets de la microgravité – voire carrément à poser les bases d’une technologie d’hypersommeil, l’aérospatiale devra donc une fière chandelle à ces adorables rongeurs !

Le texte de l’étude est disponible ici.

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