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Une startup suisse veut redéfinir le nucléaire avec un élément oublié

Le thorium a été la vedette de nombreux projets d’énergie nucléaire prometteurs dans les années 60, avant de retomber progressivement dans l’oubli faute de résultats. Mais Transmutex compte bien le remettre sur le devant de la scène.

Le nucléaire est au centre d’un débat constant en Europe. Alors que certains pays comme la France en ont fait la clé de voûte de leur production d’énergie, d’autres pays ont opté pour une stratégie diamétralement opposée, comme l’Allemagne qui a fermé ses derniers réacteurs au printemps 2023.

Ces oppositions reposent surtout sur le versant environnemental de la question. Ses partisans y voient le complément parfait des énergies renouvelables, grâce à l’efficacité époustouflante de la fission nucléaire et au fait qu’elle produit très peu de gaz à effet de serre susceptible de contribuer au réchauffement climatique. De l’autre, ses opposants mettent en avant les risques de sécurité avec des exemples comme Tchernobyl ou Fukushima, et invoquent la gestion des déchets radioactifs ou encore tous les problèmes posés par l’exploitation des minerais dont provient le combustible nucléaire.

La fusion nucléaire, qui est explorée dans des installations expérimentales de pointe comme ITER, permettra peut-être de réconcilier les deux camps. Mais malgré des progrès considérables ces dernières années, tous les spécialistes s’accordent à dire qu’il faudra encore des décennies avant d’arriver au stade de la fusion commerciale, et qu’il ne s’agit même pas d’une garantie.

L’humanité est-elle donc condamnée à se déchirer ad vitam aeternam au sujet de l’énergie ? Peut-être pas. Selon TheNextWeb, la startup suisse Transmutex a récemment levé 23 millions de dollars (21,2 M€) pour développer un nouveau concept de réacteur à fission. Et s’il arrive un jour à maturité, il pourrait bien mettre tout le monde d’accord.

Le thorium repointe le bout de son nez

Aujourd’hui, la plupart des centrales nucléaires sont alimentées à l’uranium. C’est un élément dit fissile ; on fracture son noyau pour produire deux noyaux plus légers. L’énergie cinétique de ces derniers peut être exploitée pour produire de la chaleur qui sera ensuite convertie en électricité. Cette fracture produit aussi d’autres neutrons qui contribuent à entretenir une réaction en chaîne, rendant le processus très efficient.

D’un point de vue strictement énergétique, cette réaction de fission contrôlée est donc une vraie bénédiction. Mais elle génère aussi des sous-produits problématiques, notamment du plutonium qui demeure hautement radioactif pendant des centaines de milliers d’années. De plus, l’exploitation de l’uranium est associée à des scandales humanitaires extrêmement sérieux, sans parler du fait que sa rareté est à l’origine de grosses tensions géopolitiques. Et pour couronner le tout, ces matériaux fissiles doivent être soigneusement contrôlés, car ils présentent un potentiel de destruction énorme s’ils tombent entre de mauvaises mains.

Pour résoudre tous ces problèmes d’un coup, les ingénieurs helvètes misent sur le thorium. C’est un matériau autrefois considéré comme le futur du nucléaire. Mais après quelques échecs techniques cuisants et à cause de sa viabilité économique plus qu’incertaine, il est plus ou moins sorti du collimateur de l’industrie aujourd’hui.

Il présente malgré tout des avantages incontestable qui motivent quelques institutions à continuer d’explorer cette approche. Par exemple, il est beaucoup moins radioactif que les combustibles nucléaires actuels. En outre, même si l’extraction et le raffinage sont plus complexes et coûteux, il est aussi trois à quatre fois plus abondant que l’uranium dans la croûte terrestre (près de 10 ppm contre un peu moins de 3 pour ce dernier). Une donnée loin d’être négligeable en termes de frictions géopolitiques.

Un accélérateur de particules à la rescousse

Mais le point le plus important, c’est que le thorium n’est pas un matériau fissile en tant que tel. Comment peut-on donc s’en servir dans un réacteur nucléaire ? La réponse se trouve dans une autre de ses propriétés : il s’agit d’un élément dit fertile. Cela signifie qu’il est capable d’absorber des neutrons pour lancer une série de réactions qui finissent par le transformer en matériau fissile au bout de la chaîne.

Tout l’enjeu, c’est donc d’approvisionner ce thorium en neutrons. Plusieurs concepts ont déjà tenté d’y parvenir, souvent en utilisant une petite dose d’uranium pour lancer la réaction. Mais aucune de ces idées n’est vraiment arrivée à maturité à ce jour. Transmutex veut enfin changer la donne en ajoutant une autre technologie à l’équation : un accélérateur de particules capable d’apporter un flux de neutrons constant.

L’idée est séduisante, car sur le papier, ce processus est beaucoup plus sûr que les réactions en chaîne des centrales nucléaires actuelles. En cas d’emballement du réacteur, il suffit de couper l’accélérateur pour interrompre l’indispensable flux de neutrons. La réaction retombe alors comme un soufflé, et devient immédiatement inoffensive.

D’après le PDG de la firme cité par TheNextWeb, ce processus générerait aussi nettement moins de déchets radioactifs. Et ces derniers pourraient même être réutilisés lors des prochains cycles.

Les premiers réacteurs attendus d’ici quelques années

Ce n’est pas le seul acteur qui continue de croire à l’exploitation du thorium. On trouve même des initiatives de ce genre en France, à commencer par ce projet de réacteur à sel fondu financé par le CNRS. Reste à voir si l’organisme de recherche public réussira à donner un nouveau souffle à cette technologie.

Mais avec plus de 20 millions d’euros en poche, Transmutex pourrait bien devenir la première organisation à remettre le thorium sur le devant de la scène. Selon Sifted, l’entreprise est en train de discuter avec plusieurs gouvernements européens et asiatiques pour lancer la construction de ses premiers réacteurs d’ici deux à trois ans. Il sera donc intéressant de suivre l’avancement du projet, entre deux prises de bec sur la pertinence de cette industrie à qui la France doit plus de 60 % de son électricité.

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12 commentaires
  1. Bonne idée de vouloir réexploiter les possibilités du thorium, d’autant que les réacteurs à eau pressurisée fonctionnants à l’uranium enrichi ont principalement été privilégiés en pleine guerre froide car, justement, ils permettaient de produire une quantité non négligeable de plutonium permettant la fabrication de l’arsenal nucléaire mondial… C’est dommage que l’article ne le stipule pas car sa a été le principal moteur de la continuité d’une industrie nucléaire dangereuse depuis les 60′ plutôt que d’autres technologies moins dangereuses et tout aussi efficientes voire meilleures….

  2. Le thorium a été abandonnée car il ne permet pas la prolifération nucléaire.
    Rien a voir avec une rentabilité ou des pbs techniques.
    Le nucléaire civil n’a existé que pour fournir du plutonium au militaire

  3. Juin 2023 la Chine a lancé son 1er réacteur nuclaire au thorium a sels fondus c’est déjà sur le devant de la scène

  4. Les chinois ont lancé une filière au Thorium sels fondus fluorés.
    Ils ont repris le principe d’AOK Ridge avant son abandon.
    L’abandon dans les années 60 du Thorium est du à ce qu’il ne produit pas de Plutonium.
    Comprendre que mettre de l’argent dans la filière Uranium Plutonium pour la bombe et dans celle du Thorium pour le civil était inefficace.
    Les contraintes ayant changé depuis des décennies, l’habitude n’a pas remis en question le choix de l’Uranium. La problématique de l’Iran aurait dû être le déclencheur mais les politiques ne sont pas au fait qu’il existe un autre nucléaire, le Thorium.
    Nous sommes rentrés dans la prolifération par ignorance scientifique de nos politiques…
    Les déchets finaux avec le Thorium ont une demi vie de 300 ans. Les sels fluorés sont peu réactif, l’uranium est entreposé en hexafluorure d’uranium, etc…
    La machinerie nucléaire est essentiellement à sécurité passive, un problème on purge la cuve, les sels s’épanchent, refroidissent à l’air et se solidifie. L’amorçage de la réaction se fait avec les déchets du nucléaire à l’uranium, ces déchets sont transmutés par les neutrons rapides : plus de stockage des déchets, ils sont utilisés et réduit… Ça devrait être un système porté par les écologistes !
    L’accélérateur est inutile, c’est beau sur le papier, il y a assez de déchets et de plutonium pour démarrer des milliers de réacteurs…
    La quantité stockée de Thorium en France est suffisante pour 500 ans de consommation électrique… Un pognon de dingue qui dort…

    1. Pour faire suite aux excellents commentaires de @DrJay, @Leon, @Zebulon et @vVDB, j’ajoute que la filière thorium pose encore quelques problèmes techniques, dont un fort rayonnement gamma, le réacteur chinois est expérimental.
      La technologie des sels fondus (MSR) peut aussi être utilisée pour la filière uranium : alors que les REP n’utilisent que l’U235 (0,7% du minerais), le MSR peut consommer à 99% les déchets des centrales REP, dont le P239, ainsi que l’uranium appauvri, pour à la fin ne produire que des produits de fission de demi-vie de 31 ans. Après 300 ans, ces produits de fission ne produisent plus qu’une radioactivité négligeable et non dangereuse. Cette durée est beaucoup plus gérable que celle des déchets des REP. Par ailleurs, la France a aujourd’hui des réserves de combustible utilisables par les MSR pour plusieurs centaines d’années de production électrique de la France. Largement de quoi voir venir sur la fusion ou d’autres technologies encore à inventer. Enfin, plusieurs projets sont en cours sur cette techno, dont deux en France, Stellaria et Naarea. Ce dernier promet un déploiement commercial de petits réacteurs de 40 MWe pour 2030. C’est bientôt !!

    1. Il s’agit du rapport entre la puissance électrique et la puissance thermique dans les centrales REP actuelles, dont les EPR. Ce rapport pourrait être amélioré si on récupérait une partie de la chaleur perdue pour chauffer des serres, des habitations, etc.

  5. Il y a bien d’autres choses que l’on peut dire à propos de ce que l’on sort de la Terre pour le transformer en chaleur, c’est que cela aura une fin et n’est donc pas une solution à l’espérance de la durée de vie de notre espèce.

  6. Avec le mox qui est infini pour le nucléaire et le gaz de ville que l’on peut produire comme le méthane il y aura toujours des énergies thermique, et toujours le soleil et des panneaux solaires par exemple

    1. Le MOX est une récupération partielle des déchets pour réalimenter les centrales. Il est loin d’être “infini”, la technologie MSR est bien plus efficiente en termes d’utilisation optimale du minerais d’uranium. D’ailleurs, cette technologie est aussi celle utilisée pour les réacteurs au Thorium (à venir, peut-être d’ici 20-30 ans).

  7. Il y a l’hydrogène dans l’est de la France, du bois ou du gaz de ville, le soleil, il y aura toujours des énergies thermique, et d’ici qu’il n’y est plus de pétrole ou de combustible nucléaire, on aura iter ou autre chose si il reste des technologies à découvrir.

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