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Pourquoi les écrans et les visioconférences nous fatiguent autant ?

Des centaines de millions de confinés passent leurs journées à fixer un écran et à enchaîner les visioconférences. Ils sont aujourd’hui nombreux à ressentir une sorte de fatigue chronique et à finir dégoûtés de la visioconférence. Un psychologue spécialisé dans l’impact des nouvelles technologiques nous explique tout.

Crédits : Zoom.

Oui, fixer un écran toute la journée peut être extrêmement fatigant. Le monde des télétravailleurs, sous toutes les formes, s’en rend compte aujourd’hui alors qu’un bon nombre de pays s’apprête à entamer un troisième mois de confinement généralisé. La distanciation sociale que ce dernier a entraîné pour limiter la propagation du coronavirus du COVID-19 a obligé des centaines de millions de personnes à travailler, suivre des cours, consulter leur médecin ou interagir avec leurs proches à travers un écran. Des plate-formes de visioconférence comme Zoom en ont fait leurs choux gras (mais aussi leur perte) à tel point que la vie quotidienne des confinés ne semble être rythmée que par des séries de “conf-calls”. Chez de nombreuses personnes, ce nouveau mode de vie par défaut a entraîné ce que les Américains surnomment déjà la “Zoom-fatigue”. A quoi cette fatigue chronique des visioconférences et des écrans est-elle due ? Est-elle physique, psychologique ou un savant mélange des deux ? Comment y remédier si le confinement doit se prolonger ou reprendre, à l’avenir ? Pour y répondre, il faut d’abord s’atteler à comprendre comment notre cerveau perçoit la visioconférence.

Le tout-en-un : un multi-tâche mental ?

Lorsqu’une personne interagit d’une manière ou d’une autre avec d’autres personnes, elle se crée inconsciemment une simulation mentale de son propre corps. “Notre cerveau va toujours chercher à s’imaginer et à se représenter notre corps”, explique Olivier Duris, psychologue clinicien spécialisé dans l’impact des nouvelles technologies (jeu-vidéo, numérique, robotique) et cofondateur de la chaîne YouTube de vulgarisation Psycho-Quoique (exemple ci-dessous). Notre cerveau en fait de même avec un interlocuteur, comme pour déterminer à l’avance quelle posture adopter ou quelle voix prendre pour interagir convenablement avec lui. Au fil du temps et des interactions sociales, le cerveau finit par maîtriser cette méthode de simulation mentale. Mais, comme le remarque le psychologue, “cela dépend du référentiel dans lequel nous nous plaçons.” La visioconférence change la donne et, de ce fait, “la relation à l’autre n’est plus la même.”

Ce changement de référentiel – du face-à-face, en présence physiquement, au face-à-face par écrans et webcams interposés – modifie les paramètres sur lesquels notre cerveau doit se baser pour réaliser ce schéma corporel impératif. En temps normal, la plupart des gens s’adressent la parole en se regardant dans les yeux. La visioconférence ne le permet pas, où que ce soit placée la webcam. Lorsque nous tentons de regarder notre interlocuteur dans les yeux, c’est son rendu filmé qu’il regarde en réalité. L’interlocuteur, lui, a l’impression que notre regard se porte ailleurs. Et quand nous voulons lui donner l’impression de le regarder en face, nous sommes obligés de fixer la webcam et donc de sacrifier notre propre angle de vue. De plus, ce que nous voyons de l’autre est tronqué : notre cerveau n’a plus accès à des dizaines de paramètres visuels, comme les gestes, sur lesquels il peut se baser dans le cadre d’un vrai face-à-face. Pire encore, la technologie grâce à laquelle s’établit ce type de relations à distance possède ses propres défauts qui se traduisent en autant de barrières pour notre cerveau. La voix de l’interlocuteur peut être légèrement modifiée, les réponses décalées ou hachées par la faiblesse de la connexion Internet, etc. En conséquence, “le cerveau doit faire un effort supplémentaire pour effectuer cette stimulation de notre présence à l’autre et de la présence de l’autre dans la conversation.”

La tâche devient d’autant plus ardue lorsque le nombre d’interlocuteurs s’agrandit au sein d’une même conversation en vidéo – comme c’est souvent le cas pour les réunions professionnelles en télétravail ou les apéros virtuels de fin de journée avec les amis. Notre cerveau est alors forcé de s’engager dans ce que certains psychologues américains appellent une “attention partielle continue”. De la même façon qu’il est impossible de se concentrer sur la lecture d’un livre en même temps que sur la cuisson d’un plat, le cerveau ne peut être attentif à tous les visages et tous les interventions de ses interlocuteurs pendant une visioconférence. Très souvent, nous nous retrouvons donc à la merci de ce qui est dit, ratant une phrase ou demandant sans cesse de répéter aux autres ce qu’ils disent. Croire qu’une visioconférence en groupe est un tout-en-un efficace pour, par exemple, avancer facilement dans son travail est illusoire. Au contraire, c’est un multi-tâche dont le cerveau ressort le plus souvent épuisé.

Le syndrome de la fausse déconnexion

A force de subir cette fatigue mentale parfois inconsciente, de nombreuses personnes succombent à la “Zoom-fatigue” et rejette la pratique de la visioconférence. Dans le cas d’un télétravailleur ou d’un étudiant en qui suit des cours à distance, puisque les réunions de travail sont indispensables, il peut finir par se soustraire à toutes les interactions sociales ayant recours à la visioconférence comme pour obtenir une sorte de répit. Pour Olivier Duris, ce n’est pas la bonne solution car pour remédier à cette fatigue des écrans, tout est une question de mental. Selon lui, cette fatigue des écrans et, en particulier, de la visioconférence est “une question d’adaptation et d’habitude.” Elle est en cela similaire à “une fatigue liée au changement de pratique professionnelle”  et demande donc de l’entraînement – comme le soulignent Olivier Duris et ses collègues dans une plate-forme d’aide à la téléconsultation, CyberPsyCo. Il faut octroyer à notre cerveau le temps de s’entraîner à interagir d’une façon différente, même si le processus est long et épuisant. C’est effectivement de cette manière qu’il s’est notamment habitué à entamer des relations téléphoniques, ne représentant le soi et l’autre que par la voix. Pour cette raison, le psychologue pense fermement qu’un éventuel “second confinement sera moins difficile à vivre puisque l’entraînement cérébral aura déjà été effectué” et le mode de vie, qui va avec, déjà expérimenté.

Crédits : Pixabay.

En attendant, Olivier Duris veut encourager les fatigués des écrans à ne pas abandonner la visioconférence en dehors du cadre professionnel ou scolaire. “Il est important de maintenir du mieux possible une dose de sociabilisation”, bien qu’elle soit différente des activités grâce auxquelles ces fatigués se ressourçaient en temps normal. Si besoin, le spécialiste conseille de changer de logiciels de visioconférence “pour différencier les instants de travail et les instants récréatifs.” De cette façon, il devient possible de reproduire le changement d’environnement qui va généralement de pair avec le changement d’activité sociales : du bureau, pour travailler, au bar, pour rire avec ses amis, à la maison, pour se détendre. Il soutient aussi l’idée qu’une visioconférence peut aussi se faire sans l’aspect vidéo. “N’interagir que par la voix évite d’avoir à se concentrer sur trop d’informations à la fois”, indique le psychologue. Une simple conférence téléphonique peut suffire et reposer le cerveau, lors d’une session de jeu multijoueur en ligne par exemple. “Le mieux est de varier le plus possible ses activités pour combattre l’ennui, de ne pas travailler entre les heures de travail pour ceux qui le peuvent et de garder des temps de sociabilité, pour éviter le sentiment de solitude qui va avec le confinement.” Autrement dit, de braver la fatigue pour son propre bien-être psychologique.

Un contexte fatigant

Selon Olivier Duris, il ne faut pas non plus éluder le fait que cette fatigue des écrans s’inscrit dans un contexte particulièrement éprouvant psychologiquement et même physiquement. La fatigue générée par l’habitude à prendre d’interagir entre écrans interposés avec les autres s’ajoute aussi à celle du confort. Rester assis, dans la même position pour être vu le mieux possible par ses interlocuteurs, pendant plusieurs heures à discuter n’est pas simple pour tout le monde. Certains, habitués de ce genre de pratiques comme les gamers ou les streamers, peuvent s’appuyer sur un équipement adéquat. D’autres, qui découvrent le télétravail et la visioconférence avec ce confinement généralisé, ne se sont pas nécessairement préparés à s’armer du confort et du cadre nécessaires. Par ailleurs, des professionnels comme les enseignants ou les médecins n’ont pas, en temps normal, pour habitude de fixer un écran toute la journée jusqu’au moment de se coucher. La lumière bleue imperceptible qui en émane impacte la création de la mélatonine, hormone sécrétée quand la lumière du jour baisse et qui permet d’aborder le sommeil. Le psychologue conseille donc notamment de s’armer d’un filtre contre la lumière bleue ou, surtout, de s’écarter du fameux écran un long moment avant de s’endormir pour s’octroyer un sommeil de meilleur qualité.

Plus encore, Olivier Duris souligne que la crise sanitaire actuelle entraîne elle-même une fatigue psychologique suffisante pour épuiser notre mental. D’après lui, cette fatigue est l’effet “d’un cumul” auquel nous n’étions pas préparés. “Supporter des enfants ou des colocataires 24 heures sur 24, la perte de certaines activités, le stress et l’angoisse d’être malade, rester dans le flou des informations et des décisions politiques qui changent chaque jour, s’apercevoir que ceux qui nous gouvernent sont parfois autant dans le brouillard que nous, tout cela impacte forcément notre sensation de fatigue d’un point de vue psychique.” Pour lutter contre ce générateur d’anxiété, il encourage les confinés à se trouver un objectif, notamment créatif, à accomplir. Grand joueur, Olivier Duris s’est par exemple lancé un défi de taille : “personnellement, je me suis consacré à maîtriser le speed-run.”

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