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Comment George Lucas est devenu le réalisateur le plus aimé et le plus haï de sa génération

Nous sommes à la fin des années 90, l’an 2000 pointe son nez. Alors que la nouvelle trilogie Star Wars s’apprête à déferler sur les écrans…

Nous sommes à la fin des années 90, l’an 2000 pointe son nez. Alors que la nouvelle trilogie Star Wars s’apprête à déferler sur les écrans avec son (nouveau) premier épisode, « La Menace Fantôme », Rafik Djoumi, rédacteur en chef du magazine BiTS et journaliste pour Mad Movies à l’époque, le prédit déjà : le nouveau Star Wars se tourne en ce moment en Nouvelle-Zélande. Si Le Seigneur des anneaux n’intéresse alors pas grand monde, il ne va pas tarder à mettre en émoi la planète, reléguant Star Wars au tréfonds de la galaxie. Mais ce qui a été fait ne peut être défait ou refait. N’est pas George Lucas qui veut. Pourquoi le réalisateur vénéré de la trilogie originale Star Wars va-t-il devenir le plus haï de sa génération, pourquoi son ami de toujours, Francis Ford Coppola, dira de lui : « Star Wars a détruit mon ami » ?

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Sur le tournage de la guerre des étoiles en 1977

La semaine dernière, Rafik nous expliquait avoir écrit le livre George Lucas, l’homme derrière le mythe pour expliciter sa critique assassine de l’épisode 2 de Star Wars, L’attaque des clones, et qu’il avait intitulé A new flop (ce qui se passe de traduction). Dans ce livre, il affirmait que « la merde » à laquelle on avait droit avec cette nouvelle trilogie était en germe depuis longtemps.

« Dans cette biographie non officielle, j’amenais les gens à essayer de comprendre ce qui s’est passé dans la vie de ce mec pour en faire un type capable à la fois de lancer une saga, probablement un des seuls mythes que le cinéma ait offert, et de devenir le créateur le plus haï de sa génération (aussi bien pour la 2e trilogie que pour avoir tenté de détruire la première). Je ne vois pas d’autres exemples que lui.

En 1997, la saga Star Wars ressort en salles dans une édition spéciale : changements de scènes, effets spéciaux, etc., les réactions des fans sont terribles. Au lieu de faire marche arrière, il est allé encore plus loin : à la sortie des DVD Blu-ray en 2004, les films ont été modifiés à 100 %, ce qui est complètement officieux puisqu’ils n’ont jamais communiqué là-dessus. J’avais néanmoins interviewé le mec en charge de la restauration et lui avait demandé dans quelle proportion les films avaient été modifiés, il m’avait répondu : « Objectivement 100 % ».

Il n’y avait pas un seul plan d’origine : soit il y a des effets spéciaux rajoutés, ou alors la colorimétrie du ciel a été refaite ou les lunes changées de place. Qui dit films différents, dit forcément expérience différente. Pourquoi a-t-il fait ça ? Je pense qu’il y a eu un côté ‘ce sont mes films, les versions de l’époque je les considère comme des brouillons’, etc.

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En 1988, il est pourtant intervenu auprès de la Chambre des Représentants (l’équivalent de notre Parlement) pour demander instamment au gouvernement américain de ne pas laisser les éditeurs coloriser les films, au prétexte qu’ils devaient être tels qu’ils sont sortis à l’origine. Parce que cela faisait partie du patrimoine culturel et qu’on ne devait pas y toucher. Et après le mec te dit : « J’ai fait des brouillons avec ‘Star Wars’ donc j’ai le droit de les refaire ». Non, ce ne sont pas des brouillons, ce sont les films les plus vus de l’histoire du cinéma, on n’appelle pas ça un brouillon. Encore une fois, le public a choisi et là-dessus il est souverain. Donc première trahison sur ces versions-là.

Ensuite, il y a eu l’interdiction de projection des films originaux. Notamment un festival qui avait récupéré une copie originale de Star Wars, non retouchée donc, et s’était retrouvé avec une menace de procès de la part de Lucas Film s’il diffusait le film.

Interdiction totale de projection des films originaux et pire encore : on a appris sur des forums de fans, grâce à des témoignages anonymes de collectionneurs de films 35 mm, qu’aux États-Unis le mot d’ordre était : si vous avez une copie Star Wars, ne le dites pas. Apparemment, Lucas et la Fox avaient signé un deal qui prévoyait que la société de production brule tout copie d’origine qui lui tombait entre les mains.

On en était arrivé à ce niveau-là. C’est ce geste complètement insensé de Lucas, plus encore que la 2e trilogie, qui lui a valu une haine tenace et terrible des fans. Ces derniers ont dû s’organiser pour protéger leurs films de leur créateur et c’est là qu’un énorme chantier prend forme sur Internet que je trouve absolument fascinant. Les mecs se sont mis en tête de restaurer les films originaux à partir de toutes les sources qu’ils pouvaient trouver. Et elles existent puisque j’ai pu les récupérer comme ça.

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[nextpage title=”Francis Ford Coppola : "Star Wars a détruit mon ami"”]

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Cet épisode, plus ses démêlés avec Disney, montre un George Lucas en lutte contre lui-même. Il a toujours été extrêmement paradoxal, c’est un pur produit de l’Amérique étudiante des sixties. Il a quitté un père rigide, de Droite, qui avait une petite entreprise, et le gamin devient multimillionnaire, se trouve être le plus gros fabricant de jouets au monde, alors qu’il était parti pour faire des films expérimentaux en 16 mm.

Il le disait régulièrement dans les années 80 et c’était souvent zappé par les journalistes qui prenaient cela pour de la coquetterie. En interview, il expliquait que Star Wars était une malédiction, mais il n’était jamais pris au sérieux. Francis Ford Coppola le dit depuis toujours (ici également) : « Star Wars a détruit mon ami ».

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George Lucas et Francis Ford Coppola sur le tournage de THX-1138

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George Lucas, Michael Jackson et Francis Ford Coppola sur le tournage de Captain Eo

Coppola était probablement le plus grand admirateur de Lucas qui soit. Ils se sont connus à la fin des 60’s quand Coppola faisait son premier long métrage professionnel. Lucas était vraiment un petit con sorti de nulle part et Coppola était véritablement impressionné par ses courts métrages expérimentaux. Il a d’ailleurs produit le premier film expérimental de Lucas, THX 1138 (1971).

Ils ont mené leur carrière, mais le fait est que Coppola était convaincu qu’à eux deux ils allaient bouleverser le cinéma hollywoodien. Il n’était pas du tout pour Star Wars, pour lui c’était vraiment une connerie, il ne fallait pas le faire. Lucas le fait quand même, devient l’homme le plus riche du monde, Coppola trouve ça cool puisque Lucas va pouvoir lui prêter de l’argent parce qu’il est dans la merde, etc. Mais aujourd’hui encore, il continue à dire à quel point ces films (Star Wars, NDLR) nous ont privés d’un grand cinéaste.

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Coppola et Lucas avec R2D2

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Lucas a complètement été pris au piège de cette machine. Lorsqu’il a monté Lucas Films, qui était censé gérer Star Wars, sa femme à l’époque lui a dit : « Tu es en train de construire une pyramide à l’envers, c’est-à-dire que tu vas construire une structure gigantesque qui, en gros, est basée sur un film. Ça ne tiendra pas ».

A l’époque, il espérait pouvoir chapeauter ses films de loin et faire ses films expérimentaux dans son coin. Il a fait de l’expérimentation technologique, mais pas artistique. Effectivement, il s’est servi de l’argent qu’il avait gagné avec Star Wars pour faire avancer les choses au niveau technologique. Il ne faut pas oublier que Lucas Film, c’est ILM, la société d’effets spéciaux, et c’est Pixar. Lucas a été l’un des premiers à voir que l’image électronique allait mener quelque part, dès les années 80, il travaillait là-dessus.

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Le montage virtuel, que tout le monde utilise aujourd’hui, également. Tout ce que l’on fait en montage virtuel sur son PC, ce sont des choses qui ont été développées chez Lucas films. L’idée c’était de contribuer à simplifier les outils pour que des petits jeunes puissent faire des films avec rien. C’était son rêve d’origine dans les 60’s : acheter une camionnette dans laquelle il y aurait un banc de montage et de mixage, puis traverser les États-Unis avec sa caméra 16 mm, filmer n’importe quoi, la vie, les gens, et monter tout ça, le soir, dans sa camionnette. Vraiment le hippie cinéaste, c’était ça son rêve. Le mec se retrouve à la tête d’une multinationale… du coup, il a développé des outils qui permettent aujourd’hui de faire un film avec peu de moyens, parce que tous ces outils ont été développés.

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Après, en termes de production de films expérimentaux, aucun des projets annoncés n’a été réalisé. Il est donc complètement schizo à ce niveau-là. Son dernier film a été horriblement mal accueilli, dans le sens où tout le monde s’en foutait. C’est un film qu’il a produit sur une escadrille composée uniquement de pilotes noirs durant la Seconde Guerre mondiale (Red tails, NDLR), à l’époque où l’Amérique était encore ségrégationniste. L’inintérêt total l’a complètement dégoûté et a pas mal contribué, je pense, à ce qu’il dise « fuck it », et comme ça faisait un moment que Disney était en train de le draguer…

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Mais symboliquement c’est fort, encore une fois, Lucas Film ce n’était pas une major, c’était la seule structure d’importance faite par un réalisateur, à la recherche de son indépendance. Et le fait que cette seule structure indépendante aujourd’hui soit rachetée par Disney, symboliquement c’est significatif.

Question bonus : Star Wars 7 ? « Je ne lui trouve aucun intérêt. Mais c’est plus le symbole qui me préoccupe et c’est là où je me suis un peu déchaîné sur ma critique. »

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15 commentaires
  1. 《《 l’épisode 2 de Star Wars, Un nouvel espoir 》》
    Et vous osez vous appeler “Le journal du Geek ” ???

    Quelle honte !!!

    1. Une erreur (ou si ça se trouve même, juste une coquille) d’UNE chroniqueuse compte pour la TOTALITÉ du site ?
      Tu penses qu’on vit tous ensemble et qu’on relit tous tous les articles de tout le monde ?
      Je t’assure qu’en vrai c’est pas aussi fun 🙂

      1. My bad, rangez les baïonnettes, j’ai juste fait le (mauvais) lien entre “A new Hope” et “A new flop”.

        1. Aucun, on s’en fout de ça. C’est pas UNE comparé à UN, c’est UNE comparé à TOUS (hommes et femmes confondus). Point de sexisme ici. Ça aurait été Matthieu à l’origine de la bourde, j’aurai dit UN chroniqueur.

  2. > aux États-Unis le mot d’ordre était : si vous avez une copie Star Wars, ne le dites pas.

    Je vais vous décevoir. Si vous avez une copie 35mm d’un film, il ne vous appartient pas, il appartient au distributeur et/ou au producteur. Les copies envoyées en salle de cinéma devaient et doivent être renvoyées au distributeur. Donc, si vous avez une copie, effectivement, ne le dites pas: légalement, vous êtes en faute.

    1. Comme tout ce qui dépend du commerce de diffusion d’œuvres artistiques et intellectuelles pour les particuliers :
      Toutes les œuvres musicales, tous les films, tous les programmes/jeux vidéo…
      Les droits que personne ne li spécifient que l’acheteur n’est pas propriétaire, il a juste acheter le droit d’utilisation, visionnage, écoute de l’œuvre et que dans le cas ou le propriétaire des droits de l’œuvre interdit sont utilisation, on doit lui rendre la “copie” permettant son utilisation.
      En France, le droit à la copie privé, toujours actif mais amoindrie (en effet il est interdit d’outrepasser les sécurités anti-copie pour faire sa copie légale…) cela permet néanmoins de pouvoir rendre l’original mais vous seriez de toute façon dans l’illégalité si vous gardiez une copie sans avoir l’original !
      Heureusement que les cas de retour forcé d’œuvres sont quasi inexistantes !

      1. Je ne vois pas trop le rapport avec les copies 35mm. Là, vous semblez évoquer le cadre des copies publiques (VHS/DVD/Bluray/…).

        Contractuellement, les copies 35mm sont un prêt à durée limitée d’un propriétaire (distributeur/producteur) à un demandeur (exploitant de cinéma).

        Lorsqu’il n’y a pas de restitution, il y a donc rupture du contrat, et donc un cas de “vol” (et non de viol [de propriété intellectuelle] vu la nature du support).

        Si un exploitant donne ou vend après la copie 35mm, on tombe dans le recel.

  3. > En 1988, il est pourtant intervenu auprès de la Chambre des Représentants (l’équivalent de notre Parlement) pour demander instamment au gouvernement américain de ne pas laisser les éditeurs coloriser les films, au prétexte qu’ils devaient être tels qu’ils sont sortis à l’origine. Parce que cela faisait partie du patrimoine culturel et qu’on ne devait pas y toucher. Et après le mec te dit : « J’ai fait des brouillons avec ‘Star Wars’ donc j’ai le droit de les refaire ».

    C’est un peu plus subtile: Pour George Lucas, un cinéaste a un droit majeur par rapport aux autres: celui d’avoir le droit de modifier sa création ad vitam æternam. Pour lui, une oeuvre n’est jamais finie, elle peut évoluer avec le temps (d’où les intégrations futures à travers les décennies).

    Quand il semble défendre le contraire, il dit que l’éditeur n’a pas ce droit: il n’est pas le créateur, c’est une sorte d’intermédiaire, il n’a donc aucune droit de modification de l’oeuvre originale sans l’accord du ou des créateurs.

    1. Ça reste artistiquement absurde. Ce qui fait qu’une ouvre est une œuvre, c’est aussi sa temporalité. Comment elle se place dans SON époque. Si tu commences à tout retoucher tout le temps, tu perds cette temporalité et donc tu perds l’âme et le fond de ton œuvre.

      Imagine si des peintres revenaient dans des musées ou chez des particuliers pour retoucher leurs tableaux…
      Enfin ce n’est que mon avis, mais je trouve que ça n’a aucun sens. Une œuvre est finie quand tu la présentes. Dès lors, elle vit sa vie.

        1. J’entends bien 🙂
          Je ne faisais que rebondir en apportant mon point de vue sur un débat qui est -je trouve- véritablement intéressant.

  4. Et bien vous allez rire ou pleurer, mais c’est exactement ce que les peintres font. On peut citer l’exemple du Français Pierre Bonnard qui se planquait dans le bâtiment où il exposait, attendait que le gardien s’en aille et s’armait de ses pinceaux pour faire des retouches. Le but de George Lucas était donc de rapprocher le cinéma de la peinture qui se découvrait de nouvelles techniques permettant de revenir sur un aspect jugé insatisfaisant.
    Bien entendu, la démarche de Lucas n’est pas exempte de reproches. Si la plupart des choix sont plutôt réussis avec des effets imperceptibles à moins de mettre les deux versions côte à côte, il en existe certains plutôt malheureux. Par exemple, dans l’attaque des Clones, la version DVD est modifiée mais le montage musical a foiré. Et c’est là qu’une certaine hypocrisie existe chez les fans : la Trilogie originale doit ressortir en versions cinéma et pas la Prélogie ? Pourtant c’est les mêmes raisons. Donc soit on est cohérent jusqu’au bout soit on ne milite pas.

    Quant au rapport temporel d’une œuvre, dans le cas de Star Wars, ce serait admettre que les films de Star Wars sont ratés car il était question de faire une grande saga intemporelle. C’était même au contraire un film pensé contre son époque : un conte pulp positif en opposition aux films militants, réalistes et sombres des années 70.
    Les plans en image de synthèse présents dès 1977 et l’enfer du tournage montrent bien qu’il n’était pas question d’en rester aux matte paintings, aux animatroniques ou à la stop motion. C’était peut-être bluffant pour le public, mais pas pour le réalisateur. Surtout un réalisateur aussi visionnaire. Et s’il n’a pas retouché le duel de sabres et le debriefing de la base rebelle avec les plans de l’Étoile de la Mort, c’est parce qu’il avait plus le sentiment d’écrire une page de l’histoire du cinéma dans ces scènes. Et pourtant il y avait de quoi avec l’aspect souffreteux du duel et le fait que les plans n’étaient visuellement pas raccord avec le design du vaisseau (hé oui : c’était une version préparatoire de McQuarrie dont ils ont dû se contenter par manque de temps).

    “À l’époque, je recevais beaucoup d’éloges et j’avais l’impression de ne pas les mériter. Plein de gens me disaient qu’ils ne voyaient pas les coutures. Moi, je les voyais.”

    Le symbole ultime, la scène de la cantina, est aussi résultant du fait que les fans n’ont pas compris le film. Il est donc du droit de Lucas de remettre les choses au point. Le côté “Han Solo est un salaud fini” est un pur délire fantasmagorique à des années lumières de l’esprit serial des années 30-40. Il disait encore : “le personnage de Solo n’a rien à voir avec les westerns spaghettis mais avec John Wayne. Et on ne tire pas le premier chez John Wayne : on laisse l’adversaire le faire.” Même si en soit, ce n’était pas réussi visuellement. Idem pour Jabba qui est meilleur modélisé par ordinateur depuis 2004 avec ses expressions que la marionnette inexpressive de 1983 et la première tentative embarrassante de 1997.

    Tout ça pour dire qu’il est temps de mettre un terme au procès d’intention dont est victime George Lucas alors qu’il n’est coupable que du fait d’avoir refusé de voir son œuvre, qu’il voulait à part, se faire aspirer dans la mixture nostalgique de la pop culture.

    K.

    P.S : vous savez le plus ironique ? Lucas avait fini par changer d’avis en parlant de “versions classiques” et est devenu plus ouvert à l’idée de ressortir les versions cinéma. Mais c’était avant le rachat par Disney qui a vite compris que ça coûtait trop cher pour un échec assuré. Surtout depuis le four de Star Trek Next Generation en blu ray. On n’investit pas massivement pour un public de niche qui de toutes façons n’est satisfait que par hasard.

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