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Test – Far Cry 5 : Haineux Montana

Comme tout un chacun, il m’arrive d’avoir des interrogations sur les choses de la vie. Existe-t-il d’autres formes de vie dans l’univers ? Arrivera-t-on un jour à tromper la mort ? Peut-on encore être hypé par Half-Life 3 ? Que se passe-t-il si l’on donne de la cocaïne à un enfant hyperactif ? À défaut d’avoir encore toutes les réponses à ces questions, tester Far Cry 5 m’a donné un début de réflexion sur la dernière d’entre elles. Car bien que le nouveau FPS open-world d’Ubisoft veut nous faire profiter de la campagne américaine, cette aventure, aussi appréciable qu’elle soit, est loin d’être une promenade de santé.

La licence Far Cry c’est avant tout l’histoire d’une mutation. Tant au niveau de l’histoire que du gameplay. Le troisième épisode dépeignait la transformation d’un simple vacancier californien en machine de guerre au fur et à mesure qu’il sombrait dans la folie des îles de Rook. Far Cry 4, lui, montrait comment une révolution pourtant juste contre un dictateur himalayen dérivait petit à petit vers la mise en place d’un narco-état totalitaire ou d’un régime religieux et traditionaliste oppressif.

De même au fil des épisodes, Ubisoft a de plus en plus ouvert ses mondes, et éclaté sa narration. Le joueur est libre de faire ce qu’il lui plaît, et d’aborder l’intrigue dans l’ordre qu’il le souhaite. Et comme on ne change pas (ou peu) une équipe qui gagne, Far Cry 5 ne déroge  pas à la règle. De sa promotion, qui laissait croire à une critique ouverte de l’alt-right et du bigotisme qui ronge les États-Unis, Far Cry 5 est devenu le portrait, exacerbé, d’une Amérique devenue paranoïaque à l’extrême et conciliante avec le sectarisme. Et honnêtement, ce n’est pas plus mal.

Make America freak again

Aaah la douceur de la campagne du Montana. Les joies de profiter de ses champs gorgés d’un blé bien jaune, de ses petites bourgades typiquement américaines. Et puis quel régal pour les yeux ces forêts de pins à perte de vue, ces falaises escarpées qui promettent des heures d’escalades et d’excellents points de départ pour s’adonner au base jump.

Ah, si seulement une secte religieuse persuadée que la fin du monde est proche n’avait pas décidé de prendre le contrôle par la force du comté du coin. Car ce décor de carte postale est désormais entaché par les cadavres, les fermes en flammes, les symboles religieux à ne plus savoir quoi en faire, et les fanatiques armés jusqu’aux dents.

Et dans une région composée majoritairement de rednecks survivalistes, et donc propriétaires d’un bunker dans le jardin et d’un arsenal conséquent, la pilule passe mal, et la sérénité rurale a pris un sacré coup de fusil à pompe dans les rotules.

Ubisoft est parvenu à bien retranscrire l’ambiance rurale des États-Unis. On prend un certain plaisir à parcourir les vastes plaines et zones boisées du Montana, même si la faible circulation sur les routes laisse une sensation étrange, surtout dans un pays qui ne cache pas son amour de l’automobile.

Les voies du Seigneur sont impénétrables

Longtemps resté indifférent par la prise de pouvoir des membres du Projet Eden’s Gate, le gouvernement américain a décidé de faire montre de sa puissance en envoyant un U.S. marshall, accompagné des autorités locales, pour arrêter Joseph Seed. Le leader de ce groupe a en effet la fâcheuse tendance à intégrer des membres dans son culte sans leur demander leur avis.

Ici pas de Jason Brody ou de Ajay Ghale (les héros des précédents Far Cry), seulement le joueur dans la peau d’un shérif adjoint. Pour la première fois, Ubisoft permet au joueur de créer son personnage, avec le choix du sexe dans un premier temps, puis du visage et de la couleur de peau une fois l’introduction terminée. Cette astuce s’inscrit dans une volonté de laisser toujours plus de liberté au joueur, tout en se débarrassant d’un héros souvent jugé sans charisme (eh oui Jason et Ajay, on parle de vous).

Quoi qu’il en soit, tout puissant au début du jeu car porteur de la froideur et de l’implacabilité de la justice américaine, le joueur se retrouve rapidement en position d’infériorité. Comme disent nos amis d’outre-Atlantique, everything went south, et de parangon de la justice vous vous devenez la proie impuissante d’une secte qui aimerait vraiment que vous rejoigniez ses rangs.

L’Amérique libéra(b)le

L’aventure commence réellement ici. Une fois encore, Ubisoft offre une immense latitude d’action au joueur, et par conséquent une sensation de déjà vu. Le comté de Hope County se présente comme un grand bac à sable, avec ses trois régions à libérer des Messagers de Joseph, pour enfin atteindre ce dernier, et accessoirement, de sauver ses collègues captifs.

Pour ce faire, il faut faire grimper le niveau de résistance de chaque secteur, dans l’ordre que l’on souhaite, en complétant diverses missions principales et secondaires, en relâchant des civils captifs, en détruisant moult propriétés des “Peggies” (le petit surnom des cultistes) ou en libérant les traditionnels avant-postes. Une fois passés certains caps, le psychopathe en charge du territoire va chercher à vous rencontrer pour vous convaincre de rejoindre cette secte qui ne vous veut que du bien (jusqu’à l’affrontement final). Des rencontres qui jouissent d’une mise en scène souvent audacieuse et/ou originale.

Pour ceux qui n’ont que faire de l’histoire et qui veulent juste profiter du monde ouvert, ils auront la possibilité de participer à des parties de chasse, de pêche, de récolter les innombrables merdouilles collectibles à collectionner, ou tenter de battre les records de cascades qui émaillent le monde.

On vous parlait de bunkers plus tôt. Ces derniers, répartis sur toute la carte, font office de mini-donjon. Les compléter permet de récupérer de l’argent, essentiel pour obtenir de l’équipement, et surtout des points de compétences à dépenser dans un arbre à 5 branches (soit 50 talents) sommes toutes classique. Vous pouvez ainsi augmenter votre discrétion, votre rapport à la faune et la flore, muscler votre côté bourrin, développer votre gestion de l’équipement ou encore améliorer votre leadership (on y reviendra).

[nextpage title=”Le territoire de l’Oncle Spam”]“Chouette alors, vous exclamerez-vous, autant d’activités signifient que l’on va devoir encore se taper l’escalade de ces affreuses et ennuyeuses tours radio, histoire de toutes les trouver.”

Eh bien non, Ubisoft a entendu la lassitude des joueurs et ne vous forcera à grimper qu’une seule et unique tour radio. Le jeu se permettra même d’en rire. Mais croyez-moi, vous allez vite regretter la disparition de ces édifices. Car leur départ signifie l’arrivée de l’un des plus gros défauts de Far Cry 5 : le harcèlement.

Le territoire de l’Oncle Spam

Far Cry 5 est un jeu qui ne respire jamais. Imaginez un enfant hyperactif shooté à l’adrénaline qui veut absolument vous montrer l’intégralité de ses 200 jouets en moins de trois minutes et vous aurez vaguement une idée de ce à quoi peut ressembler un début de partie dans Far Cry 5. En effet, ce sont les civils que vous libérez qui vous donnent les différents points d’intérêt de la carte.

Au bout de deux heures de jeu, j’ai arrêté de compter le nombre de résistants à libérer que j’ai écrasé par inadvertance lors d’un trajet en voiture, tant ces derniers ont la désagréable propension à courir au milieu de la route (cette I.A. <3). Il est impossible de se rendre d’un point A à un point B sans rencontrer une trentaine de personnes à sauver. Heureusement, cette tendance s’estompe au fur et à mesure de votre progression dans le jeu.

En revanche, ce qui ne disparaît pas, c’est la sollicitude constante du jeu. Vous ne pouvez pas rester plus de trente secondes sans que le titre vous importune avec un évènement aléatoire. Véridique, j’ai fini par sortir le chronomètre tellement je n’y croyais pas. Je m’arrête en quad dans un champ pour prendre une photo, BIM ! Je me fais charger par un bison. Je vais dans le champ d’en face, PAF ! Un couguar me bouffe le bras. Envie de surveiller un avant-poste à la jumelle avant de l’attaquer ? Faites-le vite, car vous n’êtes pas à l’abri de vous faire salement agresser par une moufette (c’est du vécu).

Et quand ce n’est pas la faune, ce sont les cultistes qui viennent vous chercher des poux. La palme revenant à ce briefing de mission que j’ai dû relancer trois fois de suite, car mon interlocuteur et moi avons été interrompus tour à tour par un ours, un avion et une escouade de fanatiques.

L’État te trump

Puisqu’on en est à parler des défauts, continuons avec les autres soucis de Far Cry 5. L’intelligence artificielle pour commencer qui est loin de faire des étincelles. Si les ennemis savent se mettre à couvert lors des combats, ils ont souvent tendance à foncer vers le joueur sans se poser de question. Il n’est pas rare de voir une voiture ennemie foncer dans une rivière afin de vous poursuivre à tout prix. Les compagnons humains du joueur éprouvent également quelques difficultés de raisonnement, surtout lorsqu’il s’agit de relever le héros tombé au combat.

Mais les plus mal lotis restent les animaux. Ces derniers offrent autant de moment de rigolades que de raisons de s’arracher les cheveux. Combien de fois ai-je vu un chien attaquer un taureau pour le fun avant de mourir empalé comme un idiot ? Sans parler du nombre de fois où un cerf a pensé qu’une plaine enflammée était un terrain de jeu plutôt cool. Et que dire de tous ces animaux qui peuvent devenir compagnon du joueur et qui font preuve d’un vif esprit de déduction en se jetant systématiquement sous les roues de notre véhicule ?

Le pilotage des avions et hélicoptères, introduits avec cet épisode, gagnerait aussi en précision. Enfin, dernier point qui n’est qu’un détail mais qui a de quoi frustrer les plus mélomanes d’entre vous, l’équilibrage audio. Fort d’une bande-originale composée de classiques du rock et de la country, Far Cry 5 préfère me faire écouter le mélodieux son du moteur que celui de la radio. Dommage que l’on ne puisse pas baisser le SFX dans le menu du jeu.

Redneck Rampage

Heureusement, pour affronter l’adversité du quotidien, le joueur peut compter sur un impressionnant arsenal d’engins destinés à raccourcir drastiquement l’espérance de vie. Et autant vous dire qu’Ubisoft ne se fout pas de vous. Les armes ont une sacrée pêche, tout comme les combats. Le foisonnement de tyroliennes et de couverts dans les avant-postes dynamise sacrément les affrontements avec les cultistes.

 

Plus important, la possibilité de recruter des mercenaires. Les civils que vous libérez peuvent en effet devenir des machines à tuer sous vos ordres, vous permettant de vous concentrer sur l’objectif tandis qu’ils s’occupent des forces en présence. Il est également possible de libérer des résistants “célèbres”, tous doués de capacités uniques. Le brave chien Boomer peut par exemple détecter les ennemis alentours et leur piquer leurs armes, tandis que Hurk, redneck bien connu des joueurs de Far Cry 3 et 4 n’hésitera pas à jouer du lance-roquette entre deux vannes bien rigolotes.

L’artisanat a également été épuré, histoire de le rendre moins contraignant et donc de ne pas transformer le joueur en chineur fou. Enfin, Far Cry 5 peut être terminé intégralement en coopération avec un autre joueur, histoire de déclencher toujours plus de binz’ au find fond du Montana.

American Psycho

Mais la véritable surprise de ce Far Cry 5 est son écriture. Bien que doté d’une légère dose d’humour, le scénario se veut plus mature que ceux des précédentes entrées de la saga. Ubisoft a apporté une fois encore un soin tout particulier à ses antagonistes. On se rend rapidement compte que derrière le fanatisme de Joseph Seed et de ses “Messagers” se cachent un réel traumatisme et une paranoïa exacerbée. On reste cependant en face de véritables psychopathes, avec un chef religieux qui tatoue les péchés sur la peau avant de les arracher ou un ex-soldat qui capture et torture les plus faibles.

Le meilleur restant Joseph Seed, dont la froideur et la ferveur religieuse sont glaçantes. D’autant que ce dernier, sous couvert d’élitisme divin, donne souvent l’impression dans ses interventions de dialoguer directement avec le joueur et non son avatar. On aurait simplement aimé que les personnages alliés au joueur bénéficient du même niveau d’écriture, plutôt que de tomber dans un certain classicisme.

Plus que ses prédécesseurs, et notamment le troisième opus, Far Cry 5 s’articule autour de la réflexion sur la manipulation mentale, le pouvoir des sectes religieuses, l’usage de la drogue pour contrôler les masses et surtout la perte de foi dans l’humanité. Aussi bien à travers le Projet d’Eden’s Gate que les nombreux survivalistes qui composent la résistance, Ubisoft livre une critique de la tendance qu’a l’humanité à se préparer à la fin du monde, qui semble de plus en plus inévitable, et qui pourtant peut largement être évitée.

Et puis il y a cette fin. Alors on ne vous en dira rien, pour vous laisser le plaisir de la découvrir, mais honnêtement, Ubisoft nous a pris de cours tant cette dernière est inattendue, après 25 heures de quêtes oscillant entre le FeDex et le déjà-vu. Car dans ses derniers instants, le jeu fait une ultime mutation qui chamboule toutes les certitudes du joueur. Et ça, ce n’est pas plus mal.

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Notre avis

Alors oui, Far Cry 5 applique dans les grandes lignes la formule de Far Cry 3 et Far Cry 4. Que ce soient les points forts, avec une narration éclatée, une impressionnante liberté d'action laissée au joueur ou un monde ouvert foisonnant d'activités. Et les points faibles, tels qu'une intelligence artificielle déficiente ou un manque de variété dans les missions. Mais s'arrêter là serait passer à côté de la flopée de petites nouveautés qu'a ajoutée Ubisoft pour rafraîchir sa recette et surtout le progrès en matière d'écriture du studio français. Si le jeu ne respire jamais, on se laisse volontiers guider par l'excellente prestation des antagonistes jusqu'à l'inattendue conclusion de Far Cry 5. Une virée, certes fantasmée et ultra-violente, dans une Amérique paranoïaque et survivaliste qui on l'espère, ne sortira jamais du cadre de la fiction.

Far Cry 5 sera disponible le 27 mars 2018 sur PC, PS4 et Xbox One.
Note : 8  /  10

Les plus

  • La liberté d'action laissée au joueur
  • La myriade d’activités
  • Un jeu jouable intégralement en coopération
  • L’ambiance du Montana
  • L’écriture des antagonistes
  • La mise en scène
  • La fin
  • La réflexion sur la manipulation et le sectarisme
  • Le dynamisme des combats
  • La sensation des armes
  • La bande-originale…

Les moins

  • L’intelligence artificielle
  • Le pilotage un peu brouillon des véhicules aériens
  • Les quêtes qui manquent de diversité
  • L’écriture des compagnons du héros
  • Le harcèlement continu…
  • … qui nous spamme…
  • … et nous spamme sans cesse
  • … Minée par un équilibrage sonore à revoir
6 commentaires
  1. "Une virée, certes fantasmée et ultra-violente, dans une Amérique
    paranoïaque et survivaliste qui on l’espère, ne sortira jamais du cadre
    de la fiction." Plus consensuel tu meurs

  2. Si j’ai bien compris, pas de révolution en vue: mêmes mécaniques de jeu (les tours en moins), l’IA est toujours lamentable et le scénario est sympa (pour ceux que ça intéresse). Je pense avoir eu ma dose avec le 3, le 4 et Blood Dragon. Je vais passer mon tour sur celui-ci.

  3. J’ai fait ni le 3 ni le 4 mais celui-ci m’intéresse pour son aspect coop intégré. Et du coup je ne suis pas "gavé" de la réutilisation du gameplay. Après ça à l’air assez similaire à n’importe quel open world "fait des missions secondaire pour dominer cette zone et accéder à la mission principale". Mais osef si en coop c’est fun, un ptit *** des bières et on est bien.

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