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[Chronique] Pourquoi le speedrun est-il essentiel dans nos vies ?

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J’ai décidé de commencer ce papier par une révélation des plus cinglantes : dans « jeux vidéo », il y a le mot « vidéo »….

J’ai décidé de commencer ce papier par une révélation des plus cinglantes : dans « jeux vidéo », il y a le mot « vidéo ». Plus incroyable encore, si vous le lisez à l’envers, très vite, en sautant à cloche-pied dans un cimetière apache, vous prononcerez à votre insu le mot « speedrun ». Voilà, vous êtes désormais dans la confidence, et ne regarderez plus vos jeux préférés de la même façon.

Regarder avec envie son grand frère finir Sonic 3, regarder paresseusement un walkthrough sur Youtube, regarder la bave aux lèvres des joutes e-sportives sur Twitch… Il paraît évident que notre parcours de gamer demeure jonché d’instants purement contemplatifs, qu’une partie de nos souvenirs les plus tenaces réside dans le regard (et l’analyse de la débauche de skills adverse, bien entendu). Les plus assoiffés de vidéos divertissantes finissent forcément par tomber sur les speedruns, ces démos hors normes de jeux finis le plus rapidement possible. Certains s’aident d’un émulateur (l’école du TAS), d’autres (pour ne pas dire tous) se détournent du chemin imposé par le développeur à grands renforts de glitchs. Dans les deux cas, il s’agit d’en mettre pleins les yeux au spectateur en piétinant ses vaines croyances.

Vite, vite, vite ! (crédit image : Julien Daniel-Moliner)
Vite, vite, vite ! (crédit image : Julien Daniel-Moliner)

Depuis quelques années, la pratique gagne une nouvelle popularité, au point de devenir un passe-temps plutôt efficace, au même titre qu’un épisode de série télé ou un making of bien foutu. Que ces vidéos ovnis se promènent librement sur Youtube, soient répertoriées sur Speed Demos Archive ou commentées dans Speed Game, le speedrun accapare sur tous les fronts nos précieux instants off loin de nos manettes. Comment expliquer ce renouveau, ce temps consacré à regarder un autre jouer ? Plusieurs raisons.

Outre la balance “matériel d’enregistrement à prix accessibles/résultat plus que correct” définitivement réglée, l’avènement de plate-forme telle que Twitch amène la touche spectacle grand public qui manquait cruellement à la discipline. De l’aveu de Jared Rea, CM de ladite plate-forme, le speedrun connaît une véritable renaissance grâce au livestreaming.

Sans atteindre les chiffres démentiels générés de l’e-sport, le speedrun alimente à sa façon le terreau des vidéos récréatives et ludiques, et annihile implacablement tout faux-semblant de productivité une fois le doigt coincé dans l’engrenage. Tout le monde est touché car toutes les fiertés et gloires inébranlables de notre ludothèque y passent. De grands classiques made in Nintendo comme Mario, Zelda ou Metroid, en passant par des friandises plus récentes comme Portal ou Dark Souls. Et même le très aléatoire Spelunky, fini en moins de sept minutes, en live, avec la vraie fin s’il vous plait.

Spelunky (Hell run) en 6min52 par Bananasaurus Rex

Ce regain d’intérêt dû au live s’accompagne nécessairement d’une humanisation du procédé. De la vidéo bricolée et plutôt impersonnelle, on découvre un joueur en chair et en os, sa voix et/ou ses mains posées sur la manette, sans filet et sans reset. Un affect se crée, on s’identifie à un joueur et à son parcours de gamer (du moins à nos références évidemment communes).

Puis la vidéo se lance, les minutes défilent, les exploits s’enchaînent inlassablement jusqu’à cette formidable tension qui naît chez le spectateur, une authenticité indiscutable qui rend le visionnage tout bonnement envoûtant. Les exemples sont légions. Au hasard, jetons un rapide coup d’oeil à ce run de Super Meat Boy, fini en moins de 20 minutes, qui devrait convaincre les plus réticents au fond de la classe :

Super Meat Boy (single-segment, any %) en 18min39 par Exo

Les voyants du capital sympathie dans le vert, Speed Demos Archive décide de pousser le concept plus loin avec les Games Done Quick. L’idée est de fournir à ces joueurs hors normes un créneau d’une poignée de jours dans lequel ils font la démonstration live de leurs talents sous forme d’un marathon caritatif. L’initiative est touchante et apporte à la discipline – voire même au jeu vidéo – un visage humain inattendu.

Du profil suranné du joueur solitaire et asocial, l’exercice prouve une nouvelle fois la présence majoritaire de joueurs d’une gentillesse rare, qui usent dans ce cas de leurs connaissances pointues en terme de gameplay pour lutter, à leurs façons, contre de lourdes maladies. Même chose du côté des autres profils de joueurs, supporters et spectateurs font vivre le show, par leur présence, leurs dons accompagnés d’anecdotes touchantes.

Et personne n’échappe à la surprise, pas même Mike Uyama, l’un des organisateurs de l’évènement, qui annonce de jolis chiffres pour l’édition Awesome Games Done Quick 2013. On parle ici de l’évènement caritatif le plus lucratif que Twitch ait eu à gérer depuis sa création, réunissant aux alentours des 448 000 dollars, soit presque 100 000 dollars de plus que l’année précédente. Record aussi côté spectateurs durant cette période avec un pic de 55 000 connectés sur un live de Super Mario 64 (un grand classique du speedrun). 120 étoiles en 1h47, le tout entouré de “geeks lunettes noires” – une espèce très rare de geeks scrutant les moindres failles et esquissant de temps à autre des sourires contenus de satisfaction -, on comprend vite l’engouement.

Super Mario 64 à 100% en 1h47 par Siglemic

Un rayonnement nouveau apporté par le live, certes, mais n’oublions pas l’ingrédient de base de ces vidéos : l’effet nostalgique. Regarder un speedrun, en live ou non, reste une expérience qui touche directement les souvenirs du joueur. Le mode vieux con et ses anecdotes s’activent durant le visionnage.

Puis vient le second effet Kiss Cool, celui qui met tous les joueurs sur le même pied d’égalité : lorsque nos fausses croyances et notre supposée maîtrise du gameplay volent en éclats. The Legend of Zelda : Ocarina of Time en est le parfait exemple : un jeu magnifique, encensé par tous, saigné en long et en large par une poignée d’irréductibles qui décèlent encore à ce jour de nouvelles failles dans le système. Ou plus simplement, quand quelques manips wtf et sauts bien sentis permettent de finir le jeu en une vingtaine de minutes.

Ocarina of Time, en live, en 22min38, par CosmoWright

Que les intégristes se rassurent, le speedrun se pose toujours comme la relecture d’un jeu devenu suffisamment classique pour qu’un joueur, et par extension une communauté entière, s’y attarde de fond en comble pour lui offrir une seconde jeunesse. Si certains ont peur du manque et raffolent des vidéos commentées, Speedrunslive se pose comme un flot ininterrompu de tentatives, de discussions, de partages autour du jeu et des meilleures façons de le terminer le plus rapidement possible.

Du coup, peut-on dire que le speedrun marque en quelque sorte d’un label rouge/Seal of Quality un jeu, selon l’enthousiasme créé autour ? Il y a des chances, sous certaines conditions essentielles. Pour le spectateur il s’agit de connaître un minimum le jeu parcouru, si possible de l’avoir déjà fini pour éviter les spoils ou suffisamment exploré pour saisir pleinement le spectacle à l’écran. Des conditions éliminatoires donc, et pourtant le nombre d’adeptes augmentent significativement. De là à espérer que le speedrun puisse concurrencer l’e-sport sur son propre terrain ? Gardons les pieds sur terre, le speedrun reste avant tout, dans la pratique, assez marginal. Sa diffusion croissante contribue à donner à certains jeux l’aura si spéciale des grands crus qui traversent les âges, et au jeu vidéo de manière générale, un profil bien plus humain, passionné et généreux. Ce qui était loin d’être gagné il y a quelques années, n’est-ce pas ?

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