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NASA : une directive discrète laisse entrevoir la fin d’une ère

La polémique autour du nom du James Webb Space Telescope pourrait priver des astronomes éminents d’un honneur particulièrement gratifiant.

Cassini, Hubble, Spitzer, Chandra, Walker… les programmes et les engins les plus prestigieux de la NASA héritent souvent du patronyme d’une personnalité qui a joué un rôle important dans un domaine en lien avec l’espace. Mais cela va très probablement changer dans un futur proche. Dans une directive repérée par SpaceNews, l’agence a annoncé à demi-mots une modification significative de sa politique à ce niveau. L’objectif est de fermer la porte à toute polémique après un incident regrettable pour l’image de l’institution. Mais cette opération pourrait aussi avoir des conséquences plus profondes.

Les graines de ce changement de cap ont été semées il y a plus de deux décennies. Au début du millénaire, la NASA était en train de travailler sur un télescope infrarouge révolutionnaire, capable de repousser toutes les frontières de l’astronomie. En 2002, il a été baptisé en l’honneur d’un administrateur de la NASA, devenant ainsi le James Webb Space Telescope.

L’intéressé a joué un rôle très important dans le développement de l’agence. Webb a été l’un des grands artisans de l’architecture actuelle de la NASA, qui est fondée sur deux piliers principaux : la recherche fondamentale et l’exploration spatiale par les humains. Sa vision a permis de redonner des couleurs à cette institution en grande difficulté à l’époque. Pendant des années, personne n’a donc opposé la moindre résistance.

Mais à l’approche du lancement, le 2 décembre 2021, le ton a changé. De nombreux astronomes ont commencé à protester contre ce baptême. La raison de leur courroux : James Webb n’était apparemment pas très à l’aise avec l’homosexualité. En effet, il a été accusé à plusieurs reprises de discrimination et de licenciements abusifs envers des membres de cette communauté. C’était malheureusement très fréquent à l’époque de Webb, qui a occupé le poste d’administrateur de 1961 à 1968.

L’affaire James Webb a mis la NASA dos au mur

Mais aujourd’hui, les mentalités ont bien évolué, et le public est beaucoup plus sensible à cette problématique. De nombreux observateurs ont donc réclamé un changement pur et simple du nom, expliquant qu’il était inapproprié d’accorder un tel honneur à un homophobe patenté. La polémique a pris des proportions considérables, si bien que la NASA a été forcée de réagir.

Acculée, l’agence a décidé de mener son enquête sur la question. Dans son rapport final, paru en novembre dernier, elle a annoncé qu’elle n’avait pas de preuve suffisante pour corroborer ces allégations. Elle a donc campé sur ces positions : le formidable engin installé au point de Lagrange L2 du système Terre-Soleil est toujours baptisé James Webb Space Telescope.

Une décision forcément difficile à avaler pour l’autre camp, qui a manifesté son désaccord avec véhémence. Mais il était impossible de satisfaire tout le monde, et la NASA en avait bien conscience. Elle a donc décidé de faire tout ce qui est en son pouvoir pour qu’une telle situation ne se reproduise pas.

C’est précisément l’objet de cette nouvelle directive. Elle dissuade explicitement les responsables de mission de leur donner le nom d’une personne réelle. À la place, le texte suggère plutôt de piocher dans les champs lexicaux de “l’unité, de l’inspiration, ou du succès”.

Cette directive officialise donc un changement qui avait déjà commencé depuis quelques années. Les noms des derniers engins de l’agence, comme le rover Persevrance ou l’hélicoptère Ingenuity, sont déjà très neutres. L’agence a aussi tendance à privilégier les acronymes peu évocateurs. Et cette nouvelle ligne directrice va sans doute devenir la norme à partir de maintenant.

Une très haute distinction pour les professionnels de l’espace

C’est probablement une bonne nouvelle pour les équipes de relations publiques de la NASA. Mais d’un autre côté, c’est aussi dommage pour les efforts de transmission de l’agence.

En effet, le nom d’une mission n’est pas qu’un vulgaire sobriquet. Avoir un programme de première catégorie à son nom, c’est un peu l’équivalent de la Légion d’honneur chez les astronomes. Cela permet de rendre hommage au travail formidable des génies qui ont fait faire des bonds de géants à la discipline et de les inscrire encore un peu plus dans l’Histoire.

On peut citer feu Eugene Parker, le Roi-Soleil de l’astrophysique qui s’est éteint en mars 2022. Le monde se souviendra de ses travaux sur notre étoile pendant de longues années grâce à la sonde solaire révolutionnaire qui porte son nom, et représente encore aujourd’hui le travail de toute une vie. À chaque fois qu’elle est mentionnée dans une publication scientifique, c’est tout l’héritage du visionnaire qui est remis en lumière. Et avec cette nouvelle directive, il n’aurait peut-être pas eu droit à cet insigne honneur.

Le conditionnel est toutefois important. En effet, la NASA précise que la règle pourrait être contournée dans “des circonstances extraordinaires.” Par exemple, on sait déjà que le futur grand télescope de l’agence sera nommé Nancy Grace Roman (voir notre article).

Les astronomes les plus éminents peuvent donc toujours avoir un peu d’espoir. Mais si la compétition était déjà rude jusqu’à présent, elle le sera encore plus à partir de maintenant. Faire partie de l’élite absolue de la discipline ne suffira plus. Il faudra aussi être irréprochable en tant que personne pour avoir ses chances. Car dans les rares cas où elle envisagera l’attribution d’un tel nom, la NASA va systématiquement procéder à une analyse médiatique et historique comme elle l’a fait pour James Webb.

La fin d’une ère ?

Il sera donc très intéressant de voir dans quels cas la NASA va donner son aval. Parmi les candidats potentiels, on peut citer l’illustre Carl Sagan. En plus de ses travaux en science fondamentale, c’était aussi un vulgarisateur très populaire qui a permis à des millions de personnes de prendre conscience de l’immensité du cosmos (voir notre article).

On pense aussi à des personnalités plus discrètes, mais tout aussi éminentes comme John Mather. Ce taulier indéboulonnable du légendaire Goddard Space Flight Center, nobélisé pour ses travaux sur les corps noirs et le fonds diffus cosmologique, est aussi très apprécié pour ses qualités humaines et son penchant pour la pédagogie. Il fait partie des rares individus encore vivants qui cochent absolument toutes les cases.

Cela nous amène à la dernière conséquence discrète de ce changement de directive. Elle est assez abstraite, presque philosophique, mais tout de même très significative : avec cette directive, la NASA se prive aussi d’un symbole important.

En effet, donner le nom d’un scientifique à un engin révolutionnaire, ce n’est pas seulement un hommage; c’est aussi un rappel que la science reste avant tout une affaire d’humains. C’est une grande aventure collective qui est menée par une poignée d’individus exceptionnellement compétents et dévoués dans le seul but de faire progresser notre espèce dans sa globalité.

Et il serait dommage de priver les moteurs de ce processus d’une forme de reconnaissance particulièrement gratifiante. Espérons donc que la NASA continuera aussi de mettre les humains en avant au lieu de sélectionner uniquement des noms génériques et aseptisés. A quand le John Mather Space Telescope ?

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Source : SpaceNews

1 commentaire
  1. Ce qui est rageant, c’est qu’il a été établi que la dénonciation était sans fondement. L’association de Webb avec la période dite de Lavender scare provenant d’une extrapolation erronée sur ses fonction dans l’administration au moment de cette chasse au sorcière anti homosexuels. La personne a l’origine de cette dénonciation calomnieuse n’a pas été sanctionnée, et ceux qui ont pétitionné sur les réseaux sociaux sur la simple base de cette dénonciation sans vérifier les sources n’ont même pas conscience de la gravité de leur comportement. Ce changement de politique est hélas une victoire pour ces olibrius.

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