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Au Canada, un simple emoji👍peut vous coûter une fortune

Un agriculteur a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  une grosse amende pour rupture de contrat Ă  cause d’un pouce levĂ©.

Si un voyageur temporel débarquait soudainement à notre époque depuis le passé, il serait certainement perplexe en constatant que de petits pictogrammes ont remplacé les lettres dans de nombreux canaux de communication.

Depuis qu’ils ont été introduits sur les mobiles japonais dans les années 90, les emojis se sont démocratisés à une vitesse phénoménale avec la montée en puissance des réseaux sociaux. Aujourd’hui, ils constituent presque un langage à part entière que certains maîtrisent mieux que d’autres. Et tout récemment, c’est un fermier canadien qui en a fait l’amère expérience. Il a eu le malheur de poster un simple pouce qui lui a coûté une véritable fortune.

Cette histoire relayée par le Guardian a eu lieu dans la province de Saskatchewan, au Canada. Deux parties s’opposaient dans le cadre d’un litige qui, à première vue, n’avait rien de très original.

Le pouce de la discorde

D’un cĂ´tĂ©, il y a Chris Achter, un fermier local ; de l’autre, Kent Mickleborough, reprĂ©sentant de la coopĂ©rative agricole South West Terminal. Un jour de mars 2021, l’entreprise a envoyĂ© un message groupĂ© Ă  ses clients pour les informer qu’elle cherchait Ă  acquĂ©rir 86 tonnes de lin Ă  17 dollars canadiens, soit environ 11,7 â‚¬, par boisseau.

Achter, intéressé par la transaction, s’est entretenu avec Mickleborough au téléphone. D’après le texte du procès, le commercial aurait ensuite envoyé une image d’un contrat à l’agriculteur, en lui demandant une confirmation pour une livraison au mois de novembre. Ce dernier a répondu par l’affirmative en utilisant l’emoji👍, qui représente un pouce levé. Et c’est là que la situation a tourné au vinaigre.

À cause de certaines difficultés logistiques, Achter n’a finalement pas assuré la livraison du lin à la date prévue. Et entre temps, le prix du matériau a flambé. L’agriculteur, qui n’a jamais apposé une signature en bonne et due forme en bas du contrat, a donc estimé légitime d’en revoir les termes. Mais Mickleborough ne l’entendait pas de cette oreille.

S’en sont suivi de vifs échanges au sujet de l’interprétation du pictogramme. Pour Mickleborough, ce pouce signifiait qu’Achter avait accepté les termes du contrat. L’intéressé s’en est défendu, expliquant qu’il avait simplement confirmé la bonne réception du message. Les deux n’étant pas parvenus à trouver un terrain d’entente, l’affaire s’est terminée devant un tribunal local. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce procès restera dans les annales.

Un emoji considéré comme une signature à part entière

Les avocats des deux parties se sont lancĂ©s dans une quĂŞte absolument lunaire pour dĂ©terminer la signification objective de l’émoji. Les Ă©changes Ă©taient apparemment si absurdes que Timothy Keene, le juge en charge de l’affaire, a comparĂ© ces Ă©changes Ă  une « chasse Ă  la Pierre de Rosette Â» numĂ©rique.

Au terme de ce dĂ©bat lunaire, un verdict assez inattendu a fini par tomber : le jury a considĂ©rĂ© que ce pouce levĂ© constituait effectivement une signature en bonne et due forme.

Meme they're the same picture de The Office
© The Office / NBC / Cytonn Photography – Unsplash / Microsoft

« La cour reconnaĂ®t que l’emojiđź‘Ťest un moyen non traditionnel de signer un document, mais que dans ces circonstances, il s’agit nĂ©anmoins d’une manière valide de remplir les objectifs d’une signature Â», cite le Guardian.

L’avocat d’Achter a eu beau arguer que son client n’était « pas un expert en emoji Â», ce dernier a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  payer la somme de 82 000 dollars canadiens (environ 56 300 â‚¬) pour rupture de contrat.

Le droit Ă  l’Ă©preuve de la culture numĂ©rique

Le verdict a fait pousser des cris d’orfraie aux défenseurs du droit contractuel à l’ancienne. La défense a protesté en expliquant qu’un tel verdict pourrait ouvrir la voie à un tas de litiges extrêmement épineux sur l’interprétation d’autres émojis, comme la poignée de main. Mais selon le juge, les emojis sont désormais tellement ancrés dans les mœurs qu’il revient au système judiciaire de s’y adapter.

« La cour ne peut pas, et ne devrait pas essayer d’endiguer le flot de la technologie et de l’usage commun Â», a dĂ©clarĂ© Keene. « C’est l’émanation d’une nouvelle rĂ©alitĂ© dans la sociĂ©tĂ© canadienne, et les tribunaux devront ĂŞtre prĂŞts Ă  rĂ©pondre aux dĂ©fis qui pourraient Ă©merger de ces usages Â».

Un smartphone avec la mention "signez ici"
© Kelly Sikkema – Unsplash

Tous les juges et les tribunaux ne seront pas nécessairement d’accord avec cette interprétation. Mais dans les faits, cette affaire témoigne d’une tendance qui commence à prendre de plus en plus en plus de place dans le monde de la Justice. Et cela ne concerne pas que le Canada.

Par exemple, selon le Journal du Dimanche, un jeune français de 22 ans a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  trois mois de prison pour avoir envoyĂ© un message rempli d’ emojis commeđź’Ł et🔪à sa petite amie. Le jury l’a interprĂ©tĂ© comme une menace de mort.

Une décision pas surprenante, dans la mesure où le message était relativement explicite et relevait de toute façon du harcèlement. Mais dans un domaine aussi pointu et codifié que le droit contractuel, ces ambiguïtés pourraient générer des situations beaucoup plus difficiles à arbitrer. Il pourrait donc devenir urgent de définir clairement la place des emojis dans ce genre d’affaires.

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1 commentaire
  1. En somme, ces juges Canadiens ont estimĂ© que le rĂ´le de la loi n’est pas d’obliger les entreprises Ă  hausser leur niveau de rigueur et de sĂ©rieux dans le traitement des contrats commerciaux mais plutĂ´t accompagner cette tendance gĂ©nĂ©rale au nivellement par le bas, qui fais qu’on remplace un système de contrats clairs, prĂ©cis, dĂ©taillĂ©s, contrĂ´lables et mutuellement acceptĂ©s de façon explicite et univoque par une autre façon de faire, ambiguĂ«, vague, invĂ©rifiable, non explicite et non fiable. Bravo les juges ! Si j’Ă©tais l’entreprise en question j’aurai virĂ© ce commercial qui n’a pas fais signer un contrat de fourniture en bonne et due forme avant d’engager la boĂ®te. Ce con a conclu une affaire par WhatsApp !

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