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Pour la première fois, des chercheurs visualisent l’ombre d’un laser

Traditionnellement, on associe les ombres à l’interaction de la lumière et d’un objet matériel; cette expérience a montré qu’un faisceau lumineux peut également projeter une ombre dans certaines conditions. Un phénomène contre-intuitif qui pourrait déboucher sur de vrais progrès en optique.

Dans une étude récente repérée par New Atlas, des chercheurs ont démontré l’existence d’un phénomène particulièrement contre-intuitif qui semble aller à l’encontre des grands principes de la physique : un faisceau lumineux est capable de projeter une ombre.

Traditionnellement, on considère que la présence d’une ombre s’apparente simplement à l’absence de lumière. On en observe partout dans notre environnement dès que cette dernière est bloquée par un objet plus ou moins opaque, qu’il soit solide, liquide ou gazeux.

En revanche, cela ne vaut pas pour les particules sans masse, comme les photons qui composent la lumière. On considère généralement qu’ils ne peuvent pas se bloquer entre eux. Excepté dans certaines circonstances bien précises, deux ondes lumineuses peuvent se croiser sans conséquence immédiatement visibles; si vous croisez les faisceaux de deux lampes torches, par exemple, le premier ne sera pas bloqué par le second; ils éclaireront tous les deux les surfaces vers lesquelles ils sont dirigés sans qu’une ombre soit produite.

Certes, lorsqu’on regarde de plus près, la réalité est en fait plus nuancée. Le principe de la dualité onde-corpuscule stipule que les photons peuvent être analysés à la fois comme des particules et comme des ondes en fonction du contexte. Et dans ce deuxième cas, il faut tenir compte d’un grand nombre de phénomènes annexes, comme les interférences qui résultent des interactions entre deux ondes. Mais rien dans ce modèle ne prévoit la création d’une ombre à partir de lumière pure.

L’ombre d’un faisceau laser, un concept contre-intuitif

Pourtant, c’est bien ce que des chercheurs du Brookhaven National Laboratory, aux Etats-Unis, ont observé. Dans leur dernière expérience, ils ont démontré qu’il n’y a pas nécessairement besoin d’un obstacle situé sur le trajet des photons; on peut aussi obtenir une surface ombragée en croisant deux faisceaux laser dans certaines conditions précises.

L’équipe de chercheurs derrière ces travaux travaillait initialement sur l’interaction de la lumière avec des matériaux dits “non-linéaires”. Ce sont des matériaux dont la réponse à différents types de stimulations externes (électrique, mécanique…) n’est pas directement proportionnelle à l’intensité du phénomène. L’exemple le plus connu est sans doute celui des semiconducteurs, dont la capacité à conduire un courant électrique peut varier en fonction de l’intensité de ce courant. Mais ici, ils s’intéressaient à la non-linéarité optique, c’est à dire aux matériaux qui réagissent différemment au passage de la lumière en fonction de son intensité.

Pour générer l’ombre en question, les chercheurs sont partis d’une paire de lasers (un bleu et un vert) positionnés perpendiculairement l’un par rapport à l’autre, de façon à ce que leurs faisceaux se croisent. Dans des conditions normales (ou plus spécifiquement dans un milieu linéaire), les deux rayons n’auraient aucune influence visible l’un sur l’autre. Mais la situation change du tout au tout lorsque l’on passe dans un milieu non linéaire.

Pour le montrer, les chercheurs ont utilisé un rubis. Cette pierre précieuse est constituée d’un cristal d’oxyde d’aluminium qui présente une non-linéarité optique, et cette propriété modifie totalement le comportement des deux faisceaux. Lorsqu’ils ont placé un cube de rubis précisément au point d’intersection, ils ont observé que le laser vert modifiait la manière dont le cristal réagit au passage de la lumière bleue.

Cube Laser
© Abrahao et al., 2024

Dans ces conditions, le laser vert ne se comportait plus comme un simple flux de photons, mais comme un objet tangible et opaque. Par conséquent, une fois illuminé par le laser bleu, les chercheurs ont pu observer la projection d’une tache sombre. Et même si elle ne résultait pas de l’illumination d’une masse solide, selon les auteurs, elle répondait tout de même à tous les critères d’une ombre : elle était à la fois visible à l’oeil nu et suivait précisément les contours de l’objet (en l’occurrence, le laser vert).

Un nouvel axe de recherche en physique optique

Ce résultat pourrait sembler totalement anecdotique à première vue. Mais selon les auteurs, il est en fait plus important qu’il n’y paraît. D’un point de vue technique, cette expérience montre qu’il est possible de contrôler directement l’intensité d’un laser à l’aide d’un autre faisceau du même type. Ce phénomène pourrait donc être exploité pour offrir un degré de contrôle encore plus important à de nombreux dispositifs qui reposent sur des lasers, comme des appareils de mesure extrêmement performants. Une perspective potentiellement très enthousiasmante pour les physiciens et les chimistes structuraux, par exemple.

Mais plus largement, cela force aussi les physiciens à reconsidérer ce qu’est une ombre au niveau le plus fondamental. A moyen et long terme, cela pourrait conduire à l’apparition de nouvelles techniques optiques fascinantes.

La lumière laser projetant une ombre était auparavant considérée comme impossible, car la lumière traverse généralement une autre lumière sans interagir. Notre démonstration de cet effet optique très contre-intuitif nous invite à reconsidérer la notion d’ombre”, explique Raphael Abrahao, physicien au Brookhaven National Laboratory et auteur principal de l’étude. “Cette découverte étend notre compréhension des interactions entre la matière et la lumière, et cela pourrait faire émerger de nouvelles façons d’utiliser la lumière que nous n’avons jamais envisagées jusqu’à présent”, conclut-il.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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2 commentaires
  1. « on associe les ombres à l’interaction de la lumière et d’un objet solide »

    C’est faux, d’ailleurs vous le dite plus loin : « On en observe partout dans notre environnement dès que cette dernière est bloquée par un objet plus ou moins opaque, qu’il soit solide, liquide ou gazeux. »

    1. Bonjour @Bob,
      C’est vrai que la formation est maladroite; J’utilisais ici le mot solide comme synonyme de “tangible” ou “matériel”, et vous avez raison de souligner que le terme est inadéquat dans ce contexte. La phrase en question est désormais mise à jour.

      Bien à vous,

Les commentaires sont fermés.

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