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[Critique] La Forme de l’eau – The Shape of Water

Récompensé du Lion d’or à la dernière Mostra de Venise, La Forme de l’eau sort deux ans après un Crimson Peak visuellement impeccable, mais boudé d’une majorité des spectateurs. Qu’on se rassure, Guillermo Del Toro n’a rien perdu de son savoir-faire.

Souvent considérés comme élitiste, certains festivals comme Cannes ou la Mostra sont boudés du très grand public. Cette édition 2017 semble néanmoins lui donner tort, en récompensant des œuvres moins hermétiques que les années précédentes.

C’est le cas de The Square, une comédie (certes dramatique) qui épingle l’attitude de certains donneurs de leçon humanistes, mais aussi de La Forme de l’eau, qui a raflé le prix ultime à Venise. Le mexicain succède à Lav Diaz et à La Femme qui est partie, chronique philippine d’une vengeance s’étalant sur presque quatre heures. Un grand écart qu’il est agréable de souligner, d’autant plus que Guillermo del Toro jouit déjà d’une exposition considérable.

Il faut dire que c’est un caméléon, oscillant entre des œuvres poétiques (L’Échine du Diable, Le Labyrinthe de Pan…) et des blockbusters qui portent toujours la signature de cet infiltré d’Hollywood (Hellboy, Pacific Rim…).

Exercice de style(s)

La Forme de l’eau, qui évoque la romance entre Elisa, une jeune femme muette et solitaire et un monstre amphibien maintenu en cage par le gouvernement, fait définitivement partie de la première catégorie. Quel que soit le type de production, le réalisateur ne cesse pourtant de démontrer ses talents de metteur en scène. Et celui-ci n’échappe pas à la règle.

En ancrant son histoire en plein cœur des sixties, le réalisateur s’écarte de l’aspect gothique auquel il nous avait habitué. La lumière se fait plus chaude dans la demeure d’Eliza, et détonne avec le côté rétrofuturiste du laboratoire dans lequel elle travaille. Le film baigne dans des tons verdâtres qui ne sont pas sans rappeler la bête elle-même, mais aussi des œuvres comme Bioshock ou Fallout.

Préférant les combinaisons en latex aux effets spéciaux numériques, Del Toro crée un monstre (Doug Jones) qui nous ressemble. Clairement inspiré de L’Etrange Créature du Lagon Noir, le costume n’efface jamais complètement les attributs humains de cette dernière, rendant ainsi possible une véritable forme de compassion. Contrairement à ses autres films, Del Toro troque la peur contre l’amour pour arriver à ses fins.

Un choix judicieux, notamment face à ceux qui voient en lui un Tim Burton maudit, enfermé dans la maitrise trop formelle de son style. Une critique formulée depuis ses derniers films, qui privilégiaient clairement la forme sur le fond. Le long-métrage ne tombe pas dans cet écueil, et tisse en filigrane une vision critique de la société américaine de l’époque.

Mélange des genres

Ainsi, et malgré une relation intime pour le moins improbable, le film laisse filtrer des thèmes matures comme le sexe, le machisme ou le racisme. Comme il l’avait fait avec le conflit espagnol auparavant, le réalisateur se sert de la Guerre Froide pour bâtir une atmosphère réaliste autour d’une situation initiale qui ne l’est pas.

Le personnage de Strickland (excellent Michael Shannon), complètement obsédé par la performance, représente bien cette vision patriarcale du pays. En face de lui Eliza (Sally Hawkins) livre une performance subtile et touchante, bien épaulée par l’humour de Zelda Fuller (Octavia Spencer).

Del Toro parachève le tableau en évoquant l’espionnage avec quelques scènes dont la violence détonne d’ailleurs avec le ton léger de la romance principale. C’est en respectant cet équilibre fragile que le mexicain arrive à tirer le meilleur de ces deux films de genre, qui n’ont aucun mal à cohabiter dans un rythme commun.

Il s’autorise même de jolies digressions musicales, mené par un Alexandre Desplat inspiré, sans cacher son admiration pour l’Amérique de Fred Astaire. Cet atmosphère lyrique aide à oublier certains postulats d’écriture pour le moins insolites, qui laissent penser qu’une simple femme de ménage puisse avoir accès à un endroit aussi confidentiel.

Plus qu’une simple relecture de La Belle et la Bête, le long-métrage met en lumière deux individus empêchés par nature à une vie normale en société. L’un pour son aspect physique, l’autre pour son handicap.

Mais contrairement à la figure de King Kong, la créature est cette fois digne d’affection. Réformateur du cinéma fantastique, voilà que Del Toro redistribue les cartes en amour. Une proposition qu’il serait monstrueux de refuser…

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Notre avis

La Forme de l'eau est une oeuvre charmante, à la mise en scène inventive. Avec cette histoire d'amour sans paroles, Del Toro renoue avec une forme de cinéma plus intimiste, qui allie intelligemment éléments dramatiques et historiques. Porté par un casting sans faute, le réalisateur s'amuse à inverser le rapport de prédation stéréotypé du film de monstre, en plaçant la balle au centre. En résulte une romance aussi originale que touchante, où la bête est la belle.

L'avis du Journal du Geek :

Note : 9 / 10
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