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[Gouvernance du web] L’Icann reste dans le giron US jusqu’à fin 2016

L’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) devait progressivement prendre son indépendance de la tutelle américaine. Oui, mais. Gouvernance d’Internet : Washington abandonne l’Icann, c’était…

L’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) devait progressivement prendre son indépendance de la tutelle américaine. Oui, mais.

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Gouvernance d’Internet : Washington abandonne l’Icann, c’était il y a un an. Le gouvernement américain se disait alors prêt à ouvrir la voie à un « processus de transition » et laisser l’Icann voler de ses propres ailes. Lors de son passage à Paris en février 2014, le président de l’institution, Fadi Chehadé, avait alors prôné l’indépendance et l’internationalisation du régulateur, soit le choix d’une gouvernance mondiale d’Internet.

« On doit reconnaître le rôle qu’ont joué les États-Unis dans le développement d’Internet. Mais nous sommes à un point où il faut avancer, sans perturber la stabilité d’Internet. Je pense que les États-Unis vont transmettre leur rôle d’intendant d’Internet à l’ensemble du monde. Et l’Icann devra évoluer, passer d’une société californienne à une société internationale, peut-être basée à Genève », avait alors expliquait Fadi Chehadé.

Depuis, force est de constater que cette fin de tutelle annoncée pour septembre 2015 prend plus de temps qu’escomptée. Dans un message publié sur le site du département américain du Commerce, son secrétaire adjoint Lawrence Strickling annonce ainsi prolonger d’un an le contrat de supervision liant l’administration américaine à l’Icann et en avoir informé le Congrès

Des propos qui viennent confirmer ceux tenus un mois plus tôt par le président de l’Icann, établissant la fin de l’intendance américaine entre juillet et septembre 2016… au mieux !

En effet, si l’Icann a ouvert en début de mois une consultation publique portant sur son projet de transition, pour Washington et après consultation des principaux acteurs, « Il est devenu de plus en plus apparent ces derniers mois que la communauté a besoin de temps pour terminer son travail, avoir le plan examiné par le gouvernement américain, et ensuite le mettre en œuvre s’il est approuvé », a ainsi justifié Lawrence Strickling.

Ajoutant, « Au delà de 2016, nous avons des options pour étendre le contrat pour jusqu’à trois années supplémentaires si nécessaire ».

Fadi Chehade - président de l'Icann
Fadi Chehade – président de l’Icann

L’Icann, créée en 1998 par une directive du Département du Commerce, est chargée de délivrer les noms de domaines tels .com, .fr, .gouv, et récemment .paris. L’Icann a son siège en Californie, elle dépend donc du droit californien en vigueur et en dernière instance du département du Commerce.

Il ne doit pas être aisé de laisser filer ainsi l’Icann, Washington s’est bien dit prêt à ne plus exercer de tutelle à condition que d’autres dispositifs de surveillance soient mis en place. La gouvernance d’internet est un enjeu majeur, plus encore aujourd’hui qu’à sa création en 1998. L’institution est aujourd’hui dépassée par les demandes qui lui sont maintes et qui concernent des menaces autrefois minimes si ce n’est inexistantes : cybercriminalité, spam, phishing (ou hameçonnage), escroquerie, etc.

Une gouvernance mondiale d’Internet est un enjeu politique, certains pays voyant d’un très bon œil cette fin de la mainmise américaine : Russie, Iran ou Chine pourraient vouloir peser dans cette institution qui aura autant de sujets délicats à traiter à l’avenir tels censure, surveillance des internautes, espionnage économique, poids diplomatique, etc.

Le journal Les Échos soulignait alors que « la Russie, l’Iran ou la Chine aimeraient profiter de ce mouvement pour amplifier leur contrôle sur le réseau, voire créer leur propre réseau déconnecté du réseau mondial ». Crainte maintes fois exprimée, notamment par les États-Unis, en indélicatesse (c’est peu dire) avec la Russie et la Chine concernant la cybersécurité.

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Une gouvernance future qui représente également un enjeu économique considérable. Pour s’en rendre compte, rappelons-nous la polémique autour des extensions .vin ou .wine et qui a vu notre secrétaire d’État au Numérique Axelle Lemaire, rejoint par plusieurs pays européens et des viticulteurs du monde entier, prendre position publiquement contre l’Icann dénonçant son « absence d’indépendance » et son opacité institutionnelle.

Elle considérait alors qu’une approche « exclusivement commerciale des questions qui relèvent aussi de l’appartenance nationale et culturelle constitue une dérive, nuit gravement à nos producteurs et remet en cause un acquis communautaire important pour les échanges internationaux. Sur ce sujet, je pense que l’ICANN ne doit pas éviter, par l’édiction de mesures techniques, les nécessaires discussions politiques multilatérales. »

L’Icann voulant en effet offrir au plus offrant, en l’occurrence l’américain Donuts pour 8 millions d’euros, l’extension .vin ou .champagne en faisant fi de toute indication géographique ou appellation d’origine contrôlée (A.O.C.)
Peu après l’ultimatum posé par Axelle Lemaire, mettant en jeu la présence française dans la refonte de l’institution, et l’échec des négociations, la secrétaire d’État déclarait : « l’Icann n’est plus l’enceinte adéquate pour discuter de la gouvernance d’Internet. »

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Un coup de poker gagnant puisqu’après des mois de bataille acharnée et une procédure lancée par la Commission européenne pour faire capoter le deal, Axelle Lemaire a remporté la guerre. Si l’Icann a bien vendu une liste d’appellation à l’américain, cela ne s’est pas fait sans contrepartie : « une liste de noms dont l’usage sera réservé aux détenteurs légitimes d’une appellation géographique a été déterminée », précise le JDN.

Pour Axelle Lemaire, cette victoire n’aurait fait que crisper un peu plus les Américains, pas véritablement transportés à l’idée d’abandonner leur contrôle sur l’institution.

« Les Républicains sont absolument contre la perte de pouvoir de Washington sur l’Icann et ils pourront se servir de l’exemple du .vin pour appuyer leur argumentation selon laquelle les États-Unis ne doivent pas en lâcher la gouvernance. À l’approche des présidentielles, le sujet est très sensible et Hillary Clinton ne se prononcera pas en faveur d’une réforme pour ne pas se mettre à dos le pan le plus à droite des Démocrates. »

Heureusement pour eux, ils ont gagné une année supplémentaire, avant les élections présidentielles prévues pour le 8 novembre 2016. Soit deux petits mois après la fin prévue du contrat de supervision.

S’ils ne le prolongent pas de trois années supplémentaires… « si nécessaire ».

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2 commentaires
  1. Intéressant article et merci pour cette couverture, cependant…l’accord concernant la protection des Indications Géographiques n’est pas public à ce jour et il est fort curieux que personne ne veuille le rendre public. Bien entendu, quelque soit contenu, n’oublions pas que l’objectif est de bloquer/réserver tout nom de domaine en “.vin” et “.wine” pour les représentants des Indications Géographiques – dans le monde. C’est irréalisable et les professionnels du nom de domaine le savent bien, sauf si cela avait été prévu avant le lancement du programme des nouvelles extensions Internet (http://www.circleid.com/posts/project_dotvinum_for_wine_domain_names/ Petite lecture qui date de 2011). Notre chère ministre n’était pas présente à ce moment là.

    Nous connaissons notre chère Ministre pour sa capacité à se féliciter de ses interventions et je suis sûr qu’elle se félicitera quelque soit l’accord trouvé; cependant – pour avoir suivi ce dossier – pas mal de surprises pointent à l’horizon. Par exemple: quid de la protection des noms de domaine associés aux indications géographiques sur les marques de vin Américaines qui viennent d’acquérir leur propre extension Internet?

    A très bientôt?

    🙂

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