Passer au contenu

Une sommité mondiale de l’IA claque la porte d’Apple et part chez DeepMind

Ian Goodfellow, une pointure de l’IA qui a notamment imaginé le concept de GAN, a quitté la Pomme pour pousser cette discipline dans ses retranchements chez DeepMind.

Chaque discipline a ses célébrités, et leurs allées et venues peuvent causer un certain grabuge dans toute une industrie. Et Apple va peut-être en faire l’amère expérience; d’après Bloomberg, elle a récemment laissé filer un véritable sorcier de l’IA à l’origine d’une révolution dans ce domaine qui a filé chez la concurrence avec son équipe de chercheurs de premier plan sous le bras. Et le contexte de ce changement est pour le moins étonnant.

Lorsqu’un professionnel au talent rare décide qu’il est temps de changer d’écurie, c’est souvent un événement qui tient un large public en haleine. Les fans de sport ne le savent que trop bien puisqu’ils sont souvent confrontés à cette situation lors des mercatos.

Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à se rappeler l’arrivée de Lionel Messi au PSG, la frénésie qui a entouré la décision de Kylian Mbappé , ou encore l’immense tempête médiatique générée par le départ de LeBron James lorsqu’il a emmené ses talents de Cleveland à Miami; un coup de tonnerre depuis passé à la postérité sous le nom de The Decision. Et récemment, c’est le monde de l’intelligence artificielle qui vient potentiellement de traverser un épisode comparable avec Ian Goodfellow, un illustre chercheur qui est à peu près aussi célèbre dans son domaine que les superstars ci-dessus.

Une superstar académique au CV bien garni

L’intéressé est une véritable machine de guerre académique. Avec son équipe, ils ont déjà proposé un tas de papiers de recherche qui ont redéfini certains aspects de l’IA jusque dans leurs fondements; il suffit d’un coup d’œil sur le moteur de recherche académique Google Scholar pour s’en rendre compte. À titre de référence, dans la sphère scientifique, l’impact et la portée de certains travaux peuvent être (vaguement) estimés en regardant le nombre de citations, c’est-à-dire le nombre de fois que d’autres études se sont basées sur ces travaux.

Dans la majorité des domaines, quelques centaines de citations dans d’autres travaux constituent souvent un gage de qualité important; cela montre que l’article est non seulement sérieux, mais qu’il a fait avancer la recherche dans son domaine. Dans le cas de Goodfellow, ses trois publications les plus citées (ici, ici, et ici) cumulent à elles seules… plus de 100.000 citations.

Un chiffre absolument démentiel qui en dit long sur son influence déterminante dans le monde de l’IA; chaque jour, des chercheurs aux quatre coins de la planète se basent directement sur ses travaux pour pousser la discipline encore plus loin.

Le père des Generative Adversarial Networks

Si Goodfellow a une telle influence, c’est en partie parce qu’il a été le tout premier à imaginer, puis à concrétiser le concept de Réseaux antagonistes génératifs (Generative Adversarial Network, ou GAN), en 2014. Très sommairement, c’est une variante un peu particulière d’un réseau neuronal standard – ces enchevêtrements d’unités logiques qui servent de support à ce qu’on appelle communément “intelligence artificielle”.

Le concept était tout simplement révolutionnaire lorsqu’il a été présenté en 2014. Ces GANs ont la particularité de comporter deux sous-réseaux qui sont placés en compétition – d’où le terme “adversarial”. Le premier, dit “générateur”, produit un échantillon avec l’objectif de faire croire à son adversaire – le “discriminateur” – qu’il s’agit d’une vraie image. Au fil des itérations, le discriminateur devient de plus en plus difficile à berner. Le premier doit donc produire des résultats de plus en plus convaincants, jusqu’à arriver à un stade où les humains sont bien incapables de faire la différence.

Un schéma du concept de GAN. © Google Developers

C’est une approche qui a provoqué une petite révolution en IA; désormais, plus besoin de peaufiner chaque itération jusque dans les moindre détails. Avec un GAN, le discriminateur se charge par définition de faire un tri en amont, ce qui facilite grandement la vie aux chercheurs dans certains domaines et permet de produire des résultats incroyables lorsqu’il s’agir de générer une image ou un morceau de musique.

Pour cette raison, on les retrouve aujourd’hui dans de nombreuses applications liées à l’art. Tous ces visages photoréalistes générés par l’IA que vous avez probablement déjà croisés sur Internet sont par exemple le fruit d’un GAN comme GauGAN, la stupéfiante IA artistique signée Nvidia. (voir notre article). Et cette technologie ne concerne pas que l’art et les deepfakes. Ses grands préceptes sont aussi exploitables dans des domaines comme les neurosciences, la recherche pharmaceutique…

Un départ pour cause de… télétravail

Autant dire que le génie à l’origine de ce concept a rapidement été très courtisé par les titans de l’industrie. Il s’est offert des débuts en grande pompe en rejoignant successivement les laboratoires de Google Brain, OpenAI, puis Google Research. Il a ensuite viré de bord en devenant le directeur du puissant département Machine Learning d’Apple, avec les résultats que l’on connaît.

Évidemment, il serait injuste de lui attribuer l’intégralité du succès d’Apple sur ce segment; la Pomme disposait déjà d’excellents ingénieurs et de bases logistiques solides. Mais l’arrivée de Goodfellow a tout de même pesé lourd. Ce n’est pas un hasard si la firme fait aujourd’hui partie des leaders mondiaux sur le terrain de l’optimisation du hardware grâce à l’IA.

Mais contre toute attente, cette idylle a pris fin en avril dernier pour des raisons pour le moins curieuses. En effet, si l’intéressé a plié bagage, ce n’est pas pour une question de salaire ou de projet; c’est tout simplement parce qu’il a refusé tout net de suivre la politique de retour au travail présentiel mise en place par Apple dans un contexte de ralentissement de la pandémie de Covid-19.

Télétravail réfléchir ordinateur
Un désaccord autour du télétravail serait à l’origine de ce départ. © Andrea Piacquadio – Pexels

Y avait-il d’autres raisons sous-jacentes ? C’est fort probable, car il semble tout simplement inconcevable de sacrifier une telle pointure sur l’autel d’une telle politique. Surtout dans un domaine comme l’IA où le télétravail est parfaitement gérable.

Pour refaire le parallèle avec le monde du sport, c’est un peu comme si un finaliste de ligue des champions laissait filer volontairement un Ballon d’Or potentiel en pleine phase finale de Ligue des Champions sous prétexte qu’il se serait assis du mauvais côté du vestiaire; c’est une explication surprenante qui suggère qu’il y anguille sous roche.

Cap sur l’IA généraliste ?

Mais quel que soit le fond du problème, le résultat est le même : Goodfellow n’est plus un employé d’Apple et a immédiatement été sollicité de toute part. D’après Bloomberg, il a fini par atterrir chez DeepMind, un autre membre du gotha mondial de l’IA géré par Alphabet, la maison-mère de Google. Pour le séduire, elle lui a très probablement laissé carte blanche sur le télétravail; mais il ne fait aucun doute qu’elle a aussi avancé d’autres arguments très alléchants.

Nous ne savons pas encore exactement sur quoi travaillera Goodfellow chez DeepMind. Pour rappel, l’entreprise s’attaque à des champs d’applications très divers, où elle propose souvent des travaux assez révolutionnaires. On peut citer AlphaFold, une base de données produite en juillet 2021 qui a déjà redéfini la biologie structurelle (voir notre article). En revanche, il y a peu de chances que Goodfellow travaille sur ces projets assez spécialisés. Il poursuivra probablement l’objectif sur le long terme de DeepMind.

© geralt – Pixabay

Pour rappel, la firme cherche à développer une IA dite “généraliste”, par opposition aux réseaux neuronaux spécialisés qui existent aujourd’hui. Un tel système serait ainsi capable d’aborder des problèmes trop complexes pour le cerveau humain, avec une véritable révolution sociétale à la clé. DeepMind a d’ailleurs présenté des progrès dans ce sens très récemment avec son système Gato, même si le terme d’IA “généraliste” reste à prendre avec des pincettes (voir notre article).

La promesse de travaux recherche fondamentale à la portée exceptionnelle, avec une philosophie assez différente de celle d’Apple qui met surtout l’IA au service de l’optimisation du hardware et de l’expérience utilisateur. Le genre d’argument auquel des spécialistes très avancés comme Goodfellow ne sont probablement pas indifférents. C’est donc une union qui semble tomber sous le sens entre un grand spécialiste de la discipline et un titan de l’IA à l’appétit démesuré.

Ce changement d’écurie qui pourrait donc avoir des conséquences importantes d’ici quelques années. Ces mouvements sont certes fréquents dans le monde de la Big Tech, mais ce n’est pas tous les jours qu’un poids lourd de ce calibre change de camp. Il s’agit assurément d’une superbe prise pour une institution qui fait déjà partie du gotha mondial, et par extension d’une sacrée perte pour Apple. La firme pourrait bien s’en mordre les doigts si l’intéressé finit par contribuer au développement des premières IA généralistes… et tout ça pour une vulgaire histoire de présence physique.

🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.

Source : Bloomberg

5 commentaires
  1. On a rarement plusieurs bonnes idées novatrices.
    Généralement on peaufine son idée originale.

  2. C’est plus pour le défi de l’IA généraliste je pense . Les ingénieurs d’apple et de google sont les mêmes car ils passent leur temps à yoyoter entre les deux boites.
    Le reste la différence entre apple et google c’est juste une politique commerciale, un traitement différent(e) envers le client.

  3. – Vous quittez l’entreprise en si bonne voie ?
    – Boah c’est pas si grave !

    Ian Goodfellow (sifflements)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *