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Espace : un échange de « prisonniers de guerre » entre la Russie et Arianespace ?

Les deux agences discutent d’un éventuel échange entre des victimes collatérales de la guerre en Ukraine.

La guerre en Ukraine continue de faire rage et de miner les relations internationales un peu plus chaque jour. Cela vaut aussi pour l’aérospatiale. Car depuis le début de l’invasion russe, la collaboration autrefois productive entre Roscosmos et Arianespace, qui a conduit à certains des plus grands secrets de l’aérospatiale européenne, a pris du plomb dans l’aile ; les anciens partenaires discuteraient en ce moment d’un « échange de prisonniers » pas comme les autres.

L’un des deux protagonistes de cette affaire, c’est le lanceur Soyouz. C’est un appareil certes vieillissant (sa conception remonte aux années 50-60), mais qui a affiché une fiabilité assez exemplaire depuis de très longues années. Il s’est donc imposé comme l’un des principaux chevaux de trait de l’aérospatiale européenne. On doit à Soyouz la mise en orbite d’un nombre phénoménal de satellites, des tas de voyages vers l’ISS…

Dans le cadre de la collaboration avec Arianespace, bon nombre de ces lanceurs décollaient de la base de Kourou, en Guyane française. Cette dynamique a malheureusement pris fin avec la rupture quasi totale de la coopération entre les deux agences, qui ne collaborent quasiment plus, excepté dans le cas de l’ISS ou une coopération partielle a été maintenue.

Un Soyouz et 36 satellites OneWeb veulent rentrer chez eux

Cette prise de distance, on la doit en grande partie à l’hostilité non dissimulée de Dmitriy Rogozine, l’ancien patron de Roscomos, En Mars, environ un mois après le début de l’invasion, il a rappelé des dizaines de spécialistes russes qui officiaient à Kourou. Ces derniers ont promptement fait leurs valises en laissant derrière eux des documents, du matériel… et surtout des étages de lanceur entiers.

Arianespace a donc préparé ces éléments dans l’objectif de les renvoyer en Russie. Mais les relations ont continué de se détériorer sous les coups de boutoir du directoire russe, et l’occasion ne s’est jamais présentée. Résultat, le Soyouz s’est transformé en prisonnier de guerre, et Arianespace en est devenue la geôlière malgré elle.

On assiste également à une situation comparable de l’autre côté du globe. En effet Roscosmos avait été mandatée pour la mise en orbite de la 14e série de la constellation OneWeb, l’équivalent britannique des satellites web Starlink de SpaceX. Tout ce matériel devait être lancé en mars 2022 à bord d’un Soyouz depuis le cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan.

Comme on pouvait s’y attendre, Rogozine a donc sauté sur l’occasion. En pleine croisade anti-européenne, il a adressé un ultimatum à ses collaborateurs en publiant une longue liste d’exigeances déraisonnables.

Suite au refus attendu du contingent européen, il a ordonné la suspension du vol et la saisie des satellites jusqu’à nouvel ordre. Aujourd’hui, les engins sont toujours en possession du contingent russe.

Le nouveau patron de Roscosmos se montre plus ouvert

Ce nouvel excès de zèle a continué d’enfoncer le clou dans le cercueil des relations entre Arianespace et Roscosmos. Même Vladimir Poutine, pourtant maître en la matière, était apparemment fatigué par ces provocations en série. Et le 15 juillet 2022, le couperet est tombé : Rogozine a été prié de faire ses valises et de laisser son fauteuil à Iouri Borissov, un ancien militaire et ingénieur beaucoup plus discret — et accessoirement compétent, Rogozine n’ayant pas de vraie formation technique.

Il est assez difficile de juger le début de son mandat dans le contexte actuel. Mais depuis son entrée en fonction, il s’est montré nettement plus délicat, diplomate et pragmatique que son prédécesseur. D’après RussianSpaceWeb, l’une de ses premières décisions a été de relancer la discussion avec Arianespace autour des satellites OneWeb. Une issue dont Rogozine ne voulait même pas entendre parler.

Une source anonyme a indiqué à ce même média qu’un semblant de négociation avait même débuté. L’état-major d’Arianespace explorerait en ce moment l’idée d’un accord avec Roscosmos pour réaliser ce qui serait, en substance, un échange de « prisonniers de guerre ». L’idée serait de troquer les éléments de Soyouz toujours coincés à Kourou contre les satellites OneWeb cloués au sol par Rogozine.

RussianSpaceWeb indique que Borissov serait ouvert à l’idée. Le cas échéant, il s’agirait d’une excellente nouvelle pour le futur des relations entre les deux agences. Mais cet échange de bons procédés pourrait être remis en question par des facteurs indépendants de leur volonté.

En effet, même si le canal diplomatique semble désormais rouvert, on ne peut pas en dire autant des chaînes logistiques. Le transfert de ce type de matériel ne s’improvise pas et nécessite de gros moyens. Pour rapatrier son Soyouz en Russie, Roscosmos devrait dépêcher de très nombreux spécialistes et du matériel directement sur place.

Des obstacles logistiques considérables

Le problème, c’est que ces personnes devraient nécessairement obtenir un visa. Or, la délivrance de ces documents a été suspendue à cause de la crise internationale (voir ce billet du gouvernement). Et ce n’est que le premier obstacle. Car pour rallier St Petersbourg depuis le port de Cayenne, il faut parcourir plus de 8000 kilomètres par la mer. Cela implique de traverser les eaux territoriales de nombreux états. Et connaissant l’isolement actuel de la Russie sur la scène internationale, organiser un tel voyage sera tout sauf une partie de plaisir.

RussianWebSpace explique que du côté OneWeb, plusieurs pistes ont déjà été explorées. Mais dans tous les cas, il faudrait également dépêcher une équipe de spécialistes sur place. Et là encore, cela semble difficilement envisageable dans le contexte actuel. Voire même impossible si Arianespace ne renvoie pas les éléments de Soyouz en retour. Il ne faut donc pas s’attendre à une évolution rapide. Il est tout à fait possible que la situation ne se décante pas avant la fin du conflit. Et cela ne semble pas être à l’ordre du jour du côté du Kremlin.

Au moins, on peut se satisfaire du fait que le nouveau patron de Roscosmos ait accepté de discuter du problème. Avec un peu de chances, cela permettra de repartir sur des bases saines une fois la guerre terminée. Et accessoirement, ça sera aussi l’occasion de tourner la page Rogozine une bonne fois pour toutes, après cette période peu glorieuse pour une institution aussi prestigieuse que Roscosmos.

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