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Deux formes de vie ont fusionné lors d’un événement évolutif rarissime

Des chercheurs estiment avoir trouvé un nouvel exemple d’endosymbiose primaire, un événement évolutif très rare qui a déjà complètement transformé la vie sur Terre il y a des centaines de millions d’années. Une découverte qui pourrait un jour déboucher sur une révolution de l’agriculture.

Des chercheurs ont récemment réussi à conclure une quête scientifique de longue haleine en confirmant un nouvel exemple d’un événement extrêmement rare dans l’histoire de l’évolution, durant lequel deux formes de vie distinctes se sont unies pour ne faire qu’un. Une découverte qui pourrait complètement transformer la manière dont les humains produisent leur nourriture.

Le processus en question est appelé endosymbiose primaire. Il survient lorsqu’un organisme microscopique en absorbe un autre et commence à l’utiliser comme un organite, une sous-unité cellulaire ultraspécialisée que l’on peut assimiler aux organes internes des mammifères. Ce sont des événements très rares ; à ce jour, nous n’en avons trouvé que quelques exemples majeurs dans les 4 milliards d’années d’existence de la vie sur Terre. Mais ils sont aussi exceptionnellement importants, car chacun d’entre eux a joué un rôle absolument déterminant dans cette grande épopée biologique.

Des événements qui ont façonné la vie

La première occurrence a eu lieu il y a un peu plus de deux milliards d’années, lorsqu’une archée, un microorganisme unicellulaire procaryote, c’est-à-dire dépourvu de noyau et d’organites, a assimilé un autre microbe qui a fini par devenir la mitochondrie. Une véritable révolution évolutive, puisque cet organite est considéré comme la « centrale énergétique » qui alimente la quasi-totalité des cellules eucaryotes constituant les animaux, les végétaux et les champignons modernes. En d’autres termes, tout indique que cet événement a directement conduit à l’émergence de la vie complexe telle qu’on la connaît aujourd’hui.

Les chloroplastes, qui permettent aux plantes vertes de réaliser la photosynthèse, sont également nés d’une endosymbiose. © Ali Shah Lakhani – Unsplash

La seconde échéance, survenue il y a un peu plus d’un milliard d’années, a également transformé notre planète en profondeur. C’est à cette époque que des hôtes auraient assimilé des cyanobactéries. Ces petites bêtes ont elles-mêmes joué un rôle crucial dans l’histoire de la vie, car il s’agit des tout premiers organismes terrestres capables de produire de la matière organique à partir de la lumière du Soleil, d’eau et de dioxyde de carbone : on parle de photosynthèse.

Au fil du temps, cette cyanobactérie internalisée est devenue ce qu’on appelle aujourd’hui le chloroplaste, l’organite qui permet à toutes les plantes vertes actuelles de réaliser cette photosynthèse. Avec tout ce que cela implique pour le reste du vivant.

Désormais, des chercheurs de l’Université de Berkeley, aux États-Unis, estiment avoir confirmé qu’une troisième endosymbiose primaire est en train de se dérouler sous nos yeux.

La fixation de l’azote, moteur du vivant

Les fondations de cette découverte ont été posées en 1998. À cette époque, deux équipes de chercheurs japonais et américains travaillaient sur une algue baptisée Braarudosphaera bigelowii. Il s’agit d’une espèce très particulière, car elle est dotée d’un véritable superpouvoir : la fixation de l’azote.

Ce terme désigne un processus biochimique qui permet d’extraire l’azote de notre atmosphère pour le stocker sous différentes formes utilisables par les êtres vivants, notamment l’ammoniac (NH3). C’est donc un mécanisme exceptionnellement important pour la vie telle qu’on la connaît. En effet, l’azote est un composant clé des acides aminés et des protéines, des briques fondamentales à partir desquelles toutes les formes de vie connues sont construites. Il entre aussi dans la composition des bases azotées des acides nucléiques (l’ADN et l’ARN), qui ont la lourde responsabilité de conserver et de transmettre l’information génétique.

Cycle Fixation Azote
Un schéma du cycle de l’azote, une composante cruciale de la vie sur Terre. © Architetto Francesco Rollandin / Danny Allen / Nojhan – Wikimedia Commons

Pour se procurer cette ressource, la quasi-totalité des êtres vivants se repose essentiellement sur des bactéries. Les algues, et plus largement les plantes, ne sont généralement pas capables de réaliser cette fixation de l’azote — d’où l’intérêt des chercheurs pour Braarudosphaera bigelowii.

Au début du millénaire, des biochimistes américains qui exploraient l’origine du superpouvoir de cette algue ont mis la main sur la première pièce du puzzle : une courte séquence d’ADN qui, à première vue, n’avait rien à faire chez Braarudosphaera bigelowii. En remontant la piste, l’équipe dirigée par Jonathan Zehr a déterminé qu’elle provenait d’une mystérieuse cyanobactérie baptisée UCYN-A.

Du symbiote à l’organite

Malheureusement, cette algue est particulièrement difficile à cultiver en laboratoire. Pour pousser ces travaux plus loin, il a fallu attendre qu’une autre équipe, cette fois japonaise, réussisse à développer une méthode efficace. Cela a demandé plus de dix ans de travail, mais le jeu en valait la chandelle. Cela a enfin permis aux chercheurs d’étudier UCYN-A, et de confirmer qu’elle était effectivement à l’origine de la capacité de l’algue à fixer l’azote.

À ce stade, les biochimistes étaient convaincus qu’il s’agissait d’un exemple de symbiose, où deux espèces distinctes développent une relation intime bénéfique à au moins un des deux partenaires. Il en existe des tas d’exemples dans la nature. On peut citer les célèbres collaborations entre les fourmis et les pucerons, ou entre les poissons-clown et les anémones. D’autres reposent sur des champignons qui étendent le système racinaire des plantes pour augmenter leur capacité à absorber l’eau et les nutriments, et récoltent en échange certains produits de la photosynthèse. On parle de mycorhizes.

Poisson Clown
Un poisson-clown réfugié dans une anémone. Les deux espèces entretiennent une relation symbiotique. © David Clode – Unsplash

De la même façon, certaines de ces symbioses tournent justement autour de l’azote. Certaines plantes, notamment chez les légumineuses, forment des partenariats avec des bactéries spécialisées dans la fixation de l’azote. Les chercheurs pensaient donc que Braarudosphaera bigelowii avait mis en place une symbiose de ce genre avec UCYN-A.

Mais plus récemment, Zehr et son équipe ont montré que cette relation est en fait beaucoup plus poussée qu’on ne le pensait jusqu’à présent. Les deux espèces sont liées de façon particulièrement intime aux niveaux structurels et physiologiques. “C’est exactement ce qui se passe avec les organites comme les mitochondries et les chloroplastes”, expliquait alors le chercheur. Une nouvelle question ô combien excitante a alors émergé : pourrait-il s’agit d’un véritable organite à part entière ?

La réponse est finalement arrivée grâce à une équipe internationale de chercheurs qui a prouvé que le processus de division et de réplication d’UCYN-A est parfaitement synchronisé avec celui des cellules de l’algue. Par conséquent, on ne peut même plus parler de deux espèces distinctes, et il ne s’agit pas d’une simple symbiose : UCYN-A est un nitroplaste, un vrai organite à part entière. Et cela implique que nous avons bel et bien affaire à un nouvel exemple d’endosymbiose primaire.

Et si nous n’avons largement pas assez de recul pour déterminer si elle va avoir autant d’impact sur la trajectoire du vivant que les deux précédentes, cette découverte pourrait tout de même avoir des retombées énormes à moyen terme. Au-delà de son intérêt en science fondamentale, elle pourrait en effet transformer l’agriculture.

Une piste pour transformer l’agriculture

L’humanité a longtemps eu énormément de mal à reproduire la capacité des bactéries à fixer l’azote pour produire des engrais capables d’accélérer la croissance des cultures. Pendant des décennies, toute cette industrie dépendait entièrement de la collecte du guano, des amas de déjections d’oiseaux riches en ammoniac. Or, il s’agit d’une ressource relativement rare. Il fallait impérativement trouver une solution alternative pour permettre à l’humanité de se sustenter sur le long terme.

La révolution est arrivée en 1909 avec le chimiste allemand Fritz Haber, le père de ce qu’on appelle le procédé Haber. Grâce à de nouveaux catalyseurs, il a enfin permis de produire de l’ammoniac à très grande échelle à partir d’hydrogène et de gaz d’azote. Une découverte qui a eu des implications monumentales à bien des niveaux.

Pour commencer, cela a permis à l’humanité d’augmenter énormément le rendement des cultures, ce qui s’est manifesté par une explosion de la population. Aujourd’hui encore, plus de la moitié de la production mondiale de nourriture repose aujourd’hui sur ce processus. En un sens, on peut donc considérer qu’Haber est directement responsable de l’existence de plusieurs centaines de millions d’humains.

Agriculture
© Dan Meyers – Unsplash

Mais tout n’est pas rose dans cette histoire. Elle comporte notamment un autre chapitre particulièrement sombre. Car en fervent patriote, Haber a notamment utilisé sa nouvelle trouvaille pour développer des armes chimiques abominables. Une initiative qui a coûté la vie à des millions de personnes pendant la Première Guerre mondiale, et terni son héritage à tout jamais.

Au-delà de cet épisode fascinant, mais très sombre de l’histoire des sciences, la découverte d’Haber a aussi une autre conséquence dont nous faisons toujours les frais aujourd’hui. En effet, son processus (aujourd’hui appelé Haber-Bosch) génère aussi de grandes quantités de dioxyde de carbone ; on estime qu’environ 1,5 % des émissions mondiales de CO2 proviennent de la production d’ammoniac. Pas franchement idéal dans le contexte climatique actuel.

Les chercheurs essaient donc tant bien que mal de trouver d’autres manières de produire de l’ammoniac. Et c’est là que ces travaux sur l’endosymbiose deviennent particulièrement intéressants : ils offrent une toute nouvelle perspective sur la fixation de l’azote. Selon les auteurs, cette découverte pourrait ouvrir la voie à une méthode d’ingénierie génétique pour intégrer ce fameux organite à d’autres espèces de plantes.

Nous en sommes encore très loin, et pour l’instant, cela relève encore de la science-fiction pure. Mais le cas échéant, il pourrait s’agir d’une véritable révolution agricole, car cela permettrait de doper massivement la productivité des cultures sans dépendre du procédé Haber. Il ne reste plus qu’à patienter quelques décennies pour voir si cette idée potentiellement révolutionnaire finira par se concrétiser un jour.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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