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Comment l’être humain et les animaux peuvent être liés dans la maladie

Les recherches scientifiques actuelles s’accordent sur le fait que le coronavirus du COVID-19 nous a été transmis par la rencontre de deux espèces animales. Cette rencontre a néanmoins été probablement forcée par l’être humain lui-même. Comment la santé humaine peut-elle être ainsi liée à celle d’autres animaux ? Une spécialiste du sujet nous l’explique.

Des vétérinaires et virologues découvrent régulièrement de nouveaux virus inconnus chez des espèces de chauve-souris en Asie (Crédits : Smithsonian’s National Zoo / YouTube).

Dans le contexte d’une pandémie, malgré la vision autocentrée qui souvent le gouverne, l’être humain n’est pas juste seul contre un virus. Quoiqu’en disent les “fake news” sur son origine (qu’il soit provoqué par les nouvelles fréquences d’onde 5G ou proviennent d’un accident de laboratoire), le coronavirus du COVID-19 est bien d’origine naturelle. Le coronavirus SARS-CoV-2 n’existerait pas sans avoir rencontré plusieurs espèces animales sur son chemin. Ce fait doit rappeler que l’être humain n’est qu’une autre espèce animale parmi d’autres que ce virus est capable d’infecter.

Cependant, la faute n’est pas à rejeter à nos congénères sauvages qui nous l’ont transmises. Il ne suffit pas de les éradiquer pour l’éradiquer lui, bien au contraire. Une plus grande diversité d’espèces dilue les chances qu’un virus s’attaque préférentiellement à nous. De plus, l’être humain possède une part non-négligeable de responsabilités dans l’émergence de cette pandémie à travers son action perturbatrice sur les écosystèmes naturelles. Coralie Martin, chercheuse en parasitologie pour l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, nous a tout (ou presque) expliqué : en réalité, tout est connecté.

Quésaco zoonose ?

Pour comprendre comment la santé de l’espèce humaine peut être attachée très concrètement à celle d’autres espèces animales, il faut d’abord s’arrêter sur la notion de “zoonose”. Ce phénomène s’observe lorsqu’une maladie franchit la barrière biologique entre les espèces et se transmet d’une espèce spécifique à une autre et donc par extension, éventuellement, à l’être humain (Homo sapiens). Les virologues qualifient un agent infectieux de “zoonotique” “lorsqu’il contamine, par exemple, l’homme alors que normalement il n’est pas censé être dans son spectre d’hôtes”, précise Coralie Martin. En effet, un agent infectieux parvient à vivre en exploitant, d’une façon ou d’une autre, les ressources biologiques d’un ou plusieurs hôtes appartenant à autant d’espèces différentes. Il peut se présenter sous la forme d’un ver parasite comme le Ténia, d’une bactérie comme Escherichia coli ou d’un virus comme le coronavirus du COVID-19. Certains sont plus ou moins pathogènes que d’autres et rendent certains de leurs hôtes plus malades que d’autres. Comme le souligne la parasitologue, “il n’y a pas d’animal qui ne soit pas porteur d’un pathogène. Nous sommes tous hébergeurs d’un ou plusieurs agents infectieux, y compris nous.” D’après certains chercheurs, il existerait encore 1,6 millions d’espèces virales inconnues chez les mammifères et les oiseaux, dans la faune sauvage – sans compter sur les autres micro-organismes qu’ils sont capables de nous transmettre avant que nous ne les transmettions les uns les autres nous-mêmes.

Ce phénomène de zoonose peut paraître inquiétant lorsqu’il produit un virus chimérique (c’est-à-dire, issu de recombinaisons génétiques au fil de son adaptation chez différentes espèces) inconnu et mortel comme le coronavirus SARS-CoV-2. Néanmoins, il n’est pas rare et est même à l’origine de la grande majorité des épidémies, voire des pandémies, connues à ce jour. Les trois pandémies dites permanentes, encore à l’œuvre actuellement, proviennent toutes à l’origine de transmissions zoonotiques : la tuberculose, apparentée à la tuberculose bovine engendrée par la bactérie Mycobacterium bovis, le paludisme, induit par le protozoaire Plasmodium dont le moustique est un vecteur et le VIH, ou virus du SIDA, qui proviendrait de plusieurs espèces de grands singes du Cameroun. Dans ces trois cas, ainsi que dans celui du COVID-19, l’émergence de ces pandémies ne proviennent que d’une chose : “des contacts plus étroits entre la faune sauvage et la population humaine qui créent des possibilités plus fortes de transmission.”

L’humain, au service de ses propres pandémies ?

Ces rapprochements entre l’être humain et la faune sauvage ne sont pas le fruit d’une simple rencontre entre deux individus d’espèces différentes. Le plus souvent, ils sont la conséquence d’un élargissement territoriale des activités humaines et de la dégradation d’habitats naturels qui suit. A mesure que la population humaine augmente, ses besoins en ressource et en logement s’accentuent. Pour les satisfaire, certaines populations se voient obligées d’aller extraire des ressources dans la nature ou “de faire de la place” en optant pour la déforestation de zones sauvages. Ces situations les entraînent à rentrer pour la première fois en contact avec la faune sauvage locale et les pathogènes qu’elle porte. Cette promiscuité inédite accroît considérablement les risques de zoonose mais surtout perturbe les écosystèmes établis en y insérant une espèce qui n’y a normalement pas sa place. “Si on touche à un phénomène naturel ou à un paramètre dont la biodiversité dépend, on la déséquilibre, remarque Coralie Martin. Cette intervention humaine provoque des effets de cascade sur les populations qui en sont responsables et entraîne par la suite des conséquences inattendues et souvent dangereuses.”

Cette intrusion dans un écosystème jusque là vierge d’interactions avec l’être humain peut se formuler de diverses façons. Dans le cas du COVID-19, la communauté scientifique s’accorde actuellement sur le fait que la vente d’animaux sauvages vivants au marché de Wuhan, en Chine, est très probablement à l’origine de l’adaptation et de la transmission d’un coronavirus spécifique à la chauve-souris Rhinolophe (Rhinolophus affinis) à l’être humain. La promiscuité d’espèces animales étrangères les unes aux autres a permis le “passage fortuit” du coronavirus de chauve-souris RaTG13 au pangolin malais (Manis javanica) où le virus s’est recombiné pour être, par l’effet du hasard des rencontres, suffisamment adapté pour infecter une troisième espèce, l’être humain. Sans le désir humain de braconner puis de vendre différentes espèces en un même lieu, cette transmission zoonotique ne se serait peut-être jamais produite. Et il en va de même pour la pandémie qui a suivi. L’intensification drastique du transport de marchandises et de déplacement des personnes d’un coin à l’autre du globe, devenue la norme dans la société moderne, n’a pas aidé non plus. Idem dans le cas de l’élevage intensif ou semi-intensif qui donne à des virus étrangers le véritable bouillon de culture dont ils ont besoin pour muter rapidement et, parfois, contaminer l’être humain. C’est notamment ce qui a donné naissance au virus H5N1 de la grippe aviaire dans les années 2000.

Malgré la pandémie, le braconnage et le trafic de pangolin continuent : 9,5 tonnes d’écailles de pangolin auraient été saisies en janvier au Nigeria (Crédits : Adam Tusk / Flickr).

L’augmentation des risques de transmissions zoonotiques et de pandémies peut aussi être induite de manière plus indirecte par l’activité humaine. Le rôle du réchauffement climatique sur notre santé a aussi sa part de responsabilité. Comme le souligne la parasitologue, l’augmentation des températures globales “peut avoir un effet sur la répartition d’animaux porteurs de pathogènes.” Certaines régions exemptes d’espèces vectrices de maladie deviennent plus facilement accueillantes pour elles. Leur zone de répartition augmente avec cette hausse de température et le changement climatique régional. C’est ainsi que des arthropodes hématophages (qui sucent le sang d’autres animaux pour vivre), comme le moustique-tigre ou la tique dure (ou Ixode) lesquels sont respectivement vecteur du paludisme et de la maladie de Lyme, se prélassent désormais bien au-delà de leur habitat naturel et rentre en contact avec des populations humaines vulnérables. “A l’époque de la construction du château de Versailles, la température atteignait des records et les ouvriers mourraient du paludisme en France, rappelle la chercheuse. Jusqu’à son éradication grâce à des campagnes massives de démoustication au DDT (qu’on n’emploierait plus aujourd’hui et à juste titre) dans les années 1960, il était impossible de sortir l’après-midi dans certaines régions comme le Languedoc-Roussillon durant les étés les plus chauds.” Preuve en est, la santé de l’espèce humaine est dépendante de la santé de la biodiversité et la santé de la planète. Plus ces deux dernières sont mises à mal ou perturbées et plus notre propre santé en pâtit.

Le concept “One Health”

Dans sa chanson “Effets secondaires” s’adressant à l’humanité en réaction à la pandémie de COVID-19, le slameur Grand Corps Malade n’a pas peur de clamer : “la nature fait sa loi en reprenant ses droits, se vengeant de notre arrogance et de notre mépris.” A sa façon, il rappelle que ce combat sanitaire que notre civilisation affronte n’a en vérité pas l’humain contre le virus pour affiche. Malgré la vision peut-être excessivement autocentrée de la société humaine, le coronavirus SARS-CoV-2 à l’origine de cette crise sanitaire n’est pas qu’un simple adversaire contre lequel elle doit lutter. Si elle le traite ainsi, aussitôt sera-t-il éradiqué qu’un autre viendra, plus tard, prendre sa place. Comme, d’ailleurs, il a lui-même succédé au SARS-CoV, premier du nom, de 2003 et au MERS-CoV de 2012.

Selon la communauté scientifique et médicale, pour apprendre à maîtriser et limiter les effets dévastateurs de telles virus zoonotiques, l’humanité doit les considérer dans un contexte plus large, retrouver sa position d’espèce animale parmi d’autres et prendre conscience de sa responsabilité en tant que telle envers ses congénères. Cette idée, que pour soigner l’humanité il faut d’abord penser à soigner la nature tout entière, est portée par un groupe de chercheurs, de médecins et de vétérinaires derrière le concept “One Health”. Coralie Martin en est l’une de ses ferventes supportrices. “C’est une façon plus globale de concevoir notre réflexion sur la propagation des maladies infectieuses, explique la parasitologue. Il permet d’avoir une vision suffisamment large, qui dépasse les frontières.” Depuis environ quatre ans, cette méthode de réflexion fédère l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pour discuter des solutions environnementales à apporter en matière de santés humaine et animale. Cette alliance autour d’une même vision des choses ne permet pas seulement d’accélérer la recherche médicale et épidémiologique en temps de pandémie, en débloquant des fonds de financement en urgence comme à l’heure actuelle. Elle peut aussi donner la possibilité d’étudier de plus près les relations entre l’humain et l’animal à travers le monde et de trouver un moyen de les empêcher d’engendrer des conséquences néfastes pour l’un et l’autre.

Le concept “One Health” a un grand potentiel qu’il tarde aux chercheurs de pouvoir réaliser. “Il pourrait rassembler plus de professionnels dans le but de décrypter la complexité des cultures et du contexte environnemental sur le terrain”, souligne Coralie Martin. Malgré la pertinence de cette idée, il n’advient qu’aux instances gouvernementales de la mettre en vigueur. Comme le remarque la chercheuse, “sans décision politique forte, ça ne peut pas fonctionner. Le COVID-19 a permis de faire ressortir le rôle de la relation humain-animal dans l’émergence du pandémie et a produit un appel d’air qui a poussé la Chine à limiter le trafic d’animaux sauvages sur son territoire afin de réduire les risques de transmission zoonotique.” Cette nécessaire goutte d’eau sur l’échiquier géopolitique et écologique pourra peut-être inciter le reste du monde à changer les choses … avant que la pandémie suivante n’émerge.


Pour en savoir plus et explorer d’autres exemples sur le sujet, retrouvez Coralie Martin sur le podcast du Muséum national d’histoire naturelle, Pour que nature vive :

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