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En quoi le catch est-il lié à la culture geek ?

Avec ses personnages super-héroïques, leurs aventures dignes d’un manga et leurs combats tous droits sortis d’un jeu-vidéo, le catch a tout pour plaire aux geeks et faire légitimement partie de leur culture. Des geeks de métier, fans de catch et catcheurs nous expliquent pourquoi.

La Tech, les films de genre, la science, les jeux-vidéo, les comics, les mangas, les figurines, les jeux de rôle : les geeks ne sont jamais à court d’un sujet à décortiquer ou d’un médium avec lequel interagir. Insatiables, ils restent toujours prêts à se plonger corps et âme dans un nouveau domaine lié, de près ou de loin, à ces derniers. Alors, à cette liste toujours croissante, pourquoi ne pas en rajouter un nouveau : le catch ?

Des geeks de métier – qu’ils soient développeurs vidéoludiques, enseignants en école de jeu-vidéo, chercheurs, artistes ou vidéastes – et fans de catch confirmés font équipe avec des catcheurs, aux goûts particulièrement geeks, pour y répondre. Ensemble, ils nous ont expliqué en quoi le catch non seulement peut plaire aux geeks mais aussi, par nature, pourrait même faire partie de la culture geek au sens large.

Une lutte de définitions

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut d’abord s’atteler à définir ce qu’est le catch et ensuite ce que geek veut dire – deux termes qui ont été (et parfois, sont encore) victimes de lourds préjugés et de leur histoire. Le dictionnaire Larousse, par exemple, décrit encore aujourd’hui le catch comme une “sorte de lutte libre où la plupart des prises sont permises.” Cette définition semble en effet dater du temps où le catch était encore considéré comme un sport légitime, au début du siècle dernier. Si le terme anglo-saxon, “professional wrestling” (ou “lutte professionnelle”), est effectivement issu de cette parenté ancestrale avec la lutte amateure, ce qu’il signifie désormais n’a plus grand-chose à voir avec la lutte sportive pratiquée par exemple aux Jeux Olympiques. En quelque sorte, la définition du Larousse s’apparenterait plus aujourd’hui à celle qu’on pourrait en donner des arts martiaux mixtes, tels qu’en proposent l’UFC, qui a remis au goût du jour le “free fight” en tant que sport. Mais surtout, elle fait l’impasse sur la nature même du catch moderne. Mais alors, comment définir cette étrange pratique en apparence sportive mais conçue, avant tout, pour divertir des spectateurs ?

Pour Mehdi, enseignant en école de game-design et créateur de podcasts (notamment un sur le sujet, Catchacast), le catch constitue “l’un des rares spectacles vivants populaires, qui n’a pas encore été complètement phagocyté par une institution.” Le catch est effectivement souvent comparé depuis longtemps aux spectacles circassiens ou au milieu forain. Volodia, développeuse-testeuse chez Ubisoft et ancienne catcheuse, le compare même à une forme de théâtre avec “beaucoup plus d’action”. Si, dans certaines régions du monde, il semble conserver cet attrait, il a néanmoins gagné en modernité, notamment aux États-Unis avec la WWE (pour World Wrestling Entertainment, liant donc explicitement “lutte” et “divertissement”), pour devenir ce que l’enseignant-podcasteur définit de “tout-en-un : Netflix, une console de jeu et un spectacle de son et lumière.” Ravage, un catcheur comique français qui se considère lui-même comme un geek, rejoint aussi ce côté “tout-en-un” qui caractériserait particulièrement bien le catch. “Comme le cinéma ou comme Netflix, il y en a pour tous les âges et pour tous les goûts : de la comédie adulte ou enfantine, de l’action très technique ou ultra-violente, nous explique le catcheur masqué. Le catch a la possibilité d’offrir toute une imagerie dingue.”

Le catcheur masqué français, Ravage, grand fan de Pokémon (Crédits : Seb Demange).

En somme, le catch est avant tout un spectacle de divertissement qui se focalise sur la représentation chorégraphiée d’un sport de combat libre. C’est d’ailleurs cette volonté de mettre en scène des combats fictifs, non-légitimes, qui a valu (et vaut) au catch de rester marginalisé. Pourtant, cela fait bien longtemps que le catch et les fans de catch, eux-mêmes, semblent avoir accepter ce statut de spectacle fictionnel. “J’ai du mal à comprendre ceux qui méprisent le catch parce que c’est ‘faux’, nous avoue Alexis Breut, connu sous le nom de LinksTheSun sur YouTube, qui consacre régulièrement plusieurs vidéos au catch depuis quelques années (voir ci-dessus). Cette image reste dans l’inconscient général et entraîne encore des gens à mépriser le catch, même lorsqu’on dit savoir que c’est ‘truqué’. Pourtant, c’est comme un film scénarisé où on s’investit dans une histoire et dans ses personnages”, joués par les catcheurs eux-mêmes. En d’autres termes, de part son aspect chorégraphié et donc créatif et son fonctionnement basé sur une certaine forme de narration, le catch se rapprocherait-il plus d’un art – de la même manière que le théâtre, le cinéma ou la danse – que d’un sport ? “Oui, il faut considérer le catch comme un art”, affirme Mehdi. “Il n’a pas d’équivalent et emprunte à beaucoup de choses, ajoute LinksTheSun. C’est ça qui est fascinant car quand on essaie de le définir, on s’aperçoit qu’il n’y a rien qui y ressemble.” Comment un art aussi étrange et unique que le catch pourrait donc plaire spécialement à des geeks voire être lié aux univers qui leur sont chers ?

Deux univers interconnectés

Mais afin de pouvoir y répondre, posons une autre question : qu’est-ce que “geek” veut dire au juste ? Si l’on en croit, une fois de plus, le dictionnaire Larousse, un geek est surtout un “fan d’informatique, de science-fiction, de jeux vidéo, etc” qui reste “toujours à l’affût des nouveautés et des améliorations à apporter aux technologies numériques.” Si l’on devait s’en contenter, alors un geek et un fan de catch devraient pouvoir s’entendre plutôt bien. “Le catch lui-même se nourrit énormément de la culture geek : l’iconographie, l’emprunt au shonen, les appétences des catcheurs eux-mêmes pour le jeu-vidéo, indique l’enseignant-podcasteur. Kenny Omega est l’un des meilleurs exemples de ce brassage.” Ce catcheur canadien, considéré par beaucoup de spécialistes comme l’un des meilleurs à l’heure actuelle, s’est fait connaître au Japon pour son amour de la culture geek. “Il a pris les codes du jeu-vidéo et en a fait la grammaire de son personnage et de ses prises”, précise Mehdi. Pour preuve, Kenny Omega est notamment connu pour asséner des hadoukens et des V-Triggers, indissociables de la série de jeux-vidéo de combat Street Fighter. Le nom de sa prise de finition (qui est censée achever un adversaire sur le ring), “One-Winged Angel”, emprunte celui du thème musical de Sephiroth, personnage de Final Fantasy VII. Il est même un grand amateur de cosplay : le bougre est déjà arrivé sur le ring sous les traits de Sans d’Undertale, Akuma de Street Fighter ou d’un des skins de l’extension Le Jugement d’Osiris de Destiny 2. Cerise sur le gâteau, ce catcheur est même l’une des égéries officielles du constructeur informatique Razer. Mais Kenny Omega n’est pas un cas isolé – loin de là.

Clément Petiot, alias Tristan Archer sur le ring, fait aussi partie de ses nombreux catcheurs geeks. Ce catcheur français est l’heureux propriétaire de 500 à 600 mangas ainsi que de trois vitrines de figurines et de Funko Pops. C’est aussi un inconditionnel de RPG japonais, comme Secret of Mana, et de séries animées comme celles des Dragon Ball. Il lui est même arrivé, pour ainsi dire, de combattre entre les cordes affublé comme Végéta, son saiyan favori. “Dans le catch, il y a le même esprit combatif caractéristique des shonens, nous explique Tristan Archer. Je catche tous les ans à la Japan Expo, ce qui prouve qu’il existe un lien fort entre les deux cultures.” Car, comme le souligne le catcheur français, il n’y a pas que le catch qui s’inspire de certains pans de la culture geek. Ces derniers s’inspirent eux aussi du catch, depuis de nombreuses années. Les personnages de Zangief, un catcheur russe dans Street Fighter, ou de King, dans Tekken, en sont les preuves les plus flagrantes dans l’univers vidéoludique. Tristan Archer nous confie par exemple qu’il compte bientôt s’inspirer d’un coup porté dans Birds of Prey, film dont le genre a régulièrement repris des mouvements issus du catch dans ses combats de super-héros.

Clément Petiot, alias Tristan Archer, en tenue de saiyan (Crédits : Pikagreg Photography).

A ce propos, d’après Sturry, YouTubeur (à travers sa chaîne C’est ça le catch) et ancien catcheur, “la culture des catcheurs mexicains masqués est très liée à celles des super-héros”. Au Mexique, le catch (ou “lucha libre”) a toujours répondu à des règles ancestrales concernant le port du masque (aux formes diverses et variées, à découvrir dans un guide en français). L’identité réelle d’un catcheur masqué reste longtemps inconnue avant qu’il ne perde son identité secrète dans un match. Une philosophie que les comics de super-héros et leurs adaptations filmiques ont repris à outrance. L’avantage, avec le catch, selon Mehdi et Volodia notamment, c’est que les fans sont capables de voir et d’interagir avec une véritable incarnation de Spider-Man ou Batman. A contrario, leurs interprètes cinématographiques redeviennent, une fois le film fini, de simples acteurs. “Dans les comics, il existe une limite stricte dans la continuité des histoires et dans l’alignement des personnages vis-à-vis de qui est gentil ou méchant, remarque en outre LinksTheSun. Dans le catch, tout est fluide : les shows sont en continu et les catcheurs sont aussi des personnes réelles qui font évoluer leurs personnages au fil du temps.” Contrairement aux comics ou à la plupart des mangas et même des jeux-vidéo, le catch est certes une fiction mais il se déroule dans la même temporalité que notre réalité. “Avec le catch, un fan peut réellement suivre des carrières entières de bout en bout, souligne Orioto, artiste particulièrement geek et enseignant en graphic-design. C’est quelque chose de beaucoup plus humain.”

Geek ou fan de catch : une même forme de passion ?

A la lecture de ces discours, ce qui semble surtout lier l’univers du catch à la culture geek, autant que les fans de catch aux geeks qui les adorent et les partagent, c’est cette même érudition passionnelle. Comme le rappelle Jérome-Philippe, fan de catch confirmé, grand amateur de jeux-vidéo et de mangas mais aussi épidémiologiste, “un geek, c’est surtout quelqu’un qui aime creuser une matière qui lui semble d’intérêt.” Si la culture geek est si étendue – surtout depuis qu’elle a été mise sur le devant de la scène – c’est aussi parce que les geeks se caractérisent par une curiosité inextinguible. Comme en atteste LinksTheSun lui-même, “être geek, ça implique une passion, une grosse curiosité et une énorme capacité de mémorisation de tout ce qui touche, notamment, aux cultures de l’imaginaire.” C’est aussi “être ouvert à d’autres cultures, qui ne sont pas accessibles au plus large public, estime Tristan Archer. Un large pourcentage de fans de catch en France se plait d’ailleurs plus dans la culture geek que dans la culture sportive, par exemple”. Ils existent même des “geeks de catch”, selon Volodia. Et il y a de quoi en être car, comme nous le souligne Jérôme-Philippe, si “le catch est certes un art populaire, il possède une profondeur insoupçonnée.” De sa grande galerie de personnages qui officient aux quatre coins du monde à toutes les spécificités techniques sur le ring et à la grammaire qui les désignent, en passant par son immense richesse historique (aussi bien fictionnelle que réelle), le catch a tout pour plaire aux plus passionnés et curieux des geeks. “Pour moi, être geek c’est être passionné par une multitude de domaines qui peuvent paraître désuets, bizarres ou inutiles mais qui alimentent constamment notre imaginaire, nous avoue Ravage, dont la tenue est couverte de badges tel un dresseur Pokémon. Un fan de catch est donc un geek parce qu’il a justement autorisé sa conscience à sortir du monde réel pour s’immerger dans un univers complètement imaginaire, avec sa propre histoire à explorer, et s’est attelé à en connaître ses moindres règles.” Autrement dit : “les geeks aiment sans doute le catch pour la plupart mais ne le savent pas encore.”

Geeks et fans de catch : même passion, même marginalisation ?

Jusqu’à il y a encore quelques années, avant que la culture geek ne soit mise sur le devant la scène notamment avec le succès des films Marvel, il ne faisait pas spécialement bon vivre pour tous les geeks. L’héritage de la culture très méprisée des “nerds” des années 1970 pouvait rester pesante. Depuis très longtemps, il en est aussi de même pour les fans de catch. “C’est triste à dire mais les geeks et les fans de catch se retrouvent un peu là-dedans”, en témoigne Volodia, développeuse-testeuse chez Ubisoft. “Personnellement, quand j’étais enfant, je n’avais jamais de bon retour lorsque j’admettais être fan de catch ou préférer jouer à un jeu comme Secret of Mana, nous confie, quant à lui, le catcheur français Tristan Archer.

Certains, comme l’artiste Orioto, estiment surtout que cette marginalisation est dépendante de la médiatisation du catch : lorsque le catch est mieux médiatisé et montré, comme aux États-Unis, ses fans sont moins méprisés. A l’inverse, “le catch est très marginal en France et même dans un milieu geek, on nous regardera étrangement si on se dit fan de catch.”

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