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Retour sur la filmographie de Guillermo del Toro : un cinéma à l’univers généreux

Le réalisateur hollywoodien d’origine mexicaine a obtenu la consécration grâce à son dernier long métrage La Forme de l’eau. Retour sur une carrière monstre, à la fois riche et complexe.

Croyances et univers

C’est au Mexique que Guillermo Del Toro a grandi, élevé par sa grand-mère, une figure matriarcale très forte. Baigné dans la foi catholique, il devient rapidement cinéphile grâce à la relation qu’il entretient avec son oncle. Ce dernier lui fait découvrir entre autres le cinéma d’épouvante. Très tôt, le jeune garçon s’éprend d’une passion pour la science-fiction, les oeuvres gothiques, les monstres et tout ce qui entoure l’occulte. Persuadé d’avoir rencontré un fantôme à la mort prématurée de son oncle, cette croyance ne le quittera plus jamais. Le jeune homme commence à collectionner toute sorte d’images et étrangetés venant alimenter ses cabinets de curiosités. Dans des carnets, il dessine et prends des notes mêlant ses projets, ses découvertes et sa vie. Et c’est en cela que Del Toro se distingue tout au long de sa carrière : ses films sont des miroirs de lui-même.

Dans son premier long métrage Cronos (1993), Guillermo Del Toro propose une toute autre vision des vampires.

Avant tout spécialiste des effets spéciaux et d’un traitement presque pictural de la mise en scène, il se démarque dans la création de créatures monstrueuses dans des courts métrages comme Geometrica et son premier long Cronos, en 1993. Avec ce film il embarque déjà des acteurs qui lui seront chers par la suite à savoir Federico Luppi et Ron Perlman. Reconnu au Mexique, ce premier succès lui ouvre alors les portes d’Hollywood. Il réalise alors Mimic, mais malheureusement, c’est aussi pour lui la désillusion du système hollywoodien. Son producteur Weinstein oriente le projet vers un film d’action à sensation venant gâcher la réflexion et vision de Del Toro. Un mal pour un bien, le Mexicain renforce ses convictions et deviendra intraitable par la suite. Après L’Échine du Diable, un film espagnol d’épouvante qu’il réalise sous la demande d’un certain Pedro Almodovar, il se voit confier un premier gros projet : Blade II.

Blade II : la base des films de super héros (2002)

C’est un vrai défi que doit relever Del Toro : réaliser la suite d’un gros film d’action plébiscité par la critique et le public. Blade II, sorti en 2002, est expérimental : il s’agit d’une réappropriation des comics books bien avant l’arrivée en masse des films Marvel que l’on connaît aujourd’hui. La mise en scène est folle, les scènes de combats sont des chorégraphies et les différents angles choisis pour l’action réussissent véritablement à traduire les cases des comics. Avec Wesley Snipes ayant connaissance du langage du corps des films d’action de Hong Kong et Ron Perlman pour incarner le méchant, le réalisateur a réussi son pari. Il gagne en crédibilité et a montré qu’il était capable de faire un blockbuster qui ne manque pas d’originalité. Blade II peut, tout comme Matrix avant lui, être considéré comme la base des films d’action que l’on connaît aujourd’hui et notamment, de super héros.

Au-delà de l’action et des effets spéciaux, Blade II (2002) instaure un profond sentiment de mélancolie.

Hellboy : réinventer un héros (2004)

Il est maintenant temps pour lui de se lancer sur un projet qu’il a en tête depuis plusieurs années avec Ron Perlman en tête d’affiche : Hellboy. Hellboy obtient un financement de Revolution Studio, l’amenant à un confortable budget de 66 millions de dollars. Mais pour réaliser un film d’une telle ambition, cela reste timide. Del Toro a plus d’un tour dans son sac et joue les économes : il réduit les effets spéciaux en préférant le latex et multiplie les apparitions d’un même monstre. Imaginée en 1998, l’adaptation du comics de Mike Mignola sort en salle en 2004. Bien accueilli, ce n’est pas non plus un gros succès au box-office. Sa suite, finalisée en 2008, est cependant soutenue par Universal qui pense avoir trouvé en Guillermo Del Toro l’homme idéal pour relancer Universal Monsters, aux côtés de La Momie ou encore Van Helsing.

Hellboy (2004) illustre aussi le passage à l’âge adulte avec une figure du père centrale.

Ce second épisode est sans doute celui de la maturité pour le réalisateur. Le geek est plus à l’aise dans la mise en scène et fait même preuve d’audace avec un plan séquence lors de l’introduction des personnages. Comme toujours, Del Toro réussit à imposer sa vision et nous demande de rentrer directement dans un monde fantastique, éloigné de notre réalité contemporaine. Et contrairement à la majorité des films Marvel, Hellboy se refuse à une réalisation trop lisse et préfère ne pas se limiter en explosion et scènes violentes. Un troisième volet aurait pu voir le jour, mais comme vous le savez, c’est un reboot sans Del Toro qui a été mis en route. Perlman se voyait trop vieux pour incarner la bête, mais avait finalement changé d’avis; C’est Mignola, assez mécontent de voir son oeuvre lui échapper qui aurait refusé une suite. Il est vrai que le réalisateur mexicain a pris quelques libertés en créant un personnage romantique et immature, s’éloignant du détective du paranormal, ce qui était le coeur du Hellboy original.

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Le Labyrinthe de Pan : l’autre voie (2006)

Si Hellboy : The Golden Army a pu voir le jour, c’est aussi parce qu’entre temps, Del Toro a pu réaliser un film d’un tout autre genre qui lui a valu beaucoup de prestige : Le Labyrinthe de Pan. Inspiré de la nouvelle Le grand Dieu Pan, elle-même très appréciée du maître de l’horrifique Lovecraft, le film met en scène la relation entre la jeune Ofelia et un faune dans un contexte difficile situé peu de temps après la guerre d’Espagne. Le Labyrinthe de Pan est souvent retenu comme étant l’autre penchant de la filmographie du réalisateur, celui moins accessible et pour un public dit plus intellectuel. Et pourtant, tout comme Hellboy et Blade II avant lui, il s’agit bien là d’un film écrit par un passionné de culture populaire et un cri d’amour pour les geeks.

Le bestiaire dans Le Labyrinthe de Pan (2006) est inoubliable, dérangeant et évocateur.

Beau, mais oppressant, il propose pour une fois un autre regard sur la guerre et une manière d’affronter la réalité qui lui est propre : celle d’un geek. Il plonge la jeune fille dans un rêve pour fuir les horreurs des hommes et surélève le fantasme et l’imaginaire. Une forte métaphore illustre parfaitement ce parti pris. Quand la jeune fille se retrouve face à la rose dans le labyrinthe, elle est la seule à percevoir la fleur de l’immortalité, tandis que les hommes, obsédés par la souffrance, n’en perçoivent que les épines. Comme le geek qui sommeille en chacun de nous, Ophélia est capable de percevoir un autre monde plus plaisant, mais qui toujours, nous permet de mieux appréhender et comprendre notre propre réalité. Enfin, le film laisse le choix au spectateur et n’impose pas de lecture. Chacun peut voir et croire ce qu’il préfère.

Pacific Rim : le blockbuster symbolique (2013)

Après une période d’errance où il n’a pu concrétiser certains projets comme Les Montagnes hallucinées et The Hobbit, Del Toro revient sur le devant de la scène en 2013 avec un gros blockbuster : Pacific Rim. Souvent comparé un peu à tort à la saga des Transformers, le film est une oeuvre totalement originale avec un univers créé de toute pièce pour l’occasion. Le réalisateur vient encore piocher son inspiration dans des oeuvres qu’il chérit depuis son plus jeune âge, à savoir les histoires de monstres et de mécha. Plus particulièrement, Pacific Rim est un hommage assumé des tokusatsu, ces séries TV japonaises mettant en scène des transformations de super héros pour faire face à l’arrivée de monstres géants venus décimer les villes.

C’est un projet osé, sans licence et mis à part les courtes, mais très appréciables apparitions de Ron Perlman, sans acteurs stars. Il tente de rapprocher l’Occident et l’Asie, symbolisé par l’union des deux héros : l’Américain Raleigh et la Japonaise Mako. Contrairement aux blockbusters habituels, Pacific Rim joue plus dans la symbolique. Avec un fond de 200 millions de dollars, il s’agit du film le plus ambitieux de sa carrière, mais malheureusement, il ne rencontre pas le succès escompté et se fait même sévèrement critiquer avant sa sortie en salle. Un rendez-vous manqué, qui ne se rattrapera pas avec Pacific Rim Uprising, l’orphelin.

Crimson Peak : l’art gothique (2015)

Deux ans plus tard, Guillermo Del Toro revient avec une oeuvre plus confidentielle qui renoue avec ses premiers amours. Crimson Peak est une réponse à L’Échine du Diable qui s’interrogeait sur l’existence des fantômes. Le film s’ouvre sur l’acceptation de cette dernière. Une croyance que le spectateur doit avaler pour rentrer dans cet univers. Des esprits viennent prévenir une jeune fille d’une menace à venir, une mise en garde qu’elle ne comprendra que trop tard. À la mort de son père, elle se réfugie dans les bras d’un étranger aux intentions pour le moins obscures.

L’affiche de Crimson Peak (2015) peut paraître kitch, mais a le mérite d’annoncer la couleur.

Crimson Peak est bourré de références aux oeuvres gothiques, qu’il s’agisse des thèmes abordés, du romantisme qui s’en dégage et de l’esthétique, notamment dans le soin apporté aux décors et costumes. Son réalisateur n’aura de cesse de le répéter, il ne s’agit pas d’un film d’horreur, mais d’un film gothique, combattant les clichés de l’épouvante. L’héroïne, incarnée par Mia Wasikowska, est elle-même une romancière de littérature gothique en devenir et fait une piqûre de rappel sur la difficulté pour les femmes écrivaines de s’imposer dans le milieu. Puisque c’est une femme, on attend d’elle une romance et non une histoire de fantôme. Et comme elle le dit elle-même au cours du film, ce n’est pas une histoire de fantôme, mais une histoire avec des fantômes. Une réplique qui transparaît tout au long de cette oeuvre cinématographique.

The Shape of water : la consécration (2018)

En 2018 Guillermo Del Toro est revenu sur le devant de la scène avec un dixième long métrage : The Shape of Water. Une fois n’est pas coutume, le génie du cinéma de l’étrange donne vie à un monstre, qu’il préfère qualifier de dieu. Celui-ci est directement inspiré de la créature du lac et se retrouve là où on ne l’attend pas : dans une histoire d’amour avec Elisa une jeune femme solitaire et muette. La créature aurait pu être un peu plus humanisée, mais il n’en est rien. Dans son design il s’agit bel et bien d’une bête. Et pourtant, le réalisateur réussit là encore à embarquer son public, à suspendre toute crédulité pour nous projeter dans cette romance improbable. Un joli conte, un drame ponctué de quelques touches d’humour bien pensées, une mise en scène audacieuse et intimiste… Guillermo Del Toro nous offre un film émouvant qui n’hésite pas à mêler les genres, jusqu’à les brouiller. De quoi relancer sa carrière et enfin trouver sa place pour cet ovni du cinéma hollywoodien.

Le réalisateur a été récompensé pour son oeuvre, mais c’est bien tout l’ensemble de sa carrière qui continue de nous passionner. Chacun de ses films répond à une esthétique forte et nous plonge dans un univers particulier, hors du temps et proche du conte. Monsieur Del Toro, ce sont aussi des métrages plus courts, des films d’animation, une série télé, des projets de jeux vidéo, des romans, un dénicheur de talents, etc. Bref, un homme inspirant. Enfin, pour aller plus loin, je vous conseille de vous tourner vers le très documenté podcast de Capture Mag consacré à Guillermo Del Toro, scindé en deux parties pour un peu plus de 5 heures d’écoute et de passion !

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